La revue COCKPIT : « COCKPIT c’est une énergie et un espace singulier toujours en mouvement »

© Revue Cockpit

En prélude au 30e Salon de la Revue qui a dû hélas être annulé pour cause de crise sanitaire, Diacritik partenaire de l’événement avait rencontré les revues qui auraient dû être présentes. Pour que vivent les revues et pour patienter avant le retour du Salon l’an prochain, nous avons décidé de faire paraître ces entretiens. Aujourd’hui, Christophe Fiat et Charlotte Rolland autour de leur énergique revue COCKPIT.

Comment est née votre revue ? Existe-t-il un collectif d’écrivains à l’origine de votre désir de revue ou s’agit-il d’un désir bien plus individuel ? S’agissait-il pour vous de souscrire à un imaginaire littéraire selon lequel être écrivain, comme pour Olivier dans Les Faux-Monnayeurs de Gide, consiste d’abord à écrire dans une revue ?

Le premier numéro de COCKPIT est paru en version numérique, le 1er mai 2020 à la fin du confinement. Puis nous sommes passés à la version papier quand les imprimeries ont ré-ouvert à Paris et là, nous travaillons (Charlotte Rolland et moi) sur le numéro d’octobre qui sortira pour le Salon de la Revue. En 5 numéros (COCKPIT est mensuel), nous avons publié plus de cinquante poètes, écrivains, auteurs dramatiques, journalistes, acteurs de la culture et artistes parmi lesquels Charles Pennequin, Thomas Hirschhorn, Fernando Arrabal, Jil Caplan, Hubert Colas, Fred Nevché, Arnaud Laporte, Pascal Rambert, Rodrigo Garcia, Regine Kolle, Philippe Azoury, Dieudonné Niangouna, Rainier Lericolais, Chenel King et Angelina Saenz, Guy Bennett, LBASi, José Eugenio Sanchez, Isabelle Barbéris, Laurent Friquet… C’est une revue qui ouvre un espace dont nous ignorons tout puisque chaque invitée et invité a carte blanche à l’image de COCKPIT en noir et blanc avec un cadre noir. Mais une chose est sûre, si Gide nous parle, c’est le Gide de Ainsi soit-il les jeux sont faits qui nous met en garde en 1952 contre la barbarie et la disparition de notre culture et de la littérature. Un Gide crépusculaire.

Quelle vision de la littérature entendez-vous défendre dans vos différents numéros ? Procédez-vous selon une profession de foi établie en amont du premier numéro ?

Que dire de la littérature ? Tout cela est à repenser voire à réinventer modestement. Dans COCKPIT, on entend parfaitement les maîtres anciens et leurs messages (Proust, Bataille, Joyce, Burroughs, Woolf,) mais dès qu’on se met à l’écoute du brouhaha et des rumeurs de notre époque, l’information remonte peu de notre oreille interne à notre cerveau et on a le mal de mer (et de terre) à cause de ce roulis morne et ennuyeux. Mais heureusement, avec toutes nos invitées et invités et aussi nos abonnés et nos lecteurs assidus, ce copilotage nous permet d’avoir une vitesse de croisière qui nous convient pour transporter notre boîte noire où l’on veut avec enthousiasme (COCKPIT Voice Recorder, désigne les boîtes noires des avions qui enregistrent les conversations dans le poste de pilotage mais on dit COCKPIT). Et puis un esprit d’équipe au sens de Dream Team commence à naître parce que des invités et invitées reviennent régulièrement dans nos pages : Angelica Saenz, José Eugenio Sanchez, LBASi, Arrabal, Guy Bennett, Pierre Alferi, Samantha Barroero, Antoine Dufeu, Nevché et Jean-Michel Espitallier qui après avoir publié dans le numéro 1 fait une série sur le rock à suivre dans les prochains numéros. Bref, vous l’aurez compris, ici, chacune et chacun a son espace, disons, son « plan de vol » conjointement à celui de la revue.

Comment décidez-vous de la composition d’un numéro ? Suivez-vous l’actualité littéraire ou s’agit-il au contraire pour vous de défendre une littérature détachée des contingences du marché éditorial ? Pouvez-vous nous présenter un numéro qui vous tient particulièrement à cœur ?

