Le journal d’un cinéphile (3)

Cinéma © Christine Marcandier

Réactions à chaud, commentaires et emportements (positifs comme négatifs) de Jérémy Sibony, critique ciné pour Diacritik. La vie d’un cinéphile, en fragments. Subjectivité et passion assumées, de Mad Max à Pablo Trapero, en passant par La Douleur de Manfred.

2 février

Hommage du plus prestigieux festival de cinéma du monde à feu le festival d’Avoriaz ? Étrange choix que celui de George Miller comme président du festival de Cannes.

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Revenu en grâce à Cannes justement avec le très bon Mad Max Fury road, Miller est un président inattendu. Une filmographie relativement pauvre, par rapport à d’autres présidents : les deux premiers Mad Max ont fait sa réputation, mais il faudra attendre Fury Road, encore un Mad Max, pour retrouver un film à la hauteur. Entretemps : Mad Max 3 est un énorme ratage, Les sorcières d’Eastwick une sympathique occasion pour Nicholson de cabotiner, Lorenzo et Forever Young étant carrément bidons. On passera sur Happy Feet 1 et 2 purement alimentaires, on se souviendra juste du très perturbant Babe 2, au panthéon des suites meilleures que les originaux avec quelques séquences oniriques magistrales. Miller n’est pas un grand réalisateur, c’est pourtant un cinéaste singulier et c’est toujours l’idéal pour Cannes.
Et d’Avoriaz, il faudra bien que je vous parle.

10 février

Je vais finir par penser que ça vient de moi. Depuis le début de l’année, je croule sous les « Sympa mais bon ». Dernier épisode avec Les Innocentes, le dernier film d’Anne Fontaine qui semble décidée à passer toute sa carrière à tourner autour DU grand film qu’elle a dans les pattes sans jamais y arriver.

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D’où vient que le film, superbement photographié et au sujet fort, déçoive un (tout) petit peu ? D’un scénario qui s’intéresse trop à l’infirmière et pas assez aux bonnes sœurs ? Une mise en scène trop prévisible ? Quelques erreurs de castings ? Dommage, il y avait matière à faire un grand film radical.

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Régulièrement, le cinéma d’auteur s’entiche d’un acteur que l’on voit partout jusqu’à ce qu’il disparaisse des radars. Il y a eu l’heureuse période Jean-Philippe Ecoffey, il y’a maintenant l’insupportable Vincent Macaigne, mis à toutes les sauces. Un coté « Elodie Bouchez mâle ». Ce mec pourrait jouer MacBeth qu’il donnerait l’impression de sortir d’un bar de la Bastille à chaque séquence.

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Anomalisa : confirme que Kaufman n’est pas un réalisateur, confirme qu’il est un brillant scénariste. Le film est bien trop lent à démarrer, on frise l’ennui quand, avec naturel, une séquence fait basculer le film. Alors, comme face à tous les scénarios de Kaufman, je suis atrocement jaloux et tout à fait admiratif. On s’ennuie une bonne moitié du film mais la fin met la boule au ventre. Il y a des films où l’on ne s’ennuie pas, mais que l’on oublie à peine sorti de la salle. Il y a Anomalisa, où l’on est déçu une bonne partie de la projection, mais dont la fin, les images et les idées deviennent obsédantes.

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12 février

Découvre le feu et Robert McLiam Wilson avec La Douleur de Manfred, à coté duquel Philip Roth (le grand) passerait pour la comtesse de Ségur… Déprime et admiration !!!

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13 février

Le Trésor de l’excellent Corneliu Porumboiu (12h08 à l’Est de Bucarest ; Policier, Adjectif) l’un des chefs de file de la nouvelle vague roumaine. En poussant un peu (beaucoup), on pourrait y voir le Pirate des Caraïbes de la Roumanie moderne : un trésor, des héros prêt à tout, de la corruption, de longues traversées au bout du monde (à 17 km de Bucarest, c’est le bout du monde !) où l’on creuse dans la discrétion et les disputes sur le magot.
Un peu trop en retenu parfois, mais caustique, lucide et, lors d’une dernière séquence lumineuse et inattendue : émouvante.
Pendant que ceux qui ne connaissent rien au cinéma la dénigrent par réflexe pavlovien, Julie Gayet produit de belles choses….

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Deadpool : énième film de super-héros, fade et interminable. Le réalisateur de Scott Pilgrim tente vainement de masquer la pauvreté du scénario en y ajoutant un pseudo second degré calibré pour les jeunes.
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Le personnage principal parle ouvertement des franchises Marvel, de l’acteur qui l’incarne en s’adressant au spectateur : ridicule. Comme si ce Hollywood-là était conscient de n’être qu’un produit et pas un film. Cet aveu de faiblesse ne change rien : poursuite en bagnole, ralentis « à la Matrix« , fusillade et explosions s’enchaînent sans que jamais le film ne démarre.

On sauvera une allusion à la Folle journée de Ferris Buller à la toute (toute) fin : pour le reste : un produit calibré, chiant à mourir qui semble durer 7 heures. Et le deuxième est en route… La chute de l’empire hollywoodien.

14 février

A part ceux qui regarderont Arsenal – Leicester puis Tottenham – City, tous les autres iront voir cet après midi Le Clan, le nouveau film de Pablo Trapero sur une invraisemblable vague de kidnapping alors que la dictature argentine se termine. La mise en scène un peu trop américaine étonne venant du réalisateur d’El Bonaerense (on sent qu’il pense exportation), mais Trapero réussit à se montrer aussi subtile que d’habitude. Derrière le polar (réussi), le film raconte les années de terreur de la dictature argentine et la difficile transition démocratique, quand les assassins de la police secrète qui tuaient dans l’impunité totale se sont retrouvés simples citoyens… Une réussite et peut-être le meilleur film depuis le début de l’année.

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