Haïkus du temps qui passe: Bashō, Hokusaï… et Barthes (Le Seuil du jour)

Bashō, Haïkus du temps qui passe. Estampes de Hokusaï © Seuil

Dire et figurer le temps qui passe, journées, saisons et existence : telle est la double saisie des haïkus de Bashō et des estampes de Hokusaï dans un livre magnifique mis à la disposition des lecteurs, le temps du confinement, dans le cadre de l’opération « Le Seuil du jour ».

© Christine Marcandier

Saisir « la cime » et « le pli » : telle est la puissance de la littérature telle que Roland Barthes la commente dans son cours au Collège de France, durant ses séances de décembre 1978, dans la « pulsion » de saisie d’un avant/après ; elle dialectise une distance et une proximité, dans « l’emportement du présent vécu à même l’aventure ». Et si c’est bien la préparation du roman qui occupe ici le théoricien, c’est pourtant le haïku qui lui semble une acmé de la notatio, « c’est-à-dire noter le présent ».

Ainsi pourrait être défini ce qui déploie dans les Haïkus du temps qui passe, des notes aux accords majeurs dans une forme brève, « cette forme de poésie japonaise qu’on appelle le haïku » à laquelle Barthes consacre ses cours à partir de janvier 1979 en ce qu’elle est « une forme exemplaire de la Notation du Présent ». Le haïku est un tercet, c’est là sa « formule canonique », une strophe de trois vers, le premier compte cinq syllabes, le second sept et le dernier cinq (un comptage évidemment complexe à traduire tel quel en français et Barthes souligne combien les essais en ce sens d’Etiemble sont peu convaincants).

Le haïku est une forme contrainte, dans une langue qui nous est majoritairement « très étrangère », « opaque » et pourtant rendue totalement familière dans et par le poème. Tel est le paradoxe de cette forme poétique, son énigme, que Barthes s’attache à déchiffrer dans ses cours, tout en conservant l’enchantement que produit sa lecture, ce qu’il nomme le « Souverain Bien de l’écriture — et du monde, car l’énigme de l’écriture, ce pourquoi on la désire, ce pourquoi elle est tenace, c’est qu’on ne peut jamais la séparer du monde ».

Le haïku pousse cette expérience à sa limite : il fait « avec  ce peu de langage ce que le langage ne peut pas faire par principe et qui est de susciter la chose même », il déploie des saisons que Barthes définit comme le « Temps qu’il fait« , une essence de la vie et de la mémoire, une saisie conjointe du passé et de l’absolu présent, articulant temps et lieu depuis une image fugace ou une circonstance, déployée dans l’infini d’un quasi rien. Telle est l’expérience qui attend le lecteur de ce volume, un double satori, dans la mise en regard des poèmes de Bashō et des estampes de Hokusaï.

Bashō, Haïkus du temps qui passe. Estampes de Hokusaï © Seuil
Bashō, Haïkus du temps qui passe. Estampes de Hokusaï © Seuil
Bashō, Haïkus du temps qui passe. Estampes de Hokusaï © Seuil
Bashō, Haïkus du temps qui passe. Estampes de Hokusaï © Seuil
Bashō, Haïkus du temps qui passe. Estampes de Hokusaï © Seuil

Bashō, Haïkus du temps qui passe. Estampes de Hokusaï, traduction française de Makoto Kemmoku et Dominique Chipot, Seuil, mars 2016, 128 p., 19 € — La lecture intégrale du livre est offerte en suivant ce lien, durant le temps du confinement.