Retour gagnant pour Abir Mukherjee avec le deuxième volet des enquêtes indiennes de Wyndham et Banerjee, duo de policiers impériaux dans l’Inde coloniale du début du XXème siècle. Les princes de Sambalpur paraît le 1er octobre en France (toujours traduit par Fanchita Gonzalez Batlle, aux éditions Liana Levi), une affaire qui mêle habilement Histoire et polar, meurtres et mœurs, poids des traditions et cultures inconciliables.
L’affaire de L’attaque du Calcutta-Darjeeling n’est plus qu’un souvenir pour le capitaine Sam Wyndham et son partenaire (et désormais colocataire) Satyendra Banerjee. La vie a repris son cours, sous la forme d’une mission d’accompagnement du prince héritier du royaume de Sambalpur. Un prince qui a fait ses études à Harrow, se veut moderne et anglophile, invité par le vice-roi des Indes au même titre qu’une vingtaine de nababs, maharajas, nizâms à signer un accord historique. En fait, une allégeance de plus à la couronne britannique…
Les princes de Sambalpur s’ouvre autant sur un assassinat que sur la peinture d’un empire qui entend continuer d’asseoir sa domination : tandis que les deux policiers ne peuvent empêcher ce qui ressemble au crime d’un fanatique religieux, l’enquête qui commence à peine se heurte d’emblée à des considérations politiques et au secrets d’alcôves étatiques. Wyndham et Banerjee doivent dès lors avancer en ménageant les autorités coloniales et les susceptibilités, les coutumes et les protocoles millénaires.
Avec Abir Mukherjee, on ne sait jamais qui, de l’histoire avec un grand H ou du récit policier, précède l’autre. L’auteur excelle toujours à composer des personnages bien trempés qui s’inscrivent dans un contexte historiographique particulier : dans l’Inde coloniale, les Anglais tentent de maintenir le Rule Britannia qui a longtemps présidé aux destinées des provinces, districts, royaumes indigènes. Pour Les princes de Sambalpur, l’auteur semble avoir pris le parti de la lenteur, presque une relative sérénité. Le capitaine Wyndham veut résoudre à tout prix une enquête qui l’emporte d’un bout à l’autre du palais, du zenana interdit aux hommes aux bureaux d’un ministre peut-être corrompu, épaulé par un chef de la garde aux motivations ambiguës, des rues de la ville bengali sous la pluie à la jungle impénétrable ou il devra s’illustrer à nouveau… Wyndham et Banerjee doivent déployer tous leurs talents pour ne pas se retrouver piégés par les faux-semblants et les pièges qui leur sont tendus.
Haletant, intelligent, Les princes de Sambalpur tisse de nombreux fils déjà présents dans l’épisode précédent : on retrouve avec plaisir le personnage d’Annie et l’attraction-répulsion qu’elle exerce sur Sam (toujours en proie à ses démons et à l’opium), la candeur et l’efficacité du brahmane Banerjee. En mêlant intrigue aux ressorts de thriller efficaces et chronique d’un empire vacillant devant la puissance en sommeil d’une nation millénaire, Abir Mukherjee met en scène l’inexorable marche de l’histoire et confirme être un conteur subtil et un redoutable auteur policier.
Abir Mukherjee, Les princes de Sambalpur, traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Batlle, éditions Liana Levi, 368 p., octobre 2020, 20 € (version numérique 15 € 99) — Lire un extrait