Billet Proustien (13) : Aimable Aimé, experte Rachel

Marcel Proust (Wikimedia Commons)

Saint-Loup et Rachel déjeunent dans un restaurant parisien en compagnie de Marcel. Ils y sont servis par Aimé, le maître d’hôtel connu depuis Balbec et dont le visage a beaucoup de classe. Cela suffit pour que la maîtresse de Robert le fixe avec insistance, ce qui attise, comme à l’ordinaire, la jalousie de Robert. Aimé serait pourtant de tempérament froid, encore qu’il ne dédaigne pas de rendre quelque service sexuel en agent double qu’il peut être :

« Tout au plus quelque Parisienne de passage, s’étant arrêtée une fois dans la ville, avait-elle levé les yeux sur lui, lui avait-elle demandé de venir la servir dans sa chambre avant de reprendre le train, et dans le vide translucide, monotone et profond de cette existence de bon mari et de domestique de province, avait enfoui le secret d’un caprice sans lendemain que personne n’y viendrait jamais découvrir. »

Aimé s’aperçoit de l’insistance de Rachel mais tout autant Robert qui se met en colère en réplique toute en excès à la jeune femme :

« — Voilà que ça commence, j’en étais sûre !

— Mais qu’est-ce qui commence, mon petit ? Si j’ai eu tort, je n’ai rien dit, je veux bien. Mais j’ai tout de même le droit de te mettre en garde contre ce larbin que je connais de Balbec (sans cela je m’en ficherais pas mal), et qui est une des plus grandes fripouilles que la terre ait jamais portées. »

Marcel s’entremet dans la querelle en parlant littérature avec Rachel. Il est alors frappé par la gaucherie de la demoiselle dans ses « gestes du repas ». La comédienne serait-elle aussi maladroite en scène ? Pas au lit en tout cas :

« Elle ne retrouvait de la dextérité que dans l’amour, par cette touchante prescience des femmes qui aiment tant le corps de l’homme qu’elles devinent du premier coup ce qui fera le plus de plaisir à ce corps pourtant si différent du leur. »

Et voilà la comédienne en être bi-face à son tour. Mais d’où Marcel tient-il ces choses ? De l’expérience du bordel où Bloch l’a entraîné ?

(Le Côté de Guermantes, Folio, p. 158-159)