Évariste de François-Henri Désérable tient du roman comme de la biographie, de la vie imaginaire comme du double portrait en miroir : François-Henri Désérable, citant Pierre Michon en exergue de son livre, fait d’Évariste Galois le « Rimbaud des mathématiques ». Son roman vient de paraître en poche, chez Folio, retour.
Évariste Galois est sujet et objet du récit de François-Henri Désérable, selon le micro-genre romanesque de la vie brève puisque le « mathématicien de génie » mourut en duel à 20 ans en 1832. L’écrivain construit une forme d’hypothèse biographique — « on est réduit à imaginer », « tout cela n’est qu’une hypothèse bien entendu », dans un balancement entre les « on sait » et « on ne sait pas », très michonien. L’auteur entrechoque passé et présent dans des allers-retours ironiques adressés à une « mademoiselle » pour construire le roman d’un nom : « on le prénomma Évariste, du grec áristos – le meilleur. Tout est déjà écrit. »
Reprendre le cours d’une vie trouée, c’est, de 1811, année de naissance d’Évariste Galois à Bourg-la-Reine, à mai 1832, traverser la naissance du XIXè siècle, les Trois Glorieuses, croiser Robespierre comme Nerval, être face à des archives sérieuses de l’Histoire tout en jouant de pieds de nez blagueurs et ironiques, c’est dire une vie fulgurante dans un roman qui ne l’est pas moins, une prose « sans culotte » comme déjà celle de son recueil de nouvelles, Tu montreras ma tête au peuple.
De même que « résoudre une équation, c’est trouver la valeur d’une inconnue », il s’agit de faire de cette exploration identitaire un inédit, alors que sur Évariste Gallois « on ne compte plus les essais, les biographies, les témoignages de contemporains. On ne compte plus les colloques, les mémoires, les thèses, les articles. On a tout dit et son contraire : on s’est souvent trompé ».
Qui est alors Évariste ? « Il fut aux mathématiques ce qu’à la poésie fut Arthur Rimbaud : un Rimbaud qui n’aurait pas eu le temps de nous envoyer la Saison à la gueule ; qui aurait cassé sa pipe après Le bateau ivre » ; pour le connaître il faut refuser la légende, ce qui a été raconté et construit, aller vers une essence. Dire « le Nombre en personne », rappeler combien ses travaux — sur la théorie des groupes, les fonctions elliptiques, les radicaux — furent incompris de son temps, jugés « sabir ». Trouver la musique échevelée de ces vingt courtes années en vingt chapitres, « une vie qui fut un crescendo inquiétant, tourmenté, au rythme marqué par le tambour de passions frénétiques jusqu’à l’effondrement final ».
Évariste Galois incarne une époque troublée et orageuse dont il fut une sorte d’Octave, au sens musical du terme, au sens de l’enfant du siècle de Musset, Octave « venu trop tard dans un monde trop vieux ». Évariste Galois fut aussi un républicain enflammé qui paya ses coups d’éclat de deux séjours à Sainte-Pélagie ; lors du second, le Nombre rencontra le Verbe (Nerval) et Raspail. Lui qui travailla sur les ellipses eut une existence à la mesure de ses travaux, son épitaphe en témoigne, « brillant éclat, dans l’effroi de la tempête, enveloppé à jamais de ténèbres ».
Sans doute Galois savait-il que cette nuit fiévreuse précédant le duel serait la dernière. Le jeune homme nota en marge de son testament de théories corrigé dans l’urgence un poignant « je n’ai pas le temps ». Il meurt peu après, des suites d’un duel, son corps est jeté dans une fosse commune.
Hypothèse au sens littéraire comme algébrique — « cet art fait de théorèmes et de propositions, de lemmes et de scories » —, vie intense d’un radical, dans tout le déploiement polyphonique de ce terme, Évariste est une quête. François-Henri Désérable cherche dans cette figure un « alphabet » du monde. Si l’écrivain avoue, non sans un second degré blagueur, ne rien comprendre aux théories de Galois, son « mémoire sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux » est bien « à l’algèbre ce que le Requiem est la musique, la Saison du gamin des Ardennes à la poésie », il nous convainc qu’« il y avait dans le nombre une indicible harmonie, une perfection absolue, autant de poésie qu’il peut y avoir de poésie dans la poésie ».
François-Henri Désérable, Évariste, Folio, 192 p., 6 € 50 — Lire un extrait
Lire ici le grand entretien avec François-Henri Désérable, La fabrique de l’histoire