Le cinéma du dimanche soir : « 2012 », de Roland Emmerich

On passera pudiquement sur l’opportunité ou non pour France 2 de diffuser Zero Dark Thirty le soir du quinzième anniversaire des attentats du World Trade Center pour nous intéresser à un autre monument du cinéma cocardier américain ce dimanche sur TF1 : 2012, de Roland Emmerich. Pour celles ou ceux qui n’auraient pas encore vu ce quasi documentaire sur la fin du monde promise par les Mayas, sachez que les lignes qui suivent ne dévoilent aucun moment clé de l’intrigue. Pour la bonne raison qu’il n’y a aucun moment clé.

Je n’ai aucun, mais alors aucun, scrupule à spoiler 2012, le film catastrophique de Roland Emmerich qui compte davantage de vedettes sur le retour dans son casting que de candidats intègres à la primaire de Les Républicains. Les lecteurs cinéphiles me rétorqueront que l’on doit parler de « film catastrophe » pour qualifier les longs métrages appartenant au genre apocalyptique et dans lesquels « le centre de l’intrigue est un événement (ou une suite d’événements), d’origine naturelle ou provoqué(s) par l’homme, occasionnant des dommages matériels et humains considérables ». Néanmoins, compte tenu de la filmographie du réalisateur d’Independance Day, de Godzilla, de 10 000 et du Jour d’Après-demain (traduction littérale), on peut sans crainte de froisser les puristes et la langue française affirmer que 2012 est bien un film catastrophique à beaucoup d’égards. Et cela hors de toute comparaison avec ces réalisations précédentes qui étaient aussi et déjà (il faut bien le reconnaître) des catastrophes.

Autant le dire tout de suite, 2012 commence mal : dans l’espace de magnifiques images d’éruptions solaires jaillissent sur l’écran, dessinant de somptueuses arabesques orangées. Sur terre, il pleut. Y a plus de saisons. Les ennuis commencent quand un ingénieur américain travaillant à forer la croûte terrestre à 3000 mètres sous terre pour mener on ne sait quelles études fumeuses est de retour en Inde… Tout à leur perçage, les chercheurs ont ouvert une sorte de réservoir souterrain, et Ô malheur, ont constaté avec stupeur et après des mois de travail, que sous la roche bout l’eau : la faute aux neutrinos.

Moment cyclopédique : pour ceux d’entre vous qui n’auraient pas fait leurs études au MIT ou à l’Ecole des Mines, sachez les neutrinos et antineutrinos sont des particules élémentaires de masse très faible nécessaires dans la théorie de la physique quantique pour assurer la conservation de l’énergie dans les processus de réaction nucléaire. On ne remerciera jamais assez Roland Emmerich de nous avoir éclairé sur ce point.

La nouvelle est si alarmante que le gentil chercheur part sans délai pour les Etats-Unis, histoire d’aller déranger le patron de son patron qui fait son intéressant dans une vente de charité. Le temps de lui montrer une liasse de feuilles à moitié blanches et les voilà partis en direction de la Maison. Blanche également. Pour rencontrer le Président. Mais en moins de temps qu’il n’en faut à un neutrino pour faire cuire un œuf coque, la séquence suivante nous projette un an plus tard en Chine, où de mystérieux soldats rassemblent une troupe d’ouvriers relativement volontaires. On est dans le moment concert des nations : le Président des USA convoque les dirigeants de pays choisis, les Russes sont cités, on imagine les Anglais d’avant le Brexit conviés… J’ai eu beau scruter l’écran, aucune trace d’un Français. J’en ai bien vu un qui a haussé les épaules plus de quatre fois dans le même plan, mais ce devait être la nouvelle (ou sa veste) qui le gênait.

