Dan Fante : Écrivain américain né à Los Angeles en 1944 et décédé en 2015. Auteur de romans, recueils de nouvelles, de poèmes et de pièces de théâtre.
Daniel « Dan » Fante, fils de John Fante, s’est éteint dans la plus grande discrétion médiatique le 23 novembre 2015. Âgé de 71 ans, il était atteint d’un cancer du rein, m’a dit Mark Safranko, l’un de ses plus proches amis de plume.
Il m’avait émue, un jour du festival America, gros bonhomme sincère à l’accolade de déménageur. Émue par la façon respectueuse et douloureuse dont il parlait du géant qu’était son père, de leur relation violente et de son propre trajet autodestructeur, puis de sa lente remontée grâce à sa femme, jusqu’à un apaisement fragile qu’il ne laissait jamais vraiment entrevoir dans ses romans, dansants sur un fil vertigineux. L’alcool dur aura eu raison du génie…
C’est qui ?
Le fils de John Fante, écrivain américain au sale caractère, auteur du sublime Demande à la Poussière, livre qui a donné envie à Bukowski de devenir Bukowski.
Pas vraiment fort à l’école et dyslexique, le petit Dan exprime très tôt le souhait de devenir écrivain, ce que son père, doué d’un tact et d’un sens de la pédagogie tout à lui, n’encourage pas vraiment, préférant lui beugler dessus pour ses mauvaises notes.
Dan ne publiera qu’à l’âge de 45 ans, menant entre temps une vie mouvementée, rythmée par l’alcool et l’auto-destruction. Avant de devenir écrivain underground, il sera entre autres chauffeur de taxi, laveur de carreaux, vendeur de meubles, privé, télévendeur. Bref, il exercera un peu tous les jobs pourris possibles avant d’être publié et de connaître un certain succès en France grâce à Robert Laffont, Christian Bourgois et 13e Note. Un des tours de forces de Dan, c’est d’être un « fils de » sans pour autant se tapir dans l’ombre de son père ou coller à sa prose, même si quelques similitudes se dégagent, notamment dans la puissance poétique et évocatrice qui s’articule au récit.
Il parle de quoi ?
De lui, de façon un peu travestie, un peu déguisée, mais de lui et de son parcours chaotique et erratique. Dans sa tétralogie « Bruno Dante », soit Les Anges n’ont rien dans les poches, La tête hors de l’eau, En crachant du haut des buildings, Limousines blanches et blondes platine, il décrit avec un humour grinçant et une lucidité froide son quotidien, ses galères conjugales, souvent avec des strippeuses ou des prostituées qu’il finit par lasser, ses bitures sans fin et ses prises compulsives de drogue.
C’est l’envers du L.A bling-bling, le L.A des laissés pour compte et des estropiés de la vie. Dan Fante parvient à ne jamais tomber dans le cliché du loser, même si ses personnages flirtent de très très près avec ce statut si prisé de la littérature américaine. Ses héros, Bruno Dante en tête, sont des losers magnifiques, des héritiers de la Beat Generation, en plus abîmés, plus lucides et moins rêveurs, peut-être, mais encore plus humains dans leur désarroi et leurs vaines tentatives pour échapper aux démons qui les emprisonnent.
Pourquoi c’est bien ?
Parce la plume de Dan Fante donne l’impression de disputer un match de boxe où lui et nous sommes pris dans la bagarre.
Dan Fante est authentique, il joue sa vie, raconte sa vie sans fioritures ni tours de passe passe cabots ou jérémiades auto-centrées. Au diable les fioritures, il y a des priorités : Dan Fante a eu la vie sauve grave à l’écriture et ça se sent. Il en prend plein les dents, souvent parce qu’il l’a cherché, souvent parce qu’il semble abonné à la malchance, peu importe. Il nous envoie quelques droites, au passage, sans chercher à nous épargner, nous lecteurs qui l’observons osciller, tanguer, tomber, souvent, et se relever pour tituber encore quelques mètre plus loin.
Son écriture, à la fois narrative et concise, poétique et descriptive, est une écriture vivante. Hurlante de vie et de rage, déchirée par une lutte contre les addictions et la volonté de s’en sortir, de rester en vie coûte que coûte, malgré les tentatives de suicide, malgré la détresse.
Il faut lire quoi ?
