La langue comme lieu commun, les littératures comme lieux choisis : Toni Morrison et Christiane Taubira

© Christine Marcandier

« J’exige un autre centre du monde […] qu’aucun visage de la réalité humaine ne soit poussé sous le silence de l’Histoire ».

Ces mots de Sony Labou Tansi, extraits des Sept solitudes de Lorsa Lopez, sont choisis par Christiane Taubira pour ouvrir sa Baroque sarabande. Ils introduisent parfaitement à ces danses de lectures que nous proposent Tony Morrison et Christiane Taubira. A première vue, elles pourraient sembler comme mêlées en un grand désordre, en réalité, elles introduisent à des télescopages inattendus qui bousculent les rapprochements convenus pour rappeler quelques vérités qu’il est bon de dire : la porosité des frontières en matière de création et l’entrée dans de nouvelles interprétations.

Ta-Nehisi Coates auteur de l’avant-propos des six conférences de Toni Morrison parues sous le titre L’Origine des autres (The Origine of others), écrit que « cette Origine mène son enquête sur le terrain de l’Histoire américaine et s’adresse donc à la plus ancienne et la plus puissante forme de politique identitaire dans l’Histoire américaine : la politique identitaire du racisme (car) […] La déshumanisation raciste n’est pas seulement symbolique : elle délimite les frontières du pouvoir ». Et dans ce ballet de voix et d’écrits qui font prendre conscience d’une nécessaire lucidité pour ouvrir à une Histoire autre, Christiane Taubira, préfaçant en 2017 l’essai de Ta-Nehisi Coates, Le procès de l’Amérique, écrivait : « Nous savons que nous n’avons pas d’autres choix que de rester ensemble. Porter le passé pour qu’il devienne histoire, porter les luttes pour nous remémorer autant les horreurs que les victoires, porter l’héritage pour que deviennent intelligibles les fléaux contemporains de la traite des personnes, des servitudes de toutes sortes, des oppressions et des exclusions, ces crimes raciaux dans les rues américaines ou dans les banlieues françaises, porter ensemble pour rendre possible et évidente la nécessaire convergence des luttes contre toutes les discriminations ».

Toni Morrison et Christiane Taubira le font dans ces essais, différemment mais avec comme socle de leur argumentation la littérature pour la première et la littérature et les arts pour la seconde. Elles remettent ainsi en cause ce que l’on peut nommer le rapt de l’universalité : en effet cette notion n’a été et n’est perçue encore souvent que comme européenne et occidentale. Par leurs analyses et leurs exemples, elles la rendent à l’humanité entière. La première privilégie des extraits de romans américains, les siens et d’autres. Quant à la seconde elle illustre ses propos par des allusions à ses très nombreuses lectures qu’elle offre à un lecteur accueillant à d’autres héritages et références.

Commençons par la grande romancière américaine, prix Nobel de littérature en 1994 : privilège de l’âge, privilège aussi de celle qui a donné une œuvre littéraire considérable à la littérature du monde. Elle nous aide à comprendre, comme le souligne son préfacier, l’emprise que l’Histoire a sur chaque être humain : « L’Origine des Autres expose cette compréhension et, si ce livre ne témoigne pas d’un moyen d’échapper immédiatement à l’emprise du passé, il est une aide bienvenue pour aborder la façon dont cette emprise a vu le jour ».

Les six conférences réunies en recueil ont été données à l’Université d’Harvard en 2016. Son préfacier rappelle une hiérarchie essentielle entre les deux mots : « race » et « racisme » : la race ne précède pas le racisme. Si l’on a adopté cette contre-vérité, c’est pour faire de la race une donnée naturelle et discriminante de l’espèce humaine : « si la « race » est l’œuvre des gènes et des dieux, ou bien des deux, nous pouvons alors nous pardonner de n’avoir jamais débrouillé le problème ». En réalité, « le racisme précède la race ». C’est parce que le racisme a été une nécessité pour affirmer l’inhumanité de l’esclave qu’on a voulu en faire la conséquence de différences raciales supposées entre les Humains. Il fallait « se convaincre soi-même qu’il existe une sorte de ligne de démarcation naturelle et divine entre celui fait esclave et celui qui le devient ».