COCKPIT c’est une énergie et un espace singulier toujours en mouvement. Cela tient à sa périodicité et aussi aux bouleversements de notre époque que nous tentons de saisir à chaque numéro. Depuis mes premiers livres (2000), j’ai collaboré à des revues (Nioques, TTC, Art Poétique, la NRF, La Règle du Jeu, la revue du CIPM, Multitude) et j’en ai même créée mais cette fois, je voulais faire une revue de création mensuelle. Chaque numéro, pour Charlotte Rolland et moi, est important. Chaque numéro donne de la voix aux invitées et invités au travers d’écritures brutes et singulières et de formes plastiques frontales (Les Posters de la revue auxquels ont participé Regine Kolle, Hippolyte Hentgen, Rainier Lericolais, Fernando Arrabal et Antoine d’Agata et en novembre Pierre Alferi en témoignent). Voilà, chaque numéro est une sorte de manifeste, un appel urgent à s’extraire non pas du « marché éditorial » mais des cloisonnements et des injonctions de toutes sortes qui obligent tout un chacun à jouer et rejouer sans cesse son propre rôle jusqu’à l’absurdité. Quant à l’actualité littéraire, je la suis de près puisque je suis écrivain mais par sa périodicité mensuelle, COCKPIT est une actualité à lui tout seul. Il fait une actualité, fait même son actualité en toute discrétion. Aussi, je me soucie plus de la préparation des numéros à venir que de savoir si tel livre récemment paru est une fiction ou un document entendu aussi que la tendance littéraire du moment derrière son apparence militante (l’obsession du réel n’est pas la réalité) me semble assez proche des intrigues du roman rose dont la collection Arlequin faisait la pub dans les années 80.

À la création de sa revue Trafic, Serge Daney affirmait que tout revue consiste à faire revenir, à faire revoir ce qu’on n’aurait peut-être pas aperçu sans elle. Que cherchez-vous à faire revenir dans votre revue qui aurait peut-être été mal vu sans elle ?

J’apprécie Serge Daney et je suis admiratif de Trafic mais dans notre revue, on ne fait rien revenir. La revue a été créée pendant le confinement (le terme anglais de Lockdown est plus explicite : « on a été bouclé ») et maintenant, on va de l’avant comme je le répète souvent dans mes éditos, un « avant » peu visible, peu lisible, peu croyable aussi, puisque personne ne lit dans l’avenir. Et ici, peut-être est-il utile de dire que COCKPIT, c’est aussi un partenariat à chaque numéro avec des lieux culturels amis qui nous apportent leur soutien et leur parrainage. C’est comme ça que le numéro 2 a été accompagné par Enseigne des Oudin, le 3 par le MACVAL, le 4 par le Festival Actoral et le 5 par Le Carreau du Temple, et aussi Le Salon de la Revue qui a l’audace (alors que nous sommes une jeune revue) de nous inviter à la soirée d’inauguration où nous serons accompagnés de Fernando Arrabal, d’Antoine d’Agata et de Samantha Barroero. Certainement que COCKPIT fait « revoir » de l’inaperçu quand nous publions le formidable Arrabal (88 ans cette année) célébré dans le monde entier sauf en France ou Matthieu Messagier ou Christian Prigent dont les carrières littéraires forcent l’admiration et le respect mais COCKPIT, c’est aussi Stefan Ferreira, Tristan Robert, Amélie Guyot, Maëlle Dault, Rose Vidal, Valérie Horwitz, Laurent Chamalin de jeunes auteures et auteurs dont certains publient pour la première fois.

© Revue Cockpit
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Est-ce qu’enfin créer et animer une revue aujourd’hui, dans un contexte économique complexe pour la diffusion, n’est-ce pas finalement affirmer un geste politique ? Une manière de résistance ?

Pour COCKPIT, la diffusion est virale et c’est bien ainsi. Je veux dire par là qu’une revue de création naît et se répand et prolifère toujours dans un contexte économique complexe et qu’aujourd’hui, plus que jamais, une diffusion n’est possible que par un réseau à inventer avec nos invitées et invités et nos partenaires. De toute façon, le concept de la revue conçue et fabriquée en mode Do It Yourself (DIY) n’est pas fait pour une diffusion standard. COCKPIT n’est pas un volume mais ressemble davantage à un journal entre fanzine et newsletter. Pour connaître les revues littéraires et un peu leur histoire, certainement que nous faisons un geste politique et que nous résistons à quelque chose mais nous voulons surtout rassembler, fédérer, proposer un espace, un topos possible, un lieu grave (et non sérieux), détaché et jubilatoire où s’inventerait une nouvelle forme d’expression et de liberté, un nouveau souffle où l’imagination retrouverait sa place. D’ailleurs, chaque bas de page est ponctué par cette citation de Lautréamont en forme de # : « Je veux que ma poésie puisse être lue par une jeune fille de 14 ans ». Je viens de recevoir à l’instant un message de Jean Pierre Ostende qui m’écrit que COCKPIT signifiait à l’origine « une arène de combats de coq – cock (coq) and pit (fosse) ». Peut-être que notre revue travaille déjà à une avant-garde à venir. Si ça arrive, tant mieux.