La parution de Confinements en œuvre de Manu Larcenet invite aux re-lectures de deux ouvrages d’importance : Peu de gens savent et Nombreux sont ceux qui ignorent, deux sommes graphiques presque encyclopédiques fortes de « révélations fondamentales permettant aux imbéciles d’appréhender le monde avec un minimum de sérieux ».

Peu de gens savent
Paru en 2010, ce recueil d’un savoir accouché jour après jour est un dictionnaire relatif et drôle, un carnet de croquis emportés, enlevés, et il est important de souligner que Peu de gens savent est un livre hilarant. Une aventure écrite et dessinée de 332 pages en couleurs et en noir comme l’humour asséné au long des pages.
Ni almanach ni journal, Peu de gens savent embrasse des thèmes aussi variés et fédérateurs que la zoologie, la politique internationale, les sciences naturelles, l’histoire, la littérature, les faits de société, les dinosaures et les chinchillas ou les hommes à tête de pierre… de quoi damer le pion aux synthèses et sommes de saillies prétentieuses lues ou entendues ailleurs et se prétendant définitivement exhaustives.



Manu Larcenet vient combler notre savoir lacunaire et c’est tant mieux car (et ce ne sont que quelques exemples parmi d’autres), il est vrai que « peu de gens savent que Jesse James, le hors-la-loi américain bien connu, était féru de danse contemporaine » ; « qu’Igor, l’âme damnée du docteur Frankenstein était un être délicieux » et « que les otaries roses des Antilles sont fréquemment atteintes d’érotomanie ».

Manu Larcenet a noirci pendant deux ans des carnets « sans autre but que de provoquer des accidents de dessin ». Puis, au gré de l’écriture, tout a pris forme jusqu’à devenir un magnifique album-livre où se rencontrent les pensées intimes de l’auteur, des considérations des plus surprenantes, des faits inconnus, des personnages non moins anonymes. Et les éclats de rire du lecteur.
Peu de gens savent que le concept d’inconscient utilisé par Sigmund Freud dans sa théorie psychanalytique basée en partie sur l’étude des rêves est une vaste fumisterie ! Si j’avais un inconscient, je le saurais !
Au fil des pages, des aquarelles subtiles et légères font écho à des dessins, croquis, crayonnés au trait fort et gras, illustrations ou évocations poétiques en miroir des textes. Manu Larcenet distille de l’humour noir dans une veine qui emprunte des chemins fréquentés par Alphonse Allais, Pierre Desproges, Ambrose Bierce, Albert Dupontel et Christophe Alévêque ou les Monty Pythons et Terry Gilliam et ses bestiaires iconoclastes… Peu de gens savent est un voyage dans l’absurde porté par un un vent salutaire d’insolence et de dérision.
Nombreux sont ceux qui ignorent

En 2012, peu de gens savent que Nombreux ceux qui ignorent n’est pas une suite mais une augmentation : 169 nouveaux textes accompagnant autant de dessins, de croquis en noir et blanc et en couleurs. La matière graphique, le dessin, sont l’origine, l’essence même du livre. Il ne s’agit ici nullement d’un recueil de maximes que viendraient souligner des illustrations éparses. C’est même tout le contraire, Manu Larcenet le dit lui-même en interview : « c’est le texte qui vient illustrer le dessin ». La nuance est importante. C’est ainsi qu’il faut percevoir Nombreux sont ceux qui ignorent... Comme une divagation visuelle, où l’on navigue dans le temps, dans l’espace, au gré de l’inspiration et de l’imaginaire de l’auteur, découvrant une suite de « dessins sans histoire ».

Mais « sans histoire » ne veut pas dire sans âme. Manu Larcenet ne souhaitait pas voir disparaître ces dessins, crayonnés sur des carnets, sur des coins de tables. Il ne voulait pas non plus les livrer à eux-mêmes dans un recueil muet. Il a donc pris son plus beau stylo et s’est mis en quête de venir éclairer le lecteur. Comme dans le cas de ce dessin ci-dessus représentant Jean-Jacques, tatoué et fier de l’être, mais dont beaucoup (et ils sont nombreux) ignorent qu’il est « myope comme une taupe et que son tatoueur est un grand psychopathe à l’humour discutable ».
- Peu de gens savent, de Manu Larcenet, couverture cartonnée, quadri, dos toilé, intérieur couleur et noir et blanc, 332 p., Les Rêveurs, Hors collection. 28 €, en commande sur le site de l’éditeur
- Nombreux sont ceux qui ignorent... de Manu Larcenet, couverture cartonnée, couleur, intérieur couleur et noir et blanc, Les Rêveurs, 352 p., 28 €, en commande sur le site de l’éditeur