Cette démonstration de base sous-tend les propos mêmes de la romancière dans ses différentes conférences. Chacune d’elle a un titre simple illustrant la thématique privilégiée. Notons que, dans toutes ses conférences, Toni Morrison s’appuie successivement sur des écrits de médecins, sur des essais plutôt sociologiques ou historiques et sur des romans : c’est à eux que nous nous attacherons.

La première s’intitule, « Embellir la race ». La romancière développe, en trois pages lumineuses de clarté et de simplicité, une analyse de La Case de l’oncle Tom d’Harriet Beecher Stowe (qui a tant fait pleurer dans les chaumières), pour en synthétiser le message essentiel : les esclaves aiment servir ; ils sont gentils et quand ils ne le sont pas, c’est à cause de méchants Blancs. La romancière adresse ce message à son lecteur blanc car elle n’a pas écrit « pour que Tom, Chloé, ni quiconque parmi les Noirs la lisent. Le lectorat de son époque était composé de Blancs, de ceux qui avaient besoin de cet embellissement, qui le voulaient ou qui pouvaient le savourer ». Cet embellissement fonctionne comme « une protection littéraire » de l’écrivaine elle-même, contre sa propre peur des esclaves. Ainsi Toni Morrison analyse la manière dont elle s’y prend pour aménager tout en douceur « l’Espace noir », incitant, le Blanc, son « lecteur blanc craintif », à y pénétrer sans appréhension. La description a une fonction d’apaisement. En 2008, une étude de Lucia Dumont dans un collectif, Esclavage, Esclavages (Cergy-Pontoise) analysait dans toutes ses dimensions le contexte de l’écriture de ce roman et son impact. Retenons ce qu’elle signale et qui va dans le sens de Toni Morrison : « après la Guerre Civile toutefois, « Uncle Tom » est devenu une insulte suprême de la part des Noirs. Les définitions des dictionnaires soulignent le caractère péjoratif, insultant, méprisant de cette expression. L’Oncle Tom est le Noir qui reste à sa place, dans sa condition d’être inférieur soumis et servile et qui en est satisfait ».

La seconde conférence a pour thème, « Être ou devenir l’étranger » : Tony Morrison s’y interroge sur le besoin que l’on a de créer l’Autre. Pour cela, elle s’appuie cette fois sur l’analyse de la nouvelle de Flannery O’Connor, « Le Nègre factice ». Les critiques affirment, habituellement, que les Noirs n’apparaissent que de façon occasionnelle dans les écrits de cette écrivaine du Sud. Toni Morrison soutient un autre point de vue : « Cette histoire décrit de façon minutieuse comment et pourquoi les Noirs sont si indispensables à une définition blanche de l’humanité ». Et elle sélectionne des passages pour démontrer comment se fait l’éducation d’un jeune Blanc, comment on lui apprend à inventer le Noir pour se définir soi-même dans la différence, la supériorité et la pratique du pouvoir. Elle propose ensuite une appréciation des récits d’esclaves « pour comprendre le processus de fabrication de l’Autre ». Et elle s’attarde sur deux récits qu’il est difficile d’ignorer aujourd’hui puisqu’ils ont été réédités, La Véritable histoire de Mary Prince, esclave antillaise, récit de 1931, et Incidents dans la vie d’une jeune esclave d’Harriet Jacobs, de 1861. Puis Tony Morrison examine ses propres romans, ceux dans lesquels elle a exploré cette « énigme » de l’invention de l’Autre pour se définir soi-même : Un Don et Paradis. L’étranger que nous croyions découvrir comme extérieur à nous n’est qu’une partie de nous-même que nous ne reconnaissons pas ou que nous ne voulons pas voir.

