Tieri Briet : Tribune pour Asli Erdogan

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Chaque jour depuis septembre, plusieurs écrivains turcs se tiennent debout face à la prison pour femmes d’Istanbul. Solidaires, ils protestent contre l’emprisonnement d’Asli Erdogan, l’auteur du Bâtiment de pierre. Jeudi dernier, les procureurs turcs ont réclamé la prison à vie pour la romancière qui, à 49 ans, n’a jamais commis d’autre crime que d’écrire dans une presse favorable aux revendications du peuple kurde.

L’acte d’accusation reprend la pauvre rhétorique d’un État qui en a terminé avec la démocratie, en reprochant à la romancière d’être « membre d’une organisation terroriste armée », d’« atteinte à l’unité de l’État et à l’intégrité territoriale du pays » et de « propagande en faveur d’une organisation terroriste ». Alors j’ai commencé à lire ses livres. Je voulais comprendre qui était cette femme emprisonnée. L’écriture du Bâtiment de pierre m’a vraiment Asli Erdogan Le Bâtiment de pierreimpressionné. L’incroyable sensibilité d’Asli Erdogan éclate à chaque page, tout en racontant l’inhumaine machinerie du système carcéral turc dont elle subit aujourd’hui la violence.

Les livres d’Asli Erdogan consolident une intuition qui ne m’a pas quittée depuis bien des années : dans le combat contre l’inhumanité politique, les écrits de quelques femmes sont devenus le cœur vivant de la seule résistance qui reste viable et crédible. Sans leurs écrits, il nous est impossible de comprendre la violence démesurée qui s’institutionnalise sous nos yeux, un peu partout à travers les continents. Les livres d’Arundhati Roy, de Taslima Nasreen, d’Anna Politkovskaïa, de Rhéa Galanaki en Grèce ou d’Asli Erdogan en Turquie sont des outils indispensables pour ceux qui veulent encore contrer un processus où la vie humaine est réduite à une soumission absolue.

Les écrivains turcs l’ont compris, qui refusent d’accepter qu’on réduise au silence la voix si belle, si nécessaire de l’une des leurs. Nous devons les rejoindre. Nous devons manifester devant les ambassades turques, rejoindre les forces démocratiques des turcs en exil, rallier la diaspora kurde qui manifeste depuis tant d’années dans les capitales d’une Europe sourde et aveugle. C’est notre humanité qui est en jeu. Si nous pensons vraiment que la littérature est le dernier rempart face à la violence politique qui se déploie sous nos yeux, ne laissons pas Asli Erdogan isolée, menacée et réduite au silence.

 

Tieri Briet est écrivain. Il est notamment l’auteur de Fixer le ciel au mur (2014, éditions du Rouergue)

Une pétition exigeant la libération immédiate d’Asli Erdogan circule, vous pouvez la signer ici.

Sur l’excellent site Nuit&Jour, lire la lettre de prison d’Asli Erdogan

Signalons que Olivier Bertrand, journaliste pour le site d’information Les Jours, a été arrêté vendredi 11 novembre par la police turque alors qu’il travaillait dans la région de Gaziantep (Lire ici). La rédaction de Diacritik s’associe à celle des Jours pour exiger sa libération. Akin Atalay, le directeur du quotidien d’opposition au président Recep Tayyip Erdogan, Cumhuriyet, a lui aussi été arrêté et placé en garde à vue ce même vendredi 11 novembre.

(Edit 13 novembre soir : Olivier Bertrand vient d’être libéré.)