Toujours lancés à la vitesse d’un quark sur une mobylette, nous voilà déjà en 2012 (le film est sorti 3 ans plus tôt) et nous retrouvons John Cusack affalé comme un propre à rien sur le canapé de son salon en train de parler à sa montre. C’est le héros, je l’ai lu dans Télérama. Ecrivain raté, obligé de se reconvertir en chauffeur de limousine d’un magnat russe féru de boxe et de Cavaliers King Charles (détail important pour la suite, notez le), et de surcroît divorcé (c’est important aussi, notez-le également). Bref, un homme d’aujourd’hui quoi, un individu lambda comme vous et moi, dans lequel le spectateur moyen va se reconnaître pour peu qu’il emmène régulièrement ses enfants camper en limousine.

Pendant ce temps-là, à Yellowstone, la gabegie commence : le chercheur présidentiel fait face à un lac local dont l’eau s’est évaporée (au sens propre) et John Cusack rencontre le sosie de Woody Harrelson, qui campe dans les bois et un personnage énigmatique, sorte de croisement improbable et contre-nature entre les trois Lone Gunmen de X-Files et Michael Moore. Après vérification, il s’agit effectivement de Woody, jamais aussi bon que dans Tueurs Nés ou True Detective, soit dit en passant.

Avec lui, on (John Cusack et le spectateur) apprend sous la forme d’un dessin animé façon South Park que la terre court à sa perte, parce que le 21 décembre 2012 (le 12-21-12, en américain dans le texte) un alignement improbable des planètes va faire exploser les neutrinos (quelle saloperie ces bestioles !) et provoquer séismes, tsunamis, effondrement des plaques tectoniques, irruptions et éruptions volcaniques, raz de marées et tout le tremblement.

A Los Angeles, la terre n’en fait qu’à sa tête. Et vous pouvez faire confiance à Roland pour en faire de même. Au début (on l’avait à peine senti venir), la Californie s’ébrouait juste ce qu’il faut, avec une crevasse par-ci et une petite faille par-là. Pendant que les pontes, eux, décidaient qu’il était temps de passer au plan B de la phase deux du processus final. Mais chut ! A ce moment de l’intrigue (façon de parler), c’est encore un secret.

Parce que vous êtes des spectateurs avertis, vous l’aurez sûrement subodoré, un complot a été ourdi dans l’ombre il y a des années depuis la découverte des méchants neutrinos qui font rien qu’à réchauffer l’écorce terrestre et vider les étangs. En substance, il y a matière à discussion. Il est potentiellement incroyable que les puissants, les grands de ce monde, les potentats (et non les misérables vermisseaux que nous sommes à contempler la fin du monde bien carrés dans notre fauteuil), puissent ainsi conspirer comme on respire. C’est comme si on faisait un film (au hasard, intitulé Virus ou Pandémia) où l’on verrait des gouvernants décider de vacciner tout une population dans le but de réaliser des essais cliniques à taille humaine et à l’échelle planétaire. Sans savoir si la formule est efficace ou si elle a des effets secondaires qui seraient pires que le mal. Ce serait vraiment n’importe quoi ! Personne n’y croirait ! Il y a des limites à la fiction et à la taille des couleuvres qu’un individu normalement constitué peut décemment avaler.

Mais, ailleurs, le centre commercial dans lequel la mère des enfants de Cusack faisait ses courses s’est transformé en gigantesque marché à ciel ouvert (ce qui est redonnerait un semblant de charme à n’importe quel Mall déshumanisant), devenant du coup beaucoup moins pratique pour le retour des courses, la voiture familiale ayant été engloutie dans les entrailles terrestres au cours de la catastrophe en même temps que le rayon boucherie.

En passant, comment ne pas souligner le talent infini de Roland Emmerich pour narrer le quotidien et le mettre en perspective pour montrer la vanité (certes très humaine) qui nous habite tous. Fort heureusement, femme et enfants arrivent à s’en sortir et à rentrer chez eux juste à l’heure du goûter. Avec au menu des crêpes et du beurre de cacahuètes que la courageuse mère a réussi à sauver du rayon frais avant que celui-ci ne s’effondre sur le sushi corner de l’étage d’en dessous.