La troisième conférence porte sur « L’obsession de la couleur ». Cette fois Morrison s’attaque aux gros calibres, si l’on peut dire, du roman américain avec Faulkner et Hemingway. Pour le premier, elle choisit Le Bruit et la fureur et Absalon, Absalon ! : elle montre les visages des relations sexuelles. Le viol est normal – elle a bien montré dans la première conférence combien le viol était une activité quasi-quotidienne des propriétaires d’esclaves – : ce qui est « scandaleux, illégal et abject », c’est une relation sexuelle consentie entre Noirs et Blancs. Lorsque cela arrive, la sanction est le meurtre. Pour Hemingway, elle évoque En avoir ou pas et Le Jardin d’Eden. Il n’est pas étonnant que le colorisme ait été un élément fondamental des romans américains puisqu’il était la loi dans les différents États. D’ailleurs, les immigrants venant en Amérique avaient une seule obligation : devenir blancs s’ils voulaient s’intégrer. Cela signifie adopter et pratiquer tout ce qui fait que vous êtes un Blanc face au Noir : « Les Africains et leurs descendants, eux, n’ont jamais eu ce choix, comme l’illustre une littérature si abondante. Je me suis intéressée à l’évocation des Noirs par la culture plutôt que par la couleur de peau ».

C’est ainsi que Tony Morrison a eu le souci d’évacuer la mention de la couleur dans certains romans comme Paradis, Home, L’œil le plus bleu, Délivrances. Mais son éditeur l’a rappelée à l’ordre pour qu’elle réintroduise des indices sur la couleur : « Dans Délivrances, la couleur est à la fois un fléau et une bénédiction, un marteau et un anneau d’or. Bien qu’aucun des deux, ni le marteau ni l’anneau, n’ait contribué à faire du personnage un être humain compatissant. Seul le fait de s’occuper d’autrui de façon désintéressée marque l’accomplissement de la maturité véritable ».

Elle reconnaît qu’écrire de façon non coloriste sur les Noirs a été ardu et en même temps libérateur. Elle ne pense pas s’être adonnée au « blanchissage littéraire » car son but était et est de « neutraliser le racisme mesquin, d’anéantir et de discréditer l’obsession ordinaire, facile et accessible de la couleur, qui rappelle l’esclavage lui-même ». D’où les questions posées à Faulkner et à Hemingway : « Quelle part de tension ou d’intérêt Ernest Hemingway aurait-il perdue s’il avait utilisé uniquement le nom de baptême de Welsey ? Quelle part de fascination et de scandale serait étouffée si Faulkner avait limité le propos central du livre à l’inceste plutôt qu’à la malédiction théâtrale de l’unique goutte de sang »… noir, bien évidemment !

La quatrième conférence explore la « Configuration de la noirceur ». La romancière a fait une étude sociologique de l’Histoire des villes noires. Elle revient, une fois encore, sur Paradis, roman où elle a joué « avec ces concepts de noirceur confus et déroutants » : « Je tenais simultanément à neutraliser et à théâtraliser la race en indiquant, espérais-je, à quel point cette construction était fluctuante et désespérément absurde. En outre, franchement, savez-vous quelque chose de ces personnages quand vous connaissez leur race ? Quoi que ce soit ? »

La cinquième conférence est entièrement consacrée à son roman inoubliable, Beloved, sous le titre « Raconter l’autre ». Elle revient longuement sur la manière dont elle a travaillé à partir de l’histoire vraie de Margaret Garner (du Kentucky à l’Ohio) et combien elle a laissé son imagination enrichir le fait. Elle conclut : « Aussi fascinante que soit la vie de la véritable Margaret Garner, c’est l’enfant assassinée qui constitue le cœur et le développement du roman. Imaginer cette enfant était pour moi l’âme de l’art, ainsi que son squelette.
Le roman fournit une vaste friche contrôlée, une occasion d’être et de devenir l’Autre. L’étranger. Avec compassion, lucidité et le risque de l’examen de conscience. Dans cette itération, pour moi qui suis l’auteur, la jeune Beloved, celle qui hante, est l’ultime Autre. Qui revendique, à jamais revendique un baiser ».

La sixième et dernière conférence, « La patrie de l’étranger », reprend une réflexion déjà entamée lorsque Toni Morrison fut l’invitée d’honneur du Musée du Louvre en novembre 2006. Elle commence par décrire les grands mouvements migratoires dans le monde aujourd’hui : « Une bonne partie de cet exode peut être décrite comme le voyage des colonisés vers le siège des colons (les esclaves, en quelque sorte, quittant la plantation pour se diriger vers le domicile du planteur), pendant qu’une plus grande partie représente la fuite de réfugiés de guerre et (dans une moindre mesure) la délocalisation et la transplantation des classes de gestionnaires et de diplomates aux avant-postes de la mondialisation ». On ne peut pas ne pas parler alors de frontières, d’espaces poreux ou sensibles « où le concept de patrie est perçu comme menacé par les étrangers ». C’est le résultat de la grande peur de la mondialisation assortie à une incapacité de nous reconnaître dans l’étranger. Cette fois, le roman qu’elle privilégie est celui du romancier guinéen (et non ghanéen, erreur de traduction ?) Camara Laye, Le Regard du roi (1950), pour « commenter le poison de l’extranéité ». Au passage aussi, elle effleure Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad et L’étranger de Camus, pour les romans occidentaux des années 1950 : « Dans un roman après l’autre, une nouvelle après l’autre, l’Afrique est en même temps innocente et corrompue, sauvage et pure, irrationnelle et sage ».

