Autopsie mondiale : la boum déglinguée et iconoclaste qui fait leur fête aux idoles !

© Fanchon Bilbille

À gauche juste avant le Soleil, le théâtre de La Tempête ouvre sa saison sous des auspices pop, dans des déhanchés langoureux et des refrains poético-caustiques de haute volée. C’est l’autrice Emmanuelle Bayamack-Tam, dont la très puissante Arcadie a remporté le prix du livre Inter en 2018, qui lance le bal, au rythme d’un texte décapant, généreux et loufoque dont les protagonistes improbables sont les (déjà) poussiéreuses idoles du star système des années 2000. Sa nouvelle collaboration avec le metteur en scène et directeur de La Tempête, Clément Poirée confirme leurs deux talents.

Le spectacle propose pendant deux heures assez haletantes un enchainement d’actions poussant l’absurde dans ses ultimes retranchements, iconoclastes et (tout juste) culottées. Surgi de ses limbes psychédéliques, un Michael Jackson plus mort que nature entame un dialogue ahurissant avec Britney Spears, aussi plastique qu’une poupée Barbie. Au début du show, les deux idoles s’affrontent à coups de gloussements, de pas de danse et souvenirs pour évaluer qui est la plus fausse des deux, qui a le plus souffert et qui devra rendre le plus de compte à une entité toute puissante, tombée des nues, des cintres et des écrans de télé : Opinion mondiale.

Incarnée avec jubilation par Louise Coldefy, cette arbitre des décadences contemporaines dirige le procès des idoles, et menace de faire disparaître l’œuvre du chanteur pédophile dont les multiples contrefaçons et autres arrangements avec la vérité sont mis à l’épreuve de ses jugements abrupts. Opinion mondiale a sur Michael la longueur d’avance de sa mort. L’autopsie a révélé que, comme autrefois celui de Charles Bovary, le corps de l’idole était creux : « à l’intérieur, on ne trouva rien ». Les costumes servaient d’oripeaux à un vide intersidéral. Ce creux, qui était autrefois l’apanage du petit bourgeois sