Faits divers, l’Histoire à la Une (4) : L’affaire Soleilland, l’enfance assassinée (Arte)

L'Affaire Soleilland, l'enfance assassinée © Arte

Paris, janvier 1907 : c’est dans le contexte d’un débat national sur l’abolition de la peine de mort qu’intervient un crime odieux, l’affaire Soleilland, le meurtre d’une petite fille de onze ans. Exploité par la presse, le fait divers aura pour conséquence une parenthèse de plus de 70 ans avant le vote, en France, de l’abolition de la peine capitale, illustrant le lien quasi consubstantiel entre le meurtre d’enfant et ce type de peine. Quatrième volet de la série « Fait divers, l’Histoire à la une », ce documentaire exceptionnel met en perspective deux contextes historiques, via deux affaires centrées sur le meurtre d’un enfant et deux débats aux conséquences diamétralement opposées, l’affaire Soleilland et l’affaire Patrick Henry.

En 1907, Marthe Erbelding, 11 ans, est assassinée et il apparaît bientôt que son meurtrier est un ami de la famille, Albert Soleilland, qui a non seulement poignardé mais violé la petite fille. Les journaux parlent très vite d’un « monstre », tous les protagonistes de l’affaire (famille de la victime, femme du criminel) sont traqués, interrogés par les faits-diversiers, l’affaire a un retentissement national et soulève une émotion terrible.

 

Les obsèques de « la petite Marthe » sont documentées par les photographes, l’affaire nourrit un feuilleton médiatique, qui pourrait retomber après la découverte du coupable et ses aveux, de fait dénouement du fait divers. Mais la presse relance l’histoire en une en soulevant le scandale d’une grâce présidentielle probable si le meurtrier est condamné, dans le contexte d’une volonté d’abolition de la peine capitale.

Affaire Soleilland, Le Petit Journal, février 1907

Le 26 juillet, Albert Soleilland est condamné à mort et malgré une campagne de presse demandant au président d’être sans pitié, Fallières commue la peine capitale en travaux forcés, le condamné est conduit à Saint-Martin de Ré vers Cayenne. Les médias se déchaînent.

On est dans le contexte de la belle époque, dont un livre récent de Dominique Kalifa a souligné les paradoxes : La véritable histoire de la « Belle Époque », ce ne sont pas les images d’Épinal et les médaillons insouciants et frivoles qui ont imprimé notre imaginaire, ou pas seulement.
Si la prospérité, les divertissements, la croyance au progrès, une forme de « grand dimanche de la vie » sont bien là, l’envers du décor ne doit pas être effacé du tableau. Le contexte historique factuel, au delà de l’adjectif et de ce « passé recomposé », ce sont aussi des tensions sociales, un moment qui conduit à la grande boucherie de la Première Guerre mondiale, des inquiétudes et paradoxes que l’affaire Soleilland concentre en grande partie.

La presse, de masse et à fort tirage, pèse encore sur le jeu démocratique or elle voit dans l’abolition possible de la peine de mort une menace sociale : les journaux jouent sur la peur des Apaches et d’une violence urbaine endémique, dans le contexte d’une « Belle Époque » du crime devenu objet de récits et feuilletons, littéraires comme médiatiques. Articles et une nourrissent un discours d’insécurité, de menace, de répression inefficace, présentant le bagne — de fait « guillotine sèche » — comme un quasi camp de vacances (cf. la une du Petit Journal).
Le départ d’Albert Soleilland pour Cayenne et les Travaux Forcés serait donc le symptôme inacceptable d’une crise.
Le Petit Parisien, en octobre 1907, organise auprès de ses lecteurs un referendum sur la peine de mort, accompagné d’un grand jeu concours (!), et rassemble plus d’un million de voix contre l’abolition.

Le débat parlementaire en octobre et novembre 1908 connait une issue prévisible : la peine capitale est maintenue et dès le mois de janvier la guillotine reprend du service avec pas moins de 7 exécutions en un mois.  C’est cette articulation crime d’enfant / campagne médiatique / débat national / vote parlementaire qui est interrogée par le documentaire, avec la mise en perspective de l’affaire Soleilland avec une affaire plus contemporaine, celle du meurtre d’un enfant par un proche de la famille, Patrick Henry, dans le contexte des années 80. Si la télévision est devenue la presse de masse, c’est bien un journal, Le Parisien qui organise encore un sondage populaire (recueillant 99 % de oui au maintien de la peine de mort). Mais Robert Badinter fera de la défense de son client le procès de la guillotine, aboutissant à l’abolition de la peine de mort, en 1981. Ce diptyque fait diversier au centre de ce documentaire est un tableau social, historique et culturel à ne pas manquer, demain, sur Arte, une interrogation passionnante de nos imaginaires du crime et de leurs répercussions sur les débats publics et législatifs.

  • « L’Affaire Soleilland, l’enfance assassinée », Faits divers l’Histoire à la une, Collection documentaire d’Emmanuel Blanchard et Dominique Kalifa (France, 2017, 10x26mn) – Réalisation : France Swimberge et Dominique Kalifa – Coproduction : ARTE France, Program33 — Samedi 16 septembre, 16h55.
  • Dominique Kalifa, La véritable histoire de la « Belle Époque », Fayard « Histoire », 2017, 296 p., 20 € (14 € 99 en version numérique) — Lire un extrait
  • Dominique Kalifa, L’Encre et le sang, Récits de crimes et société à la Belle Époque, Fayard, 1995.