Jonathan Capdevielle : « La vérité n’est jamais très jamais loin » (Adishatz/Adieu)

© Adishatz / Adieu / crédit photo : Alain Monot

« The truth is never far behind » : le tube de Madonna, parmi ceux qu’entonne Jonathan Capdevielle dans la longue ouverture de son spectacle, jean et sweat informes, canette de soda à la main, pourrait en dire l’objet. Dire une vérité, jamais frontalement, ou dans une frontalité d’autant plus sidérante pour le spectateur qu’elle s’énonce dans un croisement de chansons, de mots dont il doit lui-même, pour une part, reconstruire le sens. Quelque chose pèse sur ce medley d’un adolescent paumé des années 90, un secret, une violence et/ou une quête identitaire, on imagine le pire, il ne sera jamais loin derrière, comme la vérité.

« I have a tale to tell
Sometimes it gets so hard to hide it well
I was not ready for the fall
Too blind to see the writing on the wall

A man can tell a thousand lies
I’ve learned my lesson well
Hope I live to tell
The secret I have learned, ’till then
It will burn inside of m
e », poursuit Madonna, et la voix de Jonathan Capdevielle s’élève sur la scène du théâtre du Bois de l’Aune, à Aix-en-Provence, ce 12 octobre dernier, elle construit une fragile cathédrale de sons, de mots, de confessions biaisées, entre beauté et brûlure.

Le medley est interminable, des rires fusent dans la salle dont on ignore s’ils libèrent une gêne ou disent maladroitement une connivence. La gêne de l’adolescent sur scène est communicative, bouleversante ; à la surprise succède une écoute attentive des paroles, que disent-elles de lui ? Pourquoi celles-ci parmi le répertoire de Madonna ? « Lucky Star », « Vogue », « Papa don’t preach »… Papa qui appelle, justement, ne comprend pas ce que fait son fils, qui lui annonce être en plein spectacle, pas le moment. Le spectacle laisse les tableaux se succéder, sans véritable transition, sinon celle que le public reconstruit, dans une intranquillité et un trouble constant.

L’adolescent, passage du temps en accéléré, s’est mué en jeune homme, il est au fond de la scène, assis devant un miroir, il se dévêt lentement de ses oripeaux d’ado ; dans la pénombre, on devine qu’il enfile un vêtement en lamé, une robe ?, la lumière éclaire son visage, il se maquille, perruque blonde platine comme une trouée dans une scène visuellement suspendue, à l’esthétique proche de Lynch ou du Wenders de Paris Texas. La conversation se poursuit, le portrait en creux et snapshots et shortcuts du jeune homme aussi, l’exposition à la fois brute et fragile de soi. Chaque épisode du spectacle entre en écho avec l’intime du spectateur, qu’il s’agisse de la maladie d’un proche, à l’hôpital, d’une scène de boîte de nuit, et toujours le pire en creux, dans le pli du non dit, d’autant plus fort. Jonathan Capdevielle chante, danse, la pop lui est expression.

La crise identitaire est déployée dans une polyphonie, le je éclaté en des voix multiples, des tessitures variées, des langues, de Madonna à Purcell ou Cabrel en passant par des chansons paillardes ou des chants traditionnels pyrénéens. L’implicite se construit dans un tissu, vocal, visuel, par des confluences ou le choc des tableaux qui se succèdent sans transition véritable, dans une juxtaposition venant dire une crise et un chaos, provoquer un trouble.

Pour tenter de se cerner, le moi exposé imite, recompose, traduit, parle en tant que lui-même et autre, a capella, sans le masque de la musique, sa fausse pudeur. Ainsi se compose un autoportrait en brisures, une forme de carnet intime par fragments et scènes, hanté de fantômes et passés, entre matériau autobiographique et fiction, document et confession : « A tale to tell », « I live to tell ».

Jonathan Capdevielle, Adishatz/Adieu, Théâtre du Rond Point, Paris, du 12 décembre 2017 au 2 janvier 2017.

© Adishatz / Adieu / crédit photo : Alain Monot