En 1980, dans sa préface à QHS : Quartier de Haute Sécurité (Stock), Michel Foucault écrit : « voici un rude document ». Non « un témoignage de plus sur la vie carcérale » mais une « expérience » depuis « un point névralgique du système pénitentiaire », ce qu’il nomme une «asphyxie cubique ». Rappeler ces mots de Foucault aujourd’hui, c’est dire la force d’un livre, son empreinte sur plusieurs générations, dire l’importance d’un nom, Roger Knobelspiess, à jamais associé à un combat contre l’injustice et l’enfermement.
Le 4 mars 1972, Roger Knobelspiess écopait de 25 ans de prison pour braquage, condamné par la cour d’assises de l’Eure quand bien même il clamait son innocence et a fourni un alibi. En 1976, profitant d’une permission, il se fait la belle et commence une carrière de braqueur. Nouvelle arrestation, nouvelle condamnation.
François Mitterrand gracie Roger Knobelspiess en novembre 1981, le taulard-écrivain devient un symbole. Pour les uns de l’erreur judiciaire, pour les autres du laxisme de la gauche. Mais en prison, pendant 10 ans, Roger Knobelspiess est surtout devenu un auteur, dénonçant l’enfermement et « les inégalités de la société bourgeoise » : « Il y en a qui se contentent de naître, à bon port, sous le soleil. Les exclus, les damnés, flamboient comme ils peuvent. » (QHS)
« Mon stylo, c’est ma vie bafouée, mon encre, c’est mon sang martyrisé, mon talent, c’est ma tête relevée ». Il relève la tête en publiant des livres, en écrivant dans les colonnes de Libération, en se faisant la voix de ceux que l’on enferme. Claude Mauriac, Jean Genet, Simone Signoret et d’autres le soutiennent, Jacques Higelin composera, en 1988, la Ballade pour Roger.
Sa vie — qu’il racontera dans Voleur de poules — n’est pas linéaire, « Klop » se voit accusé d’avoir participé à une fusillade contre des gendarmes, d’avoir attaqué un fourgon blindé, mais il reconnaît avoir participé à un hold-up en 1989. Il aura ainsi passé 26 ans en prison, dont 8 en QHS.
Libéré définitivement en 1990, il sera acteur (chez Mocky ou Tavernier), il publiera des livres, le dernier est une BD illustrée par Louis Chabane, Mesrine, L’Évasion impossible (Casterman, 2008), un album graphiquement maladroit mais puissant dans son évocation de l’ex-Ennemi public n°1. Et pour cause : Roger Knobelspiess a connu Mesrine à la prison de la Santé. L’album vaut pour la précision des souvenirs de Roger Knobelspiess, l’acuité de son regard (de l’intérieur) quand il s’agit de rappeler les faits, de détailler le quotidien des taulards et de distiller quelques vérités oubliées.
Si l’histoire est romancée et Mesrine mis en scène, tel un héros de cinéma ou de roman populaire, Roger Knobelspiess parle d’autre chose, de quelqu’un d’autre que son héros et compagnon de cellule… de lui-même ? De l’univers carcéral assurément et par la bande. Il dit la corruption, les gardiens complices, les directeurs dénués de toute compassion, la réhabilitation et la rédemption impossibles, l’’enfermement, la solitude, la violence.
L’Évasion impossible pourrait en somme dire Roger Knobelspiess, mort dimanche à l’âge de 67 ans, « entré par effraction dans l’éternité », comme il le disait de Jacques Mesrine.