Wifi, tempête et réunions en eaux froides : une semaine au bureau (Vis ma vie 7)

Marseille © Christine Marcandier

Lundi : le retour du retour

C’est quand on va au travail. Lundi « c’était comment ton week-end ? » lundi « ah il est passé si vite ! » On change les habits on cire les chaussures et les gens dedans c’est toujours les mêmes. Lundi ça revient toujours. Ça continue en même temps que ça recommence. Le café du lundi les phrases gentilles les lundis vides qui parlent du week-end et du mardi. L’ordinateur du bureau qui a travaillé tout le week-end tout seul. Il est bien chaud bien plein. Bien content que ça soit à nouveau lundi il est bien. On rouvre la porte du bureau on allume les lumières du lundi. Dehors il pleut c’est lundi en automne il pleut partout sur les fenêtres du travail. Il pleut comme dans un film sur le travail au bureau. Sinon il fait froid. Le vent fait bouger les plantes du jardin du bureau. Il fait tomber les fleurs dans les cendriers du jardin du bureau. Puis dans le ciel la lumière s’éteint trop tôt. Et c’est la pluie lundi qui recommence.

Mardi : réunions

Mardi a le goût du matin. On arrive au travail habillé trempé. Il pleut encore tellement que ça en a fait des flaques devant le bureau, sur le chemin du bureau et dans tous les petits trous de la ville. Tout est rempli, on dirait que ça va bientôt déborder. Si ça continue comme ça. Le ciel est gris comme s’il l’avait toujours été. On distingue bien les contours des bâtiments dans la lumière qui bave. A l’intérieur du bureau il faut froid comme dehors. Les ordinateurs se répondent, on envoie des mails et on répond à des mails. On attend des réponses de mails. Pour se réchauffer pendant la réunion, on a fait du café. On tient le stylo on regarde le plafond et quelqu’un qui prend des notes. On classe les idées par ordre d’importance. Tour de table rapide si quelqu’un veut ajouter quelque chose, autre chose n’importe quoi c’est comme vous voulez et le facteur arrive comme un gros poisson bleu et jaune. Les journaux qu’il apporte sont fondus ensemble. Les petites lettres qui paraissaient importantes sont sauvées. Les gros journaux nous tombent des mains, ils se déchirent tout seuls, ils débordent. Leur encre s’imprime partout sur les mains et partout où on les pose.

Mercredi : after work

Au bureau ceux qui racontent tout et ceux qui ne disent jamais rien. Mercredi en fin de journée, ceux qui partent rapide et ceux qui traînent encore. En plein milieu de la semaine au bureau on ne sait pas ce que font les gens après le bureau. Discussions chronométrées du mercredi fin de journée : l’horloge a fini par tourner « tu fais quelque chose ce soir ? » mercredi « je rejoins des amis » « tu connais ce resto ? » « j’ai mes petites habitudes » et on envoie texto sur texto on écrit « j’arrive » on dit « pardon, j’ai pas écouté ». Dans le bureau du travail personne n’est marié et presque personne n’est en couple. Personne n’a d’argent. Et on sort tous ensemble. Les serveurs des bars voient arriver les gens des bureaux, des petits groupes bizarres où personne ne va avec personne. On ne sait pas qui va payer, on hésite à s’assoir on peut rester debout, on ne sait pas trop quoi faire ni comment se tenir. On est assis toute la journée, on ne sait pas quoi boire. Tout le monde est habillé normal. En noir gris bleu pâle rouille bleu foncé gris clair gris trottoir marron glacé en vert kaki. Tout a le goût du beige.

Jeudi : Atlantide

Petites voix, nouvelles chaussures, regards vifs et bouches en avant. L’amour au bureau comme dans les séries américaines : je passe derrière toi et tu sens ma main sur tes hanches – quand tu parles tu ne regardes que moi. C’est jeudi rendez-vous jeudi comme tous les jeudis, avant c’était mardi mais mardi c’était risqué. Jeudi reste caché et juste avant le week-end on se retrouve comme d’habitude. C’est l’amour insoupçonnable et personne ne voit rien. Au bureau on s’embrasse derrière la porte qui ferme à clefs et sur les piles de papier A4 super plus recyclé. C’est l’aventure au bureau ça intéresse que nous. Ça a commencé à la soirée de Noël au repas de départ du stagiaire, au séminaire de fin d’année, puis « ça peut pas continuer comme ça » « je t’avais bien dit que c’était pas une bonne idée ». Puis c’est fini. Tout le monde fait pareil et ça ne dure pas très longtemps. A l’américaine on garde le pitch on échange les acteurs.

Vendredi : la fin à l’avance

On sait déjà combien de temps on va rester là comme on sait que le vendredi arrive toujours finalement. Le dernier jour tout le monde nous regarde avec des yeux vides. Certains ne nous parlent même plus parce qu’on est comme déjà parti, d’autres font des efforts. Quelques-uns n’aiment pas dire au revoir, d’autres font comme d’habitude, d’autres encore font comme des discours. Certains font des cadeaux. Tous imaginent leur propre départ. Vendredi la journée est longue, tout le travail tout le bureau nous regarde. Tout est extraordinaire. C’est la dernière fois de plein de gestes du bureau. On dit au revoir aux machines et à la machine à café. On regarde la chaise avec un air de nostalgie et on se demande comment on est resté comme ça. Comme ça assis devant l’ordinateur comme ça les jambes croisées dehors les cigarettes glacées comme ça pendu au téléphone comme ça les yeux scotchés à l’écran comme ça pendant les réunions interminables et dans la réserve dans les cartons comme ça à imprimer des trucs comme ça à manger tous ensemble à être fatigué ensemble à se voir tous les jours comme ça à pleuvoir tous les jours comme ça dans le froid et tôt le matin. Comme ça au bureau.