Dans Le Plus et le moins, Erri de Luca rassemble des récits et des histoires. Il nous avait expliqué, dans l’entretien qu’il nous avait accordé en 2016, avoir été contraint à cette forme par l’épisode judiciaire qu’il a traversé : son opposition au projet de TGV Lyon-Turin lui ayant valu une accusation d’« incitation au sabotage », avant sa relaxe en octobre 2015, il ne pouvait plus écrire que des textes courts, il ne pouvait se permettre l’ampleur du roman. Pourtant force est de constater, en lisant Le Plus et le moins, combien cette structure fragmentée permet à l’écrivain de trouver une liberté dans la contrainte (ce qui est en soi une réponse au procès), de s’évader de tout nombrilisme (alors même qu’il livre ici une cartographie de son histoire et des lieux qui le traversent), d’être ce « pion d’échiquier » qui ne connaît « que le mouvement en avant, vers la case suivante », comme d’ouvrir une porte à l’imaginaire du lecteur, partie prenante du livre en ce qu’il fait le lien entre les différents texte et rêve à cette géographie littéraire.
Le Plus et le moins est le livre des débuts et des origines : la naissance du désir d’écrire, la découverte de la puissance de l’imaginaire comme de l’injustice qui l’accompagne, dans le texte d’ouverture, la fable du pantalon long ; le premier baiser ; des renaissances aussi, quand le rapport aux parents se transforme, devient un choix et non plus une simple filiation, quand le prénom hérité devient un prénom d’écriture.
C’est tout l’univers d’Erri de Luca que le lecteur retrouve dans ce livre : l’alpinisme, « sévère formule de la vérité », les langues, l’engagement citoyen (« faire de l’écriture un corps de délit qui dérange leur discipline »), l’attention aux choses vues et entendues, les histoires entendues rassemblées pour être transmises. C’est aussi l’Italie dans ses contrastes, sa cuisine, sa géographie, ses îles, Naples. C’est l’histoire, de la seconde guerre mondiale à aujourd’hui, en passant par les « jours d’impatience » — 68, centre de rayonnement du livre avec Naples — et les années de plomb qu’Erri de Luca préfère appeler années de cuivre, « le meilleur conducteur de cette énergie électrique de transformation ».
C’est la lecture, le deuil, être absent à soi pour être présent au monde et aux autres, Bob Dylan, les bistrots, tout ce qui compose ce que Bohumil Hrabal a appelé Une trop bruyante solitude :
« Tel est l’état de mon crâne, pris d’assaut par des essaims d’histoires qui créent une ruche dans mon vide. J’ai appris ainsi que pour être écrire il faut être libre, expulsé, comme un logement où arrivent les histoires, par caravanes tziganes en quête de l’espace de personne ».
Erri de Luca, Le Plus et le moins, traduit de l’italien par Danièle Valin, éditions Folio, 2018, 208 p., 7 € 80 — Lire un extrait