Dans Baroque sarabande, au cours de l’une de ses énumérations de romans qui vous réveillent, Christiane Taubira cite Toni Morrison : « Toni Morrison ne vous laisse aucun répit ni sur la coloration du monde ni sur ses effets d’optique ni sur le vertige d’habiter la Terre tout en explorant chez soi avec un lyrisme incisif, oxymore d’un génie imaginatif et d’une puissance du verbe qui effarouchent le réel pour mieux déboiser des champs nouveaux de liberté ». Quelques pages plus loin, elle rappelle justement les grands mouvements migratoires actuels que la romancière américaine avait évoqués au Louvre. (Invitée au Louvre. Étranger chez soi). C’est dire si, en lisant cet essai, on se retrouve en terrain familier. Mais la réalité qu’interpellent les deux intellectuelles est à la fois la même et différente. Et elles n’adoptent pas la même stratégie d’écriture pour déranger le lecteur. Là où nous avons vu Toni Morrison faire halte sur des exemples précis qu’elle analysait, Christiane Taubira choisit le vol de l’abeille : « Il nous fait grand bien de butiner, picorer parfois dans le plus grand désordre, sans la moindre préoccupation d’utilité, pour connaître et pour le plaisir, ainsi instruits et édifiés par des mentors de toutes sortes ».

C’est, en quelque sorte, un art et une pratique de la lecture qu’offre Christiane Taubira, un éloge de la lecture. Notons qu’elle cite très souvent des artistes autres qu’écrivains : peintres, musiciens, chanteurs : nous retenons, dans cette présentation, la littérature. Les écrivains et les œuvres qu’elle convoque ne le sont pas dans le désordre, même si leur cohabitation peut souvent sembler bizarre… baroque ! C’est à dessein que l’essayiste fait se télescoper des noms jamais mis côte à côte. Des noms et des titres sont donnés dans plusieurs énumérations qui essaiment dans tout l’essai ; des extraits sont cités, souvent de poèmes qui permettent de s’attarder un instant avec tel ou tel auteur. L’ordre de la démonstration est l’armature même de l’essai. L’ensemble se divise en trois parties, chacune ayant des fragments ou scansions, la plupart du temps courts, sans jamais de titre fédérateur.

La première partie est de onze scansions, la seconde de quatorze et la troisième de dix. Chacune occupe respectivement environ une soixantaine de pages et est ouverte par une citation mise en exergue : longue citation de Sony Labou Tansi – dont nous avons retenu deux énoncés en tête de cet article – pour la première partie ; citation de Bachelard extraite de La Poétique de la rêverie pour la seconde et citation en anglais de George Orwell pour la troisième. C’est un ensemble très recherché où pour être de plain-pied avec la voix de l’essayiste, il faut partager une grande partie au moins de sa culture. La bibliographie finale donne néanmoins les références à partir desquelles le lecteur peut enrichir sa bibliothèque personnelle.

