« Comment faire fortune en juin 40 » : y’a pas à dire, c’est du brutal !

Fabien Nury, Xavier Dorison et Laurent Astier, Comment faire fortune en juin 40 (détail couverture)

C’est un des albums remarqués et remarquables de cet automne 2015. D’abord par son titre, agréablement provocateur en ces temps quelques peu lénifiants d’actualité morose, ensuite et surtout par son contenu graphique et narratif. Comment faire fortune en juin 40 – sans point d’interrogation –, comme une sentence et un postulat à la fois. Un coup de maître(s) du trio Astier, Nury et Dorison. 

Juin 1940, la débâcle. Dans la désorganisation générale, un audacieux projet de braquage voit le jour : un quatuor de truands veut attaquer un convoi d’or tandis que l’armée allemande attaque la France comme l’aigle fond sur la vieille buse, sans glaive vengeur ni bras séculier pour lui opposer résistance. Suite à un malencontreux oubli administratif, la Banque de France a en réserve deux tonnes d’or qui n’ont pas été mis à l’abri des griffes de l’envahisseur en marche. Elle organise alors dans le plus grand secret un transport de Paris vers Bordeaux, dans un camion blindé sous la surveillance de quatre gardes serviles au patriotisme irréprochable. Mais la nature quelque peu lâche (c’est un euphémisme) de l’un de ces convoyeurs de fortune va changer la donne.

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Fabien Nury, Xavier Dorison et Laurent Astier, Comment faire fortune en juin 40

Juin 1940 : un décor rêvé pour Fabien Nury (Il était une fois en France, Tyler Cross) et Xavier Dorison (W.E.S.T., Undertaker…) coutumiers des scénarios bien ficelés qui empruntent régulièrement les codes narratifs des films de genre.

Capture d’écran 2015-09-25 à 17.54.03A partir d’une nouvelle de Pierre Siniac, parue en 1975 chez Jean-Claude Lattès sous le titre L’Or des fous, Nury, Dorison et Laurent Astier au dessin ont composé une épopée qui n’est pas sans rappeler (et pour cause) l’univers des Lautner, Verneuil et autres Brian G. Hutton (De l’Or pour les braves avec Clint Eastwood). La conséquence directe : une bande dessinée « filmique » : avec ces appels du pied au cinéma des années 60/70, ces magnifiques contre-champs et contreplongées et une utilisation de la lumière qui flirte avec la perfection.

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Fabien Nury, Xavier Dorison et Laurent Astier, Comment faire fortune en juin 40

Comment faire fortune en juin 40 est à la fois noir, violent (ça explose toutes les quatre pages ou presque), drôle et désabusé (avec ces dialogues en mode staccato cynique) : le récit nous conduit des sombres rues parisiennes puis sur les routes de France jusqu’aux plages du débarquement, le tout sur un rythme effréné, ne laissant aucun répit au lecteur et aux personnages (auxquels on aurait tort de s’attacher trop vite, soit dit en passant).

Le dessin semi-réaliste de Laurent Astier et la couleur font merveille, les « gueules » sont croquées juste ce qu’il faut : le dessinateur n’a pas cherché à faire ressembler Franck Popp et Ange Sambionetti à Jean-Paul Belmondo et Michel Constantin dans Les Morfalous d’Henri Verneuil (tiré d’un roman de Pierre Siniac également) mais les références et l’humour sont bel et bien là. Avec deux mentions particulières pour le chauffeur allemand (ancien de la Wehrmacht qui fuit Hitler depuis 38 et qui commence à se demander si le dictateur ne lui en veut pas personnellement) ; et l’agent de la cinquième colonne qui manie son humour teuton légèrement glacial comme il défouraille à tout va.

Un album qui fait parler la dynamite.

Fabien Nury, Xavier Dorison et Laurent Astier, Comment faire fortune en juin 40, 120 p. couleur, Casterman, 18 € 95