Billet proustien (40) : Qui est Octave? Qui est Cocteau?

Marcel Proust (Wikimedia Commons)

Neveu des Verdurin, Octave vient d’épouser Andrée qui naguère encore le traitait de « misérable ». Mais un autre fait a fasciné Marcel chez Octave : « Ce jeune homme fit représenter des petits sketchs, dans des décors et avec des costumes de lui et qui ont amené dans l’art contemporain une révolution au moins égale à celle accomplie par les Ballets russes. Bref les juges les plus autorisés considérèrent ses œuvres comme quelque chose de capital, presque des œuvres de génie, et je pense d’ailleurs comme eux, ratifiant ainsi, à mon propre étonnement, l’ancienne opinion de Rachel. »

Surprise totale dans le cercle étroit tout au moins. Car ceux qui ont connu Octave à Balbec l’ont tenu pour un snob tout juste passionné de sport. Les plus avertis vont jusqu’à prétendre que les œuvres admirées sont le fait d’Andrée ou encore d’un « nègre ». Quant à Marcel, il avance des hypothèses à propos de ce dandy : « Ou bien il avait été, en effet, pendant de longues années la « brute épaisse » qu’il paraissait, et quelque cataclysme physiologique avait éveillé en lui le génie assoupi comme la Belle au bois dormant ; ou bien à cette époque de sa rhétorique orageuse, de ses recalages au bachot, de ses grosses pertes de jeu de Balbec, de sa crainte de monter dans le « tram » avec des fidèles de sa tante Verdurin à cause de leur vilain habillement, il était déjà un homme de génie, peut-être distrait de son génie, l’ayant laissé la clef sous la porte dans l’effervescence de passions juvéniles ; ou bien, même homme de génie déjà conscient, et si dernier en classe parce que, pendant que le professeur disait des banalités sur Cicéron, lui lisait Rimbaud ou Gœthe. »

Partant de quoi, Marcel s’associe à Octave [ cf. le « moi par exemple »] comme étant l’un et l’autre gens de talent mais non identifiables comme tels à Balbec. Mieux, pour Octave, la création serait affaire si intime qu’il n’y aurait pas lieu d’en parler :  « Qui sait si vu du dehors tel homme de talent ou même un homme sans talent mais aimant les choses de l’esprit, moi par exemple, n’eût pas fait à qui l’eût rencontré à Rivebelle, à l’Hôtel de Balbec, sur la digue de Balbec, l’effet du plus parfait et prétentieux imbécile ? Sans compter que pour Octave les choses de l’art devaient être quelque chose de si intime, de vivant tellement dans les plus secrets replis de lui-même qu’il n’eût sans doute pas eu l’idée d’en parler. »

Et notre sociologue se fend d’une hypothèse à propos de l’époque : « je ne fus pas moins frappé de penser que les chefs-d’œuvre peut-être les plus extraordinaires de notre époque sont sortis non du Concours général, d’une éducation modèle, académique, à la Broglie, mais de la fréquentation des « pesages » et des grands bars.»

Et si Octave était Cocteau — comme le suggèrent une note Folio mais aussi l’allitération en OCT ? Avec Proust et la bande, ce jeune auteur forme d’ailleurs un triangle ludique : « l’éternel malentendu d’un « intellectuel » (représenté en l’espèce par moi) et des gens du monde (représentés par la petite bande) au sujet d’une personne mondaine (le jeune joueur de golf). »  

Marcel Proust, Albertine disparue, chap.II, Folio, pp. 185-187.

Marcel Proust (Wikimedia Commons)