Daydreaming est un titre du prochain album de Radiohead. Cet album sera disponible en ligne demain 8 mai à 20h. Et Daydreaming est une chanson-manga.
Daydreaming est un thrène. La voix lancinante de Thom Yorke fut toujours une voix de deuil. Celui des croyances infantiles qui n’avaient pas besoin d’être chantées : « And it’s too late / The damage is done », entend-on en ouverture du nouveau morceau dévoilé par le groupe. Le perdu y résonne et fait chambre à part, loin des cris pourtant si fameux de « Creep » que le leader du plus grand groupe du monde — non, pas U2, sérieusement… — avoue ne plus pouvoir entonner en concert que par empathie avec un public en état d’addiction. Masculin et féminin refusent ici de se démêler, car le thrène périme les partitions simplistes, et par-là atteint au chœur. S’il nous atteint par-delà l’effacement et le deuil, c’est bien en jouant ; jouant des frontières et limites, chant poreux de la vie défunte. Le chant de Thom Yorke se fait cathartique, dans l’errance tragique de la rêverie et le lyrisme radical des violons déchirants.
Magnifique et bouleversante, la chanson extraite de l’album de Radiohead, qui sera publié demain en ligne (rendez-vous à 20h) jouit pleinement du savoir-faire de Nigel Godrich, le producteur vénéré depuis le séminal OK Computer. Le clip, réalisé par Paul Thomas Anderson métaphorise la quête-errance contemporaine de Thom Yorke, omniprésent et figure emblématique de l’anti-héros, avec sa dégaine fatiguée. En une longue dérive se juxtaposent les impasses, promesses déçues l’une après l’autre, comme en un chapelet désespéré d’impossibles saisies de soi à base de Google Street View.
Les portes s’y ouvrent, presque sans fin, comme image de notre monde connecté avide de liens, promesses d’une navigation sur le Web dont le but nous échappe sans cesse. Il faudra un regressus ad uterum explicite pour que s’achève, dans les dernières secondes du clip, la quête : une grotte, un feu, le sommeil réparateur en position fœtale… Mais une telle lecture linéaire ne constitue-t-elle pas un leurre pour auditeur-spectateur un peu trop pressé ? Et n’était-elle pas déjà contredite par la structure réticulaire du clip, déconstruction de la possibilité même d’un récit classique orienté vers une fin? Si le groupe a choisi le réalisateur du déstructuré Magnolia, film faulknérien, c’est en sachant qu’il saurait se glisser dans une même expérimentation hors des cadres caractéristiques de la modernité. Le rêve diurne devient prétexte, lui qui « progresse » comme latéralement, par association d’idées souvent métaphorisée par l’imaginaire du labyrinthe, à figurer l’abandon d’une téléologie devenue inaccessible. Dans une telle phantasie, c’est ce deuil-là que charrie la voix de Yorke, mais un deuil solaire dans la grâce de l’évidement : car du deuil naît la possibilité du chant. Le ressaisissement, non le ressassement.
Au/Du fond de la grotte utérine, dans l’illusoire confort, la parole se perd, de venir de trop loin, comme en arrière d’un liquide amniotique que la chanson avait réussi à dissiper. C’est donc en réalité à l’envers qu’il faut visionner ce clip : la fin devient une naissance, et le début l’avènement du chant de Radiohead. Les triturations informatisées de la voix rappellent le virage technoïde de Kid A — tiens, l’enfant… —, se font terminus a quo, et nous ramènent, par cet heureux rebours, à la limpidité d’OK Computer. Comme si le groupe trouvait l’équilibre entre la clôture un rien sombre et parfois autiste de l’expérimentation bidouillante des années 2000-2010 et le libre accès des tubes de la fin des années 1990. Une chanson manga, en quelque sorte.