Le fait divers qui sert de point nodal au sixième épisode de la série documentaire d’Arte pourrait avoir échappé à nos mémoires collectives : au printemps 1924, à Hanovre, les ossements de jeunes hommes sont découverts dans la Leine. Un homme est rapidement arrêté, il s’agit d’un brocanteur, Fritz Haarmann, homosexuel, accusé d’avoir assassiné ses amants. La presse lui forge une épithète, « le vampire », « le boucher », opération qui est le signe onomastique d’une affaire destinée à entrer dans les annales du crime.
Le fait divers va marquer les esprits de l’époque. C’est d’abord l’atrocité de l’affaire qui fascine journaux et public, le caractère sexuel des meurtres, le nombre colossal de victimes (22), le fait, redoublant l’horreur de l’ensemble, que le coupable vendait des vêtements et de la viande (humaine ?) et qu’il était par ailleurs indic pour la police de la ville. Des articles paraissent alors dans la presse nationale, le fait divers devient une affaire d’État. La police d’Hanovre, dans la tourmente, décide de produire un film pour identifier les victimes, film rapidement interdit à la demande de la droite nationaliste. Là est la dimension politique de ce fait divers, venant cristalliser les tensions de la République de Weimar, accusée par les nationalistes d’avoir produit un criminel dégénéré.

Haarmann, le Vampire de Hanovre (six ans plus tard celui de Düsseldorf inspirera M le Maudit à Fritz Lang), est le symptôme d’une époque en crise. Il est, comme le dit Lionel Richard, éminent spécialiste de ces décennies, un individu qui devient un « personnage » soit « une entité métaphorique de tous les problèmes de la République de Weimar », dont la presse se fait l’écho et la chambre d’amplification. Dans les médias conservateurs et d’extrême droite, le coupable est le symbole du lien supposé de l’homosexualité et de la criminalité, l’affaire idéale pour empêcher les réformes espérées par le régime (dont l’abolition de la peine de mort). « L’élan progressiste se brise sur un fait divers » qui, par nombre de ses éléments, annonce la vague brune et le régime hitlérien.
Fritz Haarmann, un vampire dans la république de Weimar (Arte), samedi 23 septembre, 16 h 55 2017, 26 mn – Collection documentaire d’Emmanuel Blanchard et Dominique Kalifa – Réalisation : Katia Chapoutier – Coproduction : ARTE France, Program33.