Avec La Source des fantômes, Yamina Benahmed Daho s’impose comme l’une des grandes voix de cette rentrée littéraire. Ce nouveau récit poursuit l’exploration autobiographique de l’autrice qui, cette fois, plonge dans son enfance vendéenne au cœur d’un lotissement des années 1980 où son père, harki hanté par la Guerre d’Algérie, a choisi de fixer sa famille.

Puissant et bouleversant : tels sont les mots qui viennent après la lecture d’A la machine, le nouveau roman de Yamina Benahmed Daho qui paraît aujourd’hui à L’Arbalète. En contant pas à pas l’histoire tragique de Barthélemy Thimonnier, l’inventeur ignoré et demeuré désespérément obscur de la machine à coudre, Yamina Benahmed Daho présente la violence noire et aveugle du 19e siècle industriel, sa rage à écraser les plus pauvres et les plus fragiles. Dans un lyrisme mesuré, aux yeux secs et fixes, la romancière évoque aussi plus profondément, au-delà de son patient travail historique, la fureur sociale qui anime notre temps, comme si la machine à coudre de Thimonnier pouvait coudre ses luttes aux nôtres. Diacritik ne pouvait manquer de partir à la rencontre de l’autrice le temps d’un grand entretien pour ce grand livre social et politique.

« De retour à son palais, Shâhriyâr fit décapiter son épouse, ses servantes et ses esclaves.
Il combla son frère Shâh Zamân de cadeaux et de richesses de toutes sortes et le renvoya à Samarcande. Il se mit alors chaque jour à épouser une jeune fille, enfant de prince, de chef d’armée, de commerçant ou de gens du peuple, à la déflorer et à l’exécuter la nuit même. Il pensait qu’il n’y avait pas sur terre une seule femme vertueuse ».

(Les Mille et une nuits, Pléiade, Tome I, traduction Bencheikh-Miquel)

Le viol comme sanction d’une déviance féminine est inscrit depuis longtemps dans nos imaginaires : les contes, qu’ils soient d’Orient ou d’Occident, habituent auditeurs.auditrices, lecteurs.lectrices à considérer somme toute comme normale ou du moins inévitable cette « sanction » contre les femmes, êtres immatures qu’on doit dominer et, si possible, éduquer !

Véritable cristal de douleur contenue, De mémoire de Yamina Benahmed Daho constitue un des plus beaux romans de cette rentrée d’hiver. Après le remarquable Poule D, la romancière évoque ici, comme une parenthèse de langage dans les choses, la tentative de viol que subit la jeune Alya et la traîne de douleurs qui l’assaille dès lors chaque jour. C’est le temps d’un grand entretien que Diacritik a voulu revenir avec la jeune romancière sur ce récit à la puissance politique rare.