December 10, 2014 (Fifty-Three Days, journaux américains, 53)

© Franck Gérard. Avec le soutien de l'Institut Français et de la ville de Nantes

LOS ANGELES /MARSEILLE /NANTES /Twenty-seventh day

Épilogue.

Je suis de retour chez moi : il pleut sur Nantes. C’est un cliché, je le sais bien ; c’est une « image » rattachée à la ville où je vis. Mais je sais que dans une heure ou deux, le soleil apparaîtra et que, peut-être, la bruine s’installera de nouveau. C’est aussi cela que j’aime ici : la résistance du temps, le vent qui chasse les nuages, les fait revenir. Les journées ne se ressemblent jamais.

J’apprends qu’il fait froid, que c’est « la tempête » à Los Angeles, depuis que je suis parti. J’ai bien vu les nuages chargés arriver à travers le hublot de l’avion, attendant le décollage. Nous les avons traversés, survolés ; c’était d’une divine beauté de voir ce ciel du dessus, avec ce début de lumière orangée, là-bas, au loin, au-dessus du Pacifique, annonçant la fin du jour, la fin de mon voyage. J’ai pu, tout de même, revoir une dernière fois le désert, de haut ; le désert qui se refuse aux nuages, qui dénie la pluie. Je suis reconnaissant à Los Angeles ; c’est elle qui m’a conduit sur le chemin de l’écriture. Ce dernier jour, je me suis laissé porté. Doucement. J’ai bien marché, jusqu’à la fin du jour, et au-delà. J’ai regardé, j’ai pris le temps de sentir le parfum de la ville, d’en raser les murs chauds avant de les toucher lorsque la fraicheur du soir arrivait, eux qui avait gardé pour moi leurs tiédeurs. Toucher, c’est aussi quelque chose que j’aime.

J’écris comme je photographie comme je vis : sans filet. Je privilégie l’expérience du direct ; dans mes images, dans ce que vous êtes en train de lire. J’ai aimé regarder doucement quelques dernières scènes de rue. Comme dans le métro, ce très jeune enfant essayant de prendre un hamburger sur une publicité. Sa mère lui explique bien que c’est impossible, mais il insiste, il résiste ; quelques mètres plus loin, un distributeur est là ; à nouveau il essaie de s’emparer du réel, à travers la vitre de protection. Au final, sa mère lui paie un soda. Ou cet homme qui traverse la route avec ses cheveux roses ; je le trouve beau, le photographie alors qu’il croise quelqu’un sur le passage piéton. Il se retourne, il m’a senti : « no pictures ! » même si c’est déjà fait. L’autre homme, qu’il vient de croiser, m’explique qu’il veut devenir une femme mais qu’il n’y arrive pas. Son « accoutrement » est de fait assez étrange ; pantalon et jupe en même temps ; attitude virile de l’homme la clope au bec mais perruque rose…Vous ne verrez pas cette image. Même si elle existe. Que vais-je faire de toutes ces images qui existent ?

Moi qui me sens à un tel point dans le réel ; parfois on me dit vivre dans la fiction. Peut-être parce que je crée, parce tout se mélange. Le réel, la réalité, la fiction. Il n’existe pas de combat, il ne peut y en avoir : le réel existe, la fiction n’en est que le parfum, selon moi. J’ignore où aller ; mon intuition me guide dans ce quartier, celui où je suis allé hier ; c’est ici où je veux vivre, si je vivais dans cette ville. Je m’assois sur ce banc, dans ce parc où je domine la Skyline. C’est un peu comme si j’embrassais une femme, c’est un peu trop romantique ; j’embrasse la ville, de mes yeux. J’aime embrasser. Je suis amoureux, amoureux de Los Angeles. Je reste là à contempler la ville, longuement, seul, au milieu de ce parc où des couples de « teenagers » latinos improvisent leurs premières étreintes. C’est émouvant. Je fais le minimum ; pour une fois c’est la musique de la ville qui me porte. Je sais que je dois partir ; comme toujours je ne supporte pas de partir, ce que je préfère c’est arriver. Je suis toujours ici parce que je suis toujours ailleurs. Je ne peux m’arrêter d’errer. Je n’ai pas de larmes tatouées près de mes yeux ! Comme cet homme qui m’a repris son révolver, peut-être. Je ne sais pas. Je ne me souviens plus. Je pense qu’il m’a protégé, qu’il a vu qui j’étais. Je me souviens surtout des battements de mon cœur, comme s’il voulait s’extraire de ma poitrine, à ce moment-là. Et de son visage bienveillant.

Juste avant de repartir à Highland Park, je suis passé dans une petite rue où j’ai vu quelque chose qui m’intriguait, dans un garage illuminé. Deux femmes sont sorties. Nous avons parlé. J’ai deviné ce qu’il y avait ici ; ce qui se tramait. Je leur ai promis le secret. Je ne peux pas vous l’écrire mais c’est totalement hallucinant ; croyez moi.

Le trajet en avion fut assez rapide ; un vent violent nous poussait. J’ai pris directement le train pour Marseille à l’aéroport. En arrivant, j’ai fait directement une conférence sur mon travail ; habité par le Jetlag. Je suis resté quelques jours pour me reposer. La pensée dans le coton. Habité par Los Angeles ; toujours à Los Angeles. Pendant plus de deux ans, j’ai aimé cette cité. Mais je me suis aperçu que deux amours conjoints n’étaient pas possible. Je sais que Marseille a été remplacée par Los Angeles. J’ai regardé les vagues de cette petite mer se briser sur les rochers, la nuit. J’ai pensé à la puissance de l’Océan Pacifique ; à celle, aussi, de l’Atlantique. J’ai compris que le moment du deuil était venu. Que cette ville qui, je croyais, m’aimait, me soutenait, me rejetait déjà. Que peut-être elle avait fait un peu semblant. Ça m’a fait mal. Elle s’est extraite de moi ; un peu à la manière d’une femme qui vous quitte, de qui on espère un dernier regard, un dernier sourire mais dont on ne voit, finalement, que le dos. J’ai pris cette dernière image, alors que l’on me ramenait sur la route des Calanques ; la nuit. Mais c’était beaucoup moins beau que « Mulholland Drive » ! Je n’arrivais plus à me recaler ; à dormir.

Et je suis revenu ; j’ai enfin retrouvé les miens à qui je dédicace ce voyage.

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