A partir de ce soir, Canal + diffuse The People vs O.J. Simpson : American Crime Story, série anthologique qui relate par le menu ce qui restera sûrement pour les Américains comme le procès du siècle. La série en revanche – malgré ses qualités – ne peut se prévaloir du même qualificatif.
Petit rappel des faits : Nous sommes en juin 1994, Bill Clinton est président des États-Unis, l’affaire Rodney King et les émeutes qui ont suivi sont dans toutes les mémoires. La tension communautaire est encore vivace. Et lorsque la nouvelle de la mort violente de la maîtresse d’une ex-star du football américain se répand, le spectre de voir un homme noir accusé du meurtre d’une femme et d’un homme blancs fait frémir les uns et éveille l’intérêt partisan des autres.
La série écrite et créée par Scott Alexander et Larry Karaszewski avait tout pour plaire et rallier à sa cause les fans de séries de cours d’assises (et même d’Histoire) tant l’affaire O.J. Simpson est l’une les plus retentissantes de ces 20 dernières années. Avec un casting « quatre étoiles » (comme on dit dans les magazines télé que l’on feuillette négligemment en bout de tapis roulant en faisant ses courses) et des auteurs qui ont déjà produit des biopics de belle facture (Man On The Moon, Ed Wood, Larry Flynt), The People vs O.J. Simpson peut se voir comme une mini-série sur la peopolisation de la justice et le fait divers comme devenir de la fiction US.

Au cinéma et à la télévision, le fait divers est une source d’inspiration indéniable (voire inépuisable) pour les auteurs de scénarios : déjà entre 1951 et 1959, Dragnet, la très réaliste série créée, produite et interprétée par Jack Webb, s’inspirait de faits divers authentiques, traités par la police de Los Angeles. Mais il s’agissait le plus souvent de cas d’anonymes et la mention «inspiré par une histoire vraie» s’affichait en ouverture de chaque épisode. Dans le cas de The People vs O.J. Simpson, le postulat est une affaire attestée au retentissement planétaire. De par la personnalité de son accusé, de par les acteurs du procès (le nom de Robert Kardashian ne vous évoque-t-il pas quelque chose ou quelqu’un ?), de par la médiatisation hors norme dont a bénéficié le procès (le premier sinon l’un des premiers dont les audiences ont été intégralement télévisées), l’affaire Simpson a préfiguré l’ère du tout médiatique que nous connaissons aujourd’hui avec Internet.
A l’aune de 2016, suivre cette affaire O.J. Simpson épisode après épisode, c’est peut-être assister à rebours à l’agonie du star system avec la consécration de vedettes d’un jour et autres étoiles inutiles. L’omniprésence des médias, les campagnes de dénigrement, les prises de position, les commentaires (sur l’affaire ou la coupe de cheveux de la procureur adjointe) et les commentaires des commentaires, les coups bas de la défense et les affres de l’accusation, les motivations personnelles qui pointent sous les idéaux brandis et les discours militants vertueux… tout est déjà là dans les années 90, au centre de la série, préfiguration de notre présent. The People vs O.J. Simpson accroche les spectateurs avec ce qu’il ne montre pas (ou peu) : comment la société américaine a été fracturée à maintes reprises à force de racisme permanent et mal dissimulé. Le cas O.J. peut se voir alternativement comme un symbole et un symptôme de la question raciale aux États-Unis. Dès lors, The People vs O.J. Simpson, c’est très largement (et parfois peu subtilement) la mise en accusation d’une certaine Amérique. La série ose le procès dans le procès de la sur-médiatisation et de la starification (tout en affichant un casting raccord), critique le système judiciaire US et dénonce l’iniquité procédurale…

Pour revenir sur la fictionnalisation de l’affaire et en finir avec cette série de divertissement, on pourrait apparier The People vs O.J. Simpson et Law & Order : Special Victims Unit (en son fameux épisode 1 de la saison 13 qui revisite l’affaire dite du Sofitel de New York) qui ont en commun de s’approprier le réel pour en faire un pur objet d’entertaiment. Dans les deux cas, si toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé n’est aucunement fortuite, il faut reconnaître que The People vs O.J. après un beau démarrage, touche à la sortie de route. Après avoir effleuré la critique sociétale, la trop grande attention portée à la ressemblance physique entre les protagonistes réels et les acteurs qui les interprètent tire l’ensemble vers le bas et la série finit par apparaître comme un biopic bien pensant et aseptisé. Du strict point de vue de la reconstitution (l’enregistrement de l’appel à l’aide de la victime au 911 a été utilisé pour plus de réalisme), la série pourra emporter l’adhésion des plus réticents. Mais on ne peut se contenter de la forme.
Produite par Ryan Murphy, THE PEOPLE V. O.J. SIMPSON : AMERICAN CRIME STORY, écrit et crée par Scott Alexander et Larry Karaszewski, avec : John Travolta, Cuba Gooding Jr., Sarah Paulson, David Schwimmer, Courtney B. Vance, Sterling K. Brown, Nathan Lane, Kenneth Choi, Christian Clemenson, Bruce Greenwood. Sur Canal + à partir du 10 novembre 2016.