Grand romancier, Émile Zola croyait en l’utilité de la poésie et prêtait à celle-ci un rôle d’orchestration de toute production littéraire. C’est ce que nous rappelle Laurent Demoulin en tête de Poésie (presque) incomplète, un volume joliment illustré de graphismes évoquant l’imprimerie.
Oui, ce Demoulin, vous le connaissez : il est l’auteur de Robinson, roman d’une rare sensibilité qui nous a parlé d’un jeune autiste tout insulaire. Mais Demoulin est aussi poète et grand admirateur de Francis Ponge, auquel il a consacré un bel essai.
Le voici qui, dans un élégant volume, revient à ses amours c’est-à-dire à la poésie et se remet à jongler avec les mots et les mètres. Et c’est une vraie fête, toute au bonheur de célébrer tout ce qui lui passe par la tête et par les yeux du rimeur. De quoi nous donnerons ici quatre exemples en forme d’échantillons, où on trouvera un gentil pompiste, une mouche moche, un insomniaque impertinent et surtout, surtout, de belles baigneuses hollandaises vues en bord de mer et tellement désirables.
Salut pour commencer au Pompiste, cette espèce en voie de disparition. Celui-ci, affilié à la marque SECA et auprès duquel la mère de Laurent ne manquait jamais de s’approvisionner. Chantons donc avec elle la louange de l’homme à la pompe :
« Ô pompiste, ô pompiste, au bord de quelle piste
Valses-tu à présent
Pompiste de jadis, des années utopistes
Quel destin méprisant
T’a banni de ta pompe à l’instar d’un lampiste
Aux feux agonisants » (p. 29)
Mais chantons ensuite une bien autre espèce, toute moche qu’elle soit et menacée de même dans sa reproduction : la MOUCHE. Pour vieux jeu qu’elle paraisse, célébrons-la à son tour :
« Mouche viens-tu d’hier ou du latin musca ?
Ta trompe qui partout nous pompe nul ne trompe :
Nous le savons d’instinct : tu veux qu’elle corrompe
La tarte aux abricots ou la glace au moka
Dont le ressouvenir dans le lointain s’estompe » (p. 33)
Pour suivre, voici l’INSOMNIAQUE, cet étrange personnage de nos nuits, qui ne devrait pas mériter d’éloge. Et pourtant sa duplicité arrache le respect :
« Insomniaque impénitent
Impertinent Insomniaque
Ce n’est qu’à
toi-même que tu
Maladroitement t’adresses
C’est à ton double nocif et nocturne
Qu’à plein temps au mitan de la nuit
Tu écris d’invisibles lettres » (p. 43)
Pour retrouver la paix, l’hommage ultime ira en bonne logique et à même le plaisir des mots au corps féminin, sous les espèces de belles Hollandaises rencontrées qu’un regard avide détaille :
« Tu contemples encore dans l’eau caniculaire
La suave splendeur des peaux nues qui arborent
Leurs seins silencieux, leur sadinet stellaire
Glissant de leur peignoir sans retard ni remords. » (p. 60)
Que dire de plus et comment le dire mieux que dans ce tourniquet de vers donnant le tournis aux confins d’une île ou d’un maillot ?
Laurent Demoulin, Poésie (presque) incomplète, éd. L’Herbe qui tremble, coll. « D’autre part », 100 p., octobre 2018, 14 €