Ce samedi 1er octobre, à Drouot, à l’occasion de la « Nuit Blanche », les Platonnes présentent La Banquette. Kristina Mitalaité et Nariné Karslyan, historiennes de la philosophie et de la religion et Nicole Miquel, photographe et performeuse, décident, en effet, de subvertir le Banquet de Platon et d’en faire une performance féministe. Ainsi naît La Banquette des Platonnes – projet monumental où chacun des sept discours du Banquet originel de Platon fait l’objet d’une réécriture soigneusement féministe et se présente en performance polymorphe, comme l’explique Nariné Karslyan : « La performance est un banquet phallogophage avec en guise de plat principal, la tête de la philosophe PhèdrA performée par Marianne Seleskovitch, cantatrice mezzo-soprano. Par ce geste, nous voulons créer le scandale : cette tête bien pensante est le contraire de l’Acéphale de Georges Bataille, car c’est une femme réduite à sa tête, chose inouïe pour le monde patriarcal.
À travers cet effet d’estrangement, nous voulons placer le discours au centre de la performance, car la parole est avant tout une puissance masculine et nous voulons l’ingérer pour enclencher la quête de notre propre identité philosophique, à nous Les Platonnes.
Autour de cette tête, qui sort du milieu de la table (clochée au début de la performance et dévoilée ensuite au public), qui crache, gémit, rêve et chante son discours savant et revendicatif (en écho à celui de son homologue masculin Phèdre),
Nous, les sept Platonnes-officiantes, drapées dans une gigantesque nappe-tuniques, qui nous unie, nous nous livrons à d’étranges rituels. Auditrices impertinentes, nous complotons dans la joie et le mépris, en symphonie avec PhèdrA contre le très masculin concept philosophique de l’amour dans lequel les femmes ont été piégées depuis l’Antiquité.
Alors que beaucoup de performeuses féministes se réapproprient leurs corps en le mettant en scène, notre PhédrA procède par sa voix à des mimesis conjuratoires des représentations patriarcales. Les épiphanies vocales (Carmen, Walkyrie, La Poupée des Contes d’Hoffmann, etc.) de la « tête » sont comme les héroïnes archétypales et auto-générées de Cindy Sherman.
Elles font partie de la mythologie de l’ancien monde patriarcal, mais parce qu’elles se représentent elles-mêmes, elles sont autant des promesses de l’avènement d’imaginaires nouveaux.
Nous les Platonnes, nous sommes les échappées belles de l’ancien monde. La nappe blanche (tabula rasa) dont nous sommes vêtues et le vin en partage symbolisent notre lien politique, mais notre nourriture précaire (les fruits pourris, les bonbons, les marshmallows mis sur la table) renvoie au Banquet originel de Platon, complètement indigeste pour nous.
Nous sommes inclassables dans nos actions en contagion, tour à tour les ogresses, les petites marguerites, les guérrillères, les bas bleus et les mystiques – nous performons des tableaux des tableaux vivants et sonores dont le langage oscille entre le dramatique, le burlesque et le poétique. »

Les Platonnes offrent aujourd’hui à Diacritik un extrait du discours de PHEDRA avant leur performance de demain soir :
Discours de PHEDRA # 1
« Grande divinité qu’est l’Amour et par sa naissance ».
Divinité mais de quoi ? Divinité de la confusion. C’est lui qui attire la Sagesse dans le piège et qui la tue à l’instant même.
Voilà ce que j’affirme : la raison est morte dans son embryon et c’est Éros qui l’a tuée. Et les sages jouent avec cet avorton cadavérique.
Regardez autour, regardez partout : telle une poupée la raison est drapée dans des habits d’occasion – le pourpre du politique ou le gris du logicien– ils se la passent de mains en mains respectueusement en baisant ses joues froides.
Je vais vous raconter la mythologie de l’amour.
L’amour est mâle*. Le verbe est mâle*, le vrai être de l’amour étant celui de la parole.
Faire l’amour c’est le dire et par le verbe mâle*.
N’est-ce pas donc étonnant que l’amour, ce concept philosophique pur, soit un discours sexué ?
L’ouverture de la bouche amoureuse laisse déployer la raison et, par la même, devenir un homme.
L’amour c’est un verbiage masculin. Le discours des sages grecs accorde aux garçons la liberté, l’honneur, la connaissance de soi et des idées divines propres aux hommes accomplis.
La femme n’a pas droit au devenir, car elle est exclue de la parole des sages.
Quand elle ouvre la bouche, rien de sage ne sort de ce trou.
Ha ! Les danseuses n’amusent que les femmes ou les hommes communs.
Les philosophanti s’enferment entre hommes. Exclusion ! Perversion !
Voyons pourquoi !
L’exclusion est le principe qu’ils accordent à l’être : être c’est aimer en homme un autre homme. Et alors la symétrie ?
Ha ! Rien n’est plus répugnant pour eux que quand une femme approche une femme dans l’élan amoureux. La raison qui accorde la liberté à l’homme rejette la femme dans le néant.
La parole et l’amour sont des puissances masculines : quand l’homme parle, la femme se tait.
C’est la réalité historique, quotidienne mais restons philosophes mes chères : c’est aussi une chose dialectique.
Les idées pures et les premiers principes, pondus par les mâles comme un ballon de rugby à la mêlée, se veulent être sans différences ni dissemblances ; ils doivent être tels qu’ils sont. Voilà, que les choses sont pures !
Mais pensez-vous qu’ainsi le Beauté, la Bonté, tous ces mots soient asexués ? Ils portent l’une des plus grandes différences, celles du sexe.
Beauté mâle, Bonté mâle, Vérité mâle.
Et les femmes ? On nous dit que Tel grand sage a accepté les femmes dans sa maison. Pour ? Lui cuire les pois chiches ou encore le rassurer le soir lors du moment de sa petite faiblesse quand il doute – oh malheur – d’être le plus sage. Untel autre a daigné écrire une lettre à sa femme pour expliquer son départ impromptu et libérateur pour lui, en lui accordant la place de l’abandon métaphysique. Elle peut en être fière. Elle entre dans la mythologie. Elle devient signifiant !
Voilà comment l’amour a tué la raison et la sagesse dès le début : il leur a donné le sexe, la différence philosophique la plus répugnante et la plus vulgaire parmi les humains. Éros est-il vraiment une divinité ?
(Phédra / Kristina Mitalaite)
Les Platonnes performent ce samedi 1er octobre à Paris dans le cadre de la « Nuit Blanche » à Drouot, 9 rue Drouot, 75009 Paris, 23 h-23 h 45.