Tout à coup, tout s’accélère (en fait, j’ai appuyé par mégarde sur la touche avance rapide) : convoyant les insupportables enfants de son russe employeur à l’aéroport et vers le secret des dieux de la machination dont je parlais plus tôt, John comprend qu’il se trame quelque chose quand l’un des deux affreux jojos slaves qu’il véhicule lui dit qu’eux seront sauvés et lui pas. J’en reste comme deux ronds de noyaux de carbone. Cusack décide alors de foncer récupérer sa progéniture, réalisant que la prophétie Maya (dont Woody lui a parlé vers au milieu de cet article) est en train de se réaliser.

A ce moment du film, en parallèle, on comprend que :

1. La planète est en train de s’étaler comme une vieille bouse. Désolé pour l’image, c’est mon côté provincial qui refait surface pendant que la Californie, de Los Angeles à San Francisco, s’effondre. Où êtes-vous ? hurle Cusack dans son téléphone mobile en conduisant. Ce qui est interdit et dangereux, tout le monde le sait.

2. Le chercheur et le Président qui déclenche l’alarme fatale (joué par Danny Glover) ont tout prévu et ont fait construire en secret et en Chine (pour de basses raisons de coût de la main d’œuvre) des barges gigantesques, insubmersibles et designées par Philippe Starck. Le hic, c’est que les places étant très chères (au sens propre comme au figuré), seuls quelques happy few triés sur la taille de leur compte en banque pourront prétendre s’en sortir et surnager quand les terres auront été englouties.

3. Il existe une carte (détenue par ce cher Woody qui n’en rate pas une pour faire son intéressant) toujours aux premières loges du désastre à Yellowstone, qui permettra à John et sa famille recomposée (le nouveau mec de son ex-femme est de la partie) de s’en tirer eux aussi. Direction le parc national, donc. D’abord en limousine, ce qui nous vaut une course poursuite assez indéfinissable en pleine forêt contre la montre et les éléments se déchainant à leur suite.  Puis en avion, parce que… Parce que bon.

Moment cinégénique. Il faut bien l’avouer, la très longue scène de la destruction de L.A. vaut quand même son pesant de protons. En comparaison, San Andrea (autre grand nanar catastrophique sur la destruction du monde) c’est un peu Hélène et les garçons revisité par Bryan Singer, c’est vous dire… Mais je vous laisse la surprise, je ne voudrais pas spoiler votre plaisir tout en vous disant que la Cusack’s family va en réchapper (pour l’instant). Mais la cité des anges non.

Car fort heureusement, le beau-père a pris des leçons de pilotage. Si c’est pas du bol ça ! Ils empruntent donc un coucou et foncent dans les airs, se frayant un passage inespéré entre deux tours qui s’effondrent (ça devrait nous rappeler quelque chose, mais quoi ?), évitant de peu poutrelles, gravats, bitume en liberté qui volent dans tous les sens… Bref, le sort et les éléments s’acharnent sur le monomoteur, pendant que la terre s’écroule sous ses ailes. Et autour aussi.

Parvenant in extremis à retrouver Harrelson des bois qui a décidé de vivre pleinement Armageddon (dans le film du même nom, Michael Bay lui avait préféré Bruce Willis) assis au premier rang, John et sa troupe récupèrent la carte qui leur permettra de traverser le désastre à pieds secs. Puis, réchappant à une répétition grandeur nature (avec volcans cracheurs et éruptions cataclysmiques vachement bien faites comme à Vulcania) de ce qui a causé la perte des dinosaures, ils finissent par s’en tirer de justesse et en profitent pour emprunter un 747 au passage. M’étant assoupi sur la touche fast forward, je vous avoue ne plus très bien me souvenir où ils l’ont trouvé mais je me suis rappelé après coup que John Cusack avait dit qu’il leur fallait un plus gros avion. Et que donc c’est pour ça.

Moment maritime (et Gilbert Carpentier) : le chercheur dit je t’aime à son père en mer (c’est le père qui est en mer, pas le fils). Le fils lui, reparle de sa mère tandis que son père est sur l’eau. Avant de la prendre. (La mer, pas la mère, on n’est pas chez Giraudoux). Devant les eaux de plus en plus agitées, Danny Glover n’a pas l’air au mieux de sa forme (j’ai cru l’entendre dire qu’il était trop vieux pour ces conneries), et les esquifs futuristes commencent à se remplir. Quelqu’un crie que l’eau monte et le financier russe hurle que c’est le moment d’acheter.

