Nicole Malinconi : Chronique d’après la guerre et d’au-delà (Ce qui reste)

Détail couverture

Depuis son Hôpital silence (1985), qui eut le retentissement que l’on sait, Nicole Malinconi s’est vouée à se faire la chroniqueuse de la vie en son quotidien et bien souvent un quotidien vécu et partagé. Et voici qu’elle retrace dans Ce qui reste son entrée dans l’existence en pays wallon et dans un milieu de petite bourgeoisie. La lisant et le faisant avec un vif plaisir, on ne peut s’empêcher d’avoir à l’esprit deux de ses devanciers en matière de chronique et de souvenirs de vie recueillis en simples notations ou en petits tableaux. On pense évidemment au parisien Georges Perec et à ses Je me souviens (1978) et à la normande Annie Ernaux et à ses Années (2008). Voici donc qu’enchaîne avec eux l’italo-wallonne Malinconi avec son Ce qui reste (2021) paraissant ces jours-ci. Si nous pointons ainsi les régions d’origine des trois auteurs que nous apparentons en cette occasion, c’est que leurs entreprises mémorielles ont opéré sur des espaces différents et, plus encore, à des époques différentes. Mieux, pour distinguer leurs trois chroniques, devraient encore être prises en compte les classes d’appartenance. On notera d’emblée que la gamine que fut Nicole Malinconi est née juste après la guerre 40-45 et qu’il est donc des événements importants qui étaient alors révolus pour cette enfant de la Libération.

Toujours est-il que les trois auteurs/trices que nous associons brièvement ici ont fondé à eux trois un genre socio-littéraire et, notons-le, un genre qui demande à être relancé périodiquement et cela pour des raisons évidentes. C’est ce que Malinconi fait avec succès pour sa part et selon son style personnel. Là où Perec opérait par bribes de souvenirs et souvent avec quel humour, où Ernaux marquait volontiers la présence d’un fond socio-historique et de son actualité, Malinconi laisse parler en elle la sociologue, qualifiant de ce point de vue chacun des rôles familiaux ou autres qu’elle met en œuvre. C’est ainsi qu’elle va exceller à faire valoir la transition entre un passé gros d’archaïsmes — telle que la famille engluée dans ses conformismes la représente encore — et l’irruption de toute une modernité impatiente de surgir. Les années de l’après-guerre furent d’ailleurs des années fastes à plusieurs égards. Par exemple, on vit entrer dans les maisons même modestes la série des appareils électroménagers qui allaient bouleverser la vie des gens. Les plus aisés se payèrent même le poste de télévision et ceux qui ne le pouvaient allaient suivre chez un voisin des émissions vedettes.

Nicole Malinconi trouve facilement dans ce matériau de quoi plaider en douce la cause de groupes populaires pouvant tout à coup s’inscrire dans une vie collective ignorée jusque là. C’est le cas, par exemple, de celles que l’autrice identifie comme les mamans ou les ménagères de l’époque. Grâce à la radio, ces dernières accèdent à une vie beaucoup plus large et plus riche, C’est que les infos radiophoniques d’un côté et les chansons de l’autre sortent les ménagères-mamans de leur repli tout conjugal. Qu’est-ce qu’une certaine libération ne doit pas à la ritournelle à succès ! : « Les mots de la chanson faisaient s’envoler en éclats, écrit Nicole Malinconi, les cuisines bien rangées ; c’était comme un désordre violent, un cri ; c’était cela, cette brûlure qui avait dû s’emparer du cœur de la princesse Margaret et du champion Fausto Coppi. / Nos mères écoutaient en faisant leur ouvrage ; le temps de la chanson, on aurait dit qu’elles n’étaient plus nos mères » (p. 58). La présente chronique est ainsi riche de notations fines avec le grand mérite de faire toucher de près à la mutation d’un monde et à son accès à une vie libérée dont nous vivons encore. Un livre vraiment prenant.

Nicole Malinconi, Ce qui reste, Les Impressions Nouvelles, janvier 2021, 128 p., 13 €