Régime sec, son recueil de nouvelles serait une excellente entrée en matière dans son univers destroy. Très représentatif de l’ensemble de son œuvre, ce livre balade son lecteur dans un Los Angeles déglingué, peuplé de gens un peu à l’Ouest, voire carrément cinglés.
Dommage Collatéraux, une des rares autobiographies/biographies non soporifiques qui existent, joue à la fois un rôle historique, par ce qu’elle apporte sur la famille Fante, et un rôle de roman, pour ce ton inimitable qui ne fait pas défaut à Dan Fante, même dans cet essai.
La tétralogie Bruno Dante est tout simplement incontournable dans le paysage de tout amateur de littérature qui a des tripes, qui sent la sueur rance des lendemains de cuite et le découragement terriblement humain du désespoir mâtiné d’humour grinçant et de lucidité extrême. Sa poésie et ses pièces restent dans la même veine, avec un petit « plus personnel » pour ses poésies, très neo beat, notamment De l’Alcool dur et du Génie. Dans Point Dume, son dernier livre publié au Seuil, il réussit à faire voisiner son univers habituel avec une trame de polar à la violence impitoyable.
On ne peut établir de hiérarchie quand on parle d’un grand écrivain, un type susceptible de générer une vocation d’écriture dans le cerveau et le cœur d’un lecteur exalté. Lire Dan Fante, c’est prendre le risque de se retrouver, forcément, dans une des facettes de son univers. S’y retrouver et ne plus vouloir en sortir. Dan Fante est un écrivain vivant, à jamais, car ses livres nourrissent la vie.
Nota : 13e Note ayant, hélas, mis la clé sous la porte sans autre forme de procès, trouver les livres édités chez eux s’apparente souvent à un intense jeu de piste… Il reste les occasions, qui tournent encore à des prix raisonnables sur divers sites et en librairie. Et, dans le cas de Dan Fante, Points et Christian Bourgois permettent de continuer à le lire sans s’arracher les cheveux.
Romans
Les anges n’ont rien dans les poches, (Chump Change, Sun Dog Press, 1998), Robert Laffont, 1996 — réédité en 2011 aux éditions 13e Note, sous le titre Rien dans les poches en 2011 et en 2015 en poche chez Points, dans une traduction de Léon Mercadet
La Tête hors de l’eau (Mooch, Canongate, 2001), Christian Bourgois, 2001 puis 10/18, 2004 et Éditions 13e Note en 2012, traduction de Jean-Pierre Aoustin
En crachant du haut des buildings (Spitting Off Tall Buildings, Canongate, 2002), Christian Bourgois 1999, 10/18 2002 et 13e Note 2013, traduction André Roche
Limousines blanches et Blondes platine (86’d, Harper Perennial, 2009) et 13e note, 2010, traduction Philippe Aronson
Point Dume (Point Doom, Harper Perennial, 2013), Seuil, 2014 et Points 2015, traduction Samuel Todd
Nouvelles
Régime sec (Short Dog : Cab Driver Stories from the L. A. Streets, Canongate, 2002) et 13e Note, 2009 puis Points, 2014 dans une traduction de Léon Mercadet
Renewal, Bottle of Smoke Press, 2005 — non traduit en français
Poésie
De l’alcool dur et du génie (A Gin Pissing Raw Meat Dual Carburetor V8 Son Of A Bitch from Los Angeles, Sun Dog Press, 2002) et 13e Note, 2010 (choix de poèmes 1983-2002), traduction de Léon Mercadet
Bons baisers de la grosse barmaid : poèmes d’extase et d’alcool (Kissed by a Fat Waitress, Sun Dog Press, 2008), 13e Note 2009 et Points 2014, dans une traduction de Patrice Carrer
Théâtre
The Closer/The Boiler Room (pièce créée à Los Angeles en 1998, non éditée)
Don Giovanni, 2006, 13e Note 2014 (et suivi dans l’édition française de Les Initiés, The Boiled Room), traduction Patrice Carrer et Dorothée Zumstein
Essais
John Fante & The Hollywood Ten, Bottle of Smoke Press, 2010
Dommages collatéraux : l’héritage de John Fante (Fante:A Family’s Legacy of Writing, Drinking and Surviving, Harper Perennial, 2011), 13e Note 2012, traduction Annie-France Mistral.