Moment cynégétique. Arrive le fameux épisode du chien (vous l’aviez noté), en l’occurrence un cavalier King Charles, qui jusque-là n’avait rien eu d’autre à faire que de trôner dans les bras d’un ersatz de Reese Witherspoon période Legally Blonde. On ne sait trop comment ni pourquoi (ce n’est peut-être pas important), le clébard à sa maman a loupé l’appel et se retrouve loin de sa maîtresse qui est déjà dans les barges déjà folles. J’enrage. Mais comment est-ce possible ? Déjà, dans Independance Day, l’ami Roland avait failli rôtir le magnifique labrador de Will Smith dans un tunnel… Il ne va pas nous refaire le coup ? Non ? Si. Pendant que les éléments et les invités de dernière minute se déchainent aux portes de l’arche de Roland. C’est la panique à bord mais le royal canin réussi à rejoindre mémère en se prenant pour Philippe Petit sur un câble d’acier beaucoup trop fin pour un autre modèle. Un labrador, au hasard et par exemple.

Et John dans tout ça, me direz-vous ? Par on ne sait quel hasard, sa bande et lui ont finalement posé leur Jumbo l’élément volant, rejoint le quai de fortune, trouvé le moyen de se tromper de porte d’embarquement (c’est vrai que c’est mal indiqué, à côté la signalétique d’Orly c’est du billard) et ont atterri dans la soute sans passer par les portiques de sécurité pour se retrouver passagers clandestins au milieu des bagages et des vilaines gens qui se sont incrustés de force dans le saint des saints nautique. Tant que j’y pense (et avant de l’oublier), le chercheur diplômé ès neutrinos trouvera le temps d’aller opportunément consoler la fille du Président. Il l’embrassera même en attendant la montée des eaux. On est en plein mélo.

Mais l’eau, au fait ! Elle en est où ? Parce que perchées sur le toit du monde (traduisez : l’Everest), les barges et les voyageurs argentés n’attendent qu’elle et que la prophétie se réalise. Soudain, un des passagers qui tuait le temps en vomissant par avance à l’arrière du bateau se met à crier : « Et L’eau ! Près des hélices, hélas, c’est là qu’est l’eau ! ». C’est parti pour la grande vadrouille.

Et l’eau donc de submerger les bateaux, recouvrir les neiges éternelles, balayer les pathétiques canots à mille milliards comme des fétus de pailles dorés à l’or fin. Que diable allaient-ils faire dans cette galère ? John récupère sa fille partie s’essayer à l’apnée dans les coursives, fait copain-copain avec son rival amoureux et renoue des liens paternels avec son fils qui le prenait jusqu’ici pour un loser. La morale est sauve. David a vaincu Goliath. Le petit a trouvé sa place parmi les grands. Le chien est à nouveau dans les bras de sa blonblonde, et le capitaine du navire (qui ressemble étrangement au gars qui jouait Robocop, mais sans son casque) est heureux d’annoncer que le pire est derrière eux. Les Américains ont (une fois encore) sauvé le monde. Enfin… le beau monde, celui qui a suffisamment d’argent pour se payer un voyage transatlantique en first class pendant que le reste de l’humanité a péri en low cost.

Je ne peux résister à l’envie de vous livrer la conclusion : en 2012, après la catastrophe, après la réalisation de la prédiction Maya, « le monde ne sera plus jamais le même ». Le continent africain tout entier s’est soulevé (au sens propre) et le sommet du monde se situe désormais à la pointe de l’Afrique du Sud. « C’est pour cela qu’on l’appelle le Cap de Bonne Espérance » dit Robocop qui n’a toujours pas retrouvé son casque.

Bon film, bonne nuit.

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2012, de Roland Emmerich, avec John Cusack, Danny Glover, Woody Harrelson, George Segal, Amanda Peet, Chiwetel Ejiofor, Oliver Platt, Thandie Newton, Tom McCarthy. Sony Pictures 2009.