« Un livre rigolo sur les tampons fantaisie » : c’est ainsi que le tampographe Sardon présente Chroniques de la rue du Repos (Flammarion), livre « bordélique » comme l’est son atelier et le coin de ville qu’il évoque dans les textes qui rythment les pages. Les tampons ici ne sont pas seulement des objets mais bien « des lubies » qui « prennent la forme de tampons encreurs », et plus encore que des lubies, une manière d’être au monde qui se donne à lire dans les chroniques des moments de vie et scènes décapantes.

Vincent Sardon compose son univers à la poésie et l’humour très noirs depuis 1991, à Angoulême puis à Paris. Ainsi les six années tranquilles 4 rue du Repos, à côté du cimetière, calme complet, sauf quand passe la dame aux cheveux rouges et mâchoire crispée qui aurait voulu récupérer le local pour faire des recherches et écrire ; elle est philosophe, sociologue, politologue, historienne, poétesse et artiste-peintre, mais la gardienne douche la liste de compétences d’un « cette femme, si elle avait vraiment quelque chose à écrire, elle pourrait l’écrire n’importe où ». Mais le quartier reste assez calme, juste assez de visites inopportunes dans l’atelier pour camper quelques figures et scènes toutes plus justes et acides les unes que les autres. Et puis les tombes demeurent « les seuls biens immobiliers abordables dans le périmètre ». Ce qui n’a pas empêché Vincent Sardon de finir par rallier la campagne, après recherches sur Internet d’un lieu tranquille et visites mensuelles. « Le voisinage se plaint des relents chimiques » qu’exhalent les presses. Ce livre, textes (2013-2018) et tampons, est donc aussi l’archive des années parisiennes, avant un nouveau départ (la galerie est toujours ouverte 4 rue du Repos).

Dans l’atelier parisien, des presses, des tampons, des cartes dont les pages du livre forment un inventaire, somptueux et caustique, mais aussi du piment d’Espelette (à sniffer en cas de nostalgie du pays) et tout un bazar comme l’autographe de Stéphane Collaro (Tour de France Auto 1976). Mais ce livre n’est pas seulement un cabinet de curiosités ou un catalogue des (sublimes) objets fabriqués par Vincent Sardon. C’est aussi la chronique d’un lieu, par un ronchon qui a un sacré sens du détail et de la scène, en témoignent ses photos (l’alignement du Jardin des plantes) ou les gravures de saloperies rampantes ou volantes de ses tampons, les branches de cerisiers, rues new-yorkaises ou toits parisiens.


Ouvrir ce livre c’est comme pousser, conjointement, la porte de l’atelier et la fabrique d’un univers que Vincent Sardon nomme son « travail biscornu », à entendre aussi au sens étymologique. Il y a les séries de tampons : les insultes bruxelloises qu’en bon Franskillon on voudrait toutes retenir et réemployer (à ne pas confondre avec les injures wallonnes, série également disponible), celles à destination du milieu culturel. Ce livre, comme toutes les productions Sardon(iques) est un remède contre la déprime, un puits de désespoir consolant. Une telle union de la poésie et de la vulgarité, de la noirceur nihiliste et de la facétie est rare.
Chroniques de la rue du repos les concentre, ne vous refusez pas ce bonheur, il sera du meilleur effet sous tout sapin, accompagné du coffret « boules de Noël » pour réconcilier fétichisme et fêtes de fin d’année — mais vous pouvez préférer la série « arbre mort » (branchage plus ou moins ramifié orné de ses petits pendus. Et si vous vous sentez un peu seul.e.s en ces temps de confinement sans fin, n’hésitez pas à vous procurez les tampons « fausses signatures » présentés pages 152-153, Barack Obama, Marilyn et même David Bowie pourront ainsi vous écrire tout le bien qu’ils pensent de votre vie et votre œuvre. Et c’est bien sûr avec le tampon « globalement utile » de la page 215 que je vais (presque) terminer cette chronique (je ne la ferme pas si facilement).

Vincent Sardon l’écrit, « Tout se périme, l’humour, les présidents de la république, les souvenirs, les sentiments comme les yaourts. Au rythme où je travaille, mon prochain livre paraîtra en 2028, après la fin du monde ». Jetez-vous sur celui-ci, manifeste sans le dire, énoncé en quatrième de couverture : « la distinction entre l’art et l’artisanat est injuste ». Dans ces pages, un artiste, double : visuel et textuel, parce qu’en prime, le tampographe écrit diablement bien (ici la signature de Barack Obama, de celle dont les blurbs font vendre les livres ou celle de David Bowie, plus discrète).

Le Tampographe Sardon, Chroniques de la rue du Repos, Flammarion, 256 p. et 250 illustrations, novembre 2020, 35 € — Feuilleter le livre en ligne – Lire l’article de Christian Rosset

Le Tampographe Sardon, 4 rue du repos, 75020 Paris



