Billet proustien (44) : Albertine épouse rêvée de Robert

Proust vers 1890 (Wikipedia Commons)

Quand, dans le Faubourg ou tout au moins au sein du clan Guermantes, les affaires de couple et de mariage ne s’arrangent pas comme il sied, Mme de Marsantes se charge de raccommoder la porcelaine. Dans le domaine des passions, elle voile les vices ; dans celui des intérêts, elle gère les compromis. Et le propos est illustré par trois exemples connus de nous : « Avec la même énergie qu’elle avait autrefois protégé Mme Swann, elle avait aidé le mariage de la fille (la nièce en fait…) de Jupien et fait celui de son propre fils avec Gilberte, usant ainsi pour elle-même, avec une résignation douloureuse, de cette même sagesse atavique dont elle faisait profiter tout le faubourg. Et peut-être n’avait-elle à un certain moment bâclé le mariage de Robert avec Gilberte — ce qui lui avait certainement donné moins de mal et coûté moins de pleurs que de le faire rompre avec Rachel — que dans la peur qu’il ne commençât avec une autre cocotte. »

Et c’est ici que Marcel se souvient d’une réflexion quelque peu cynique que lui fit Saint-Loup et selon laquelle si Albertine avait possédé la fortune exigée par Mme de Marsantes, elle eût été pour lui une épouse convenable au gré du douteux raisonnement que voici : « Il avait voulu dire qu’elle était de Gomorrhe comme lui de Sodome, ou peut-être, s’il n’en était pas encore, ne goûtait-il plus que les femmes qu’il pouvait aimer d’une certaine manière et avec d’autres femmes. »  Et c’est ici que Marcel vient à la rescousse, notant que, si l’orientation sexuelle d’Albertine eût convenu aussi bien à son ami qu’à lui-même c’est pour des raisons toutes opposées, lui pour ramener la jeune femme à une bonne conduite, Robert recherchant les femmes à femmes : « Moi, c’était par le désespoir où j’avais été de l’apprendre, Robert par la satisfaction ; moi pour l’empêcher, grâce à une surveillance perpétuelle, de s’adonner à son goût ; Robert pour le cultiver et pour la liberté qu’il lui laisserait afin qu’elle lui amenât des amies. »

Et du coup, voilà que ceux qui furent deux amis auraient pu se trouver à entretenir — tout cyniquement — la même relation potentielle à la jeune Simonet depuis une même orientation sexuelle de celle-ci.

Albertine disparue, chap. IV, Folio, p. 258-259.