Actes Et Fractures : Encore (Nuits Blanches)

Le nom pourrait exprimer une espérance politique. Il peut aussi renvoyer à quelque chose de plus intime et sensible, des blessures encore vives. Actes Et Fractures est un jeune groupe dont le premier album, Nuits Blanches, présente un concentré de talents et de promesses – disque à la fois, donc, politique, intime et sensible.

De manière fine, les morceaux réunissent divers styles musicaux qui ne sont jamais imités ou simplement juxtaposés. Les compositions agencent tel trait provenant, par exemple, du reggae, avec un autre qui renvoie au flamenco, un autre encore qui introduit du punk ou bien une ambiance rêveusement sud-américaine. « A la folie », qui ouvre l’album, avec son introduction à la guitare sèche, bascule dans un rythme électrique punk-rock, incluant des phrases de trompette, un refrain très mélodique, un final décidément rock’n roll… Un morceau peut être dominé par telle direction musicale – la base rythmique de « En  Verre Et Contre Tout » s’oriente vers la Jamaïque tandis que « Le vent se lève » s’affirme punk-rock – mais chacun inclut, à des degrés divers, ce parti-pris d’hybridation.

Ce qui pourrait passer pour un éclectisme désordonné s’organise dans cet album, au contraire, de manière clairement réussie grâce aux harmoniques, aux articulations musicales, aux arrangements, aux orchestrations fluides et efficaces. On pourrait parler de « fusion », à condition de ne pas entendre par là, simplement, un mélange de styles mais une composition par agencement de traits musicaux divers et créateur d’un style singulier.

Cette hybridation musicale est accentuée par la scansion des textes qui emprunte volontiers au rap et hip-hop mais avec une capacité mélodique parfois traversée d’inflexions qui résonnent avec la chanson réaliste française ou l’immédiateté du punk. Le chant et la voix peuvent passer d’une de ces catégories à l’autre à l’intérieur d’un même morceau, d’une même phrase, à l’occasion d’une transition…

Si la scansion emprunte au rap et hip-hop, les lyrics montrent un talent certain, à distance des jeux de mots désolants, des rimes pauvres, des thématiques monotones qui constituent en France une trop grande partie du discours rap et hip-hop. Si les textes de Nuits Blanches ont en commun avec ces mouvements musicaux la recherche de l’image frappante et de la formule, ils couvrent une gamme plus large de styles et procédés : chroniques, consonnances signifiantes ou purement poétiques, glissements sémantiques et logiques (« J’ai fait les 400 coups / Promené les 101 Dalmatiens »), réalisme, introspection, énoncé socio-politique (sans la lourdeur de Saez), ironie, humour… Les thèmes sont liés à ces styles : constat social et personnel, blessure, rêve et espoir, impasse et création, sentiments murmurés ou exacerbés – l’individu se heurte à l’environnement socio-politique ou à soi, mais cherche un ailleurs, autre chose, quelqu’un ou quelques-uns par lesquels espérer encore et rêver encore, jusqu’au réveil fait de murs et d’un autre rêve d’envol…

Si la voix du chanteur – Loup – est singulière par la palette d’interprétation qu’elle couvre, tour à tour douce et rageuse, mélodieuse ou dissonante, soufflée ou martelée, elle est également remarquable par son timbre, son « grain ». La voix n’est pas du tout formatée, standardisée. Elle  est « exposée » – comme quelqu’un peut exposer son visage, entier et sans protection –, charriant avec elle, dans ses inflexions, son débit, ses accentuations, tout un monde social et personnel, énergique, fracturé, fragile et lyrique. Pas d’Auto-Tune évidemment, pas de diction standardisée. David Bourguignon, ancien musicien de Manu Chao et producteur de Nuits Blanches, choisit justement, la plupart du temps, de mettre cette voix en avant, sans filtre, d’en exposer directement le souffle, le grain, le timbre, les articulations particulières, l’installant quelque part parmi les voix francophones populaires et atypiques qui exposent tout ce qu’elles sont : Mano Solo, Arno…

« Encore », le dernier extrait en date de l’album, synthétise les caractéristiques et qualités de Nuits Blanches. Un désespoir personnel en même temps qu’une espérance, peut-être un amour. Une fragilité qui se dit. Un constat sombre. Un appel à autre chose de meilleur. La voix chante, forte et comme épuisée. Rageuse, perdue, rapide. Vacillante. Et pourtant s’élançant vers la phrase  à venir, pour continuer à vivre, encore…

Actes Et Fractures sera en concert le 17 novembre au « Festival Nomade Tour » de Lons-le-Saunier.