Titeuf : le pire est le meilleur de Zep

© ZEP

Zep aurait-il perdu l’influx ? Son mojo ? A la lecture de la dernière livraison des aventures de Titeuf, la question se pose… En revanche, quand il s’agit de commenter l’actualité, le quotidien – son quotidien, souvent –, le créateur du héros à la grande mèche blonde n’est jamais aussi bon…

Paru le 27 août dernier, Bienvenue en adolescence n’est pas – loin s’en faut – à la hauteur des précédents albums de la série, tant la promesse du titre s’est perdue dans les méandres d’un humour «crottes de nez» qui feraient honte même à un élève de CM2, voire CM1. Sommé (ou presque) de grandir par Ramatou tandis que la dédaigneuse Nadia ne semble pas vouloir supporter qu’une autre qu’elle puisse apprécier Titeuf, ce dernier décide de devenir ado à tout prix.

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Rien à redire sur le graphisme. Le trait de Zep est toujours aussi pur, efficace et léché avec cette ambiance graphique toute en rondeur, cette ligne claire moderne si caractéristique de l’œuvre du dessinateur, qu’il s’agisse de Titeuf ou des Happy (Sex, Parents…). Le dessin unique du Suisse fonctionne toujours aussi bien, les personnages désormais emblématiques et les décors sont croqués avec tendresse. Côté écriture, en revanche, le bât blesse franchement. Bien sûr, ce n’est pas un ratage complet, l’humour affleure à chaque page, avec des gags en arrière-plan souvent savoureux et une trame classique. Ce n’est pas à proprement parler un accident industriel (le tirage initial est de 500 000 exemplaires), mais le moins que l’on puisse dire est que ce nouvel opus ronronne.

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Titeuf est égal à lui-même, sa quête est inchangée à l’heure des espérances de grandes transformations, il veut toujours comprendre le monde, les filles, ses parents, sa sœur… La fraîcheur et l’ironie qui illuminaient avec bienveillance l’univers du gamin se noient dans un fil conducteur qui frôle le surplace. Lorsqu’il posait les bonnes questions avec recul, distance et ironie, Zep était convoquant, innovant. Et son succès amplement mérité. Las, Bienvenue en adolescence se perd en conjectures faciles et répétitions : «les filles c’est chiant», le gimmick «c’est pô juste» s’essouffle et si l’histoire se lit néanmoins sans déplaisir, il subsiste au sortir de l’album un goût amer de déjà-lu, de remâché et l’ensemble manque singulièrement de cette étincelle qui aurait fait du postulat alléchant (le passage à l’adolescence) une évolution inspirée et engageante.

A la longueur de l’album, on préférera la concision magnifique et puissante de la page parue sur le site du Monde.fr le 8 septembre 2015 intitulée : «Mi petit, mi grand…»

Dans un long strip cruel mais débordant d’humanité, Zep envoie à tous un message d’une force rare : alors que rien ne l’y préparait, l’actualité rattrape Titeuf et le sort des réfugiés s’invite dans le monde insouciant du héros à la mèche blonde. C’est jour d’école, le gamin prépare son sac quand une explosion vient tuer son père… Prenant ses jambes à son cou, autour de lui, les immeubles subissent des tirs de roquettes, des snipers tirent sur tout ce qui bouge dans les rues et les morts s’accumulent (Nadia, Hugo, Manu, la maîtresse…). Titeuf doit fuir. Pour sa sécurité, quitter sa ville, trouver une frontière à franchir, et – peut-être – rêver au-delà des barbelés, d’un hypothétique salut.

© ZEP dans journal Le Monde
© ZEP dans journal Le Monde

La charge affective est énorme parce qu’elle met en scène notre peur par le prisme du regard d’un personnage enfantin que rien ne prédisposait à subir la guerre, contraint d’avancer vers l’inconnu. Mieux, Zep réussit le tour de force de pointer notre aveuglement volontaire (ou notre propension à regarder ailleurs quand tout nous commande de voir la triste réalité en face) en transposant une scène de guerre dans cet univers feutré qu’est celui de Titeuf, à mille lieues de ce qu’il est d’ordinaire : une bande dessinée de divertissement, avec des préoccupations liées à l’âge du personnage. Loin de la guerre, loin des migrants et de cette crise qui semblait si lointaine, mais qui soudainement frappe à nos portes.

Capture d’écran 2015-09-16 à 21.44.17Manière de rappeler, si besoin était, qu’un bon dessin vaut souvent mieux que de longs discours.

  • L’intégralité du strip sur LeMonde.fr ici.
  • Titeuf, T14, Bienvenue en adolescence, de Zep, 48 pages couleur, Glénat, 9 € 99