Chaque fragment explore un point d’orgue ; on ne peut les énumérer tous. Dans la première partie, le premier fragment a comme point d’orgue, le refus de la langue comme contrainte. Bien évidemment les écrivains sont ceux qui, par excellence, se libèrent des contraintes de la langue et jouent avec elles. Mais tout locuteur doit se libérer de ces contraintes car, même quand elle domine et dénie, la langue offre la liberté. Le second fragment s’élève contre la domination et le rapt par l’Europe de la notion d’universalité ; partout les langues européennes ont été revigorées par les locuteurs de leurs possessions coloniales : l’universalité est bien mondiale et le monolinguisme, un leurre. Des jaillissements créatifs sont observables dans les romans. Le troisième fragment remet en cause les raisonnements binaires : la binarité du Noir vs Blanc est l’exemple donné qui rejoint Toni Morrison, mais aussi Césaire et Fanon. Ainsi on va parler de « traite négrière » alors qu’il faudrait dire « commerce d’êtres humains ». Christiane Taubira revisite aussi, à grands renforts de formules qui font mouche, les philosophes des Lumières puis ceux qui ont suivi. Mais il ne faut pas remplacer une binarité par une autre. Il n’y a pas des saints d’un côté et des monstres de l’autre. Ce qui entraîne la dominante du fragment quatre : ne pas idéaliser le passé des peuples dominés et ne pas faire de leur gloire lorsqu’elle est attestée par l’Histoire, un argument d’autorité : « Soyons encore plus clairs. Il reste possible de se gargariser des splendeurs de l’empire mandingue, de nourrir de la nostalgie pour l’empire songhay en se souvenant que l’on montait à cheval à Gao […] Mais voilà que Fanon s’en mêle pour nous demander ce que cela change pour les enfants de cinq ans qui travaillent dans les champs de canne à sucre. […]
Allez, savourons les démonstrations érudites de Cheikh Anta Diop sur l’origine africaine de la civilisation égypto-nubienne. Puis, revigorés, donnons l’assaut aux injustices qui perdurent, aux archaïsmes qui se cramponnent, aux violences qui persistent, aux survivances de cette sauvagerie bien humaine qui consiste à anéantir sa propre espèce. Ceci étant posé sans nous démoraliser des bégaiements de l’histoire tragique, du génocide amérindien à la traite négrière, du massacre des Hereros et des Namas aux goulags, du génocide arménien à l’holocauste, de Srebrenica au génocide tutsi, de l’apartheid à la chasse aux Rohingyas… mais aussi de l’interminable et sanglante impasse en Palestine. Regarder clair pour agir juste et fort ».

Les opprimés, les dominés sont appelés à une tâche surhumaine : celle de ne pas en rester au ressentiment et donc de se dépasser sans jamais prendre le passé comme excuse. C’est bien une sorte de discours sur l’état du monde, illustré par l’apport des écrivains et des artistes que nous lisons. Car Christiane Taubira ne cite pas seulement ceux qui l’ont enchantée, formée, guidée – et Césaire est celui qui revient dans de nombreuses pages de l’essai –, mais elle évoque aussi ceux qui l’ont blessée et l’ont obligée à forger ses armes. Sarabande baroque ne peut se résumer car c’est un mouvement : l’essai est à lire et à relire… et pourquoi pas à haute voix pour mieux entendre la voix qui nous parle et nous exhorte à toujours plus d’attention aux signes du monde que les poètes portent à leur plus haut degré de signification mais que tous les artistes bousculent pour faire éclore d’autres significations.

« Voilà bien ce qu’il s’agit de faire, entretenir le feu. Contre l’adversité, contre les interdits, contre la violence qui semble gratuite mais dessert un dessein, celui d’un ordre social où les places sont attribuées. Ne pas obéir. Ne se laisser ni asservir ni accabler […] Refuser l’exil symbolique. Accéder au baroque bénéfique. Ce baroque-là même qui « rompt toute certitude orthodoxe de limite, d’unité, d’espace borné, d’angle de vue privilégié, pour tout changer –espace et temps, rêve et réalité – en objet d’une floraison dynamique, sans axe centrique par nature, soumises aux lois du mouvement plus qu’à celles de l’essence », tel que le définit Carlos Fuentes ».

Chaque fois que l’on cherche une voie, une réponse, un livre peut nous éclairer. Comme l’écrit Toni Morrison, « lire et écrire, cela veut dire être conscient des notions de risque et de sécurité propres à un écrivain, de son accession sereine au sens et à une certaine capacité de réponse, ou de son combat fiévreux pour y parvenir ».

Toni Morrison, L’Origine des autres, préface de Ta-Nehisi Coates, traduit de l’américain par Christine Laferrière, Christian Bourgois éditeur, mars 2018, 91 p., 13 €

Christiane Taubira, Baroque sarabande, éd. Philippe Rey, avril 2018, 172 p., 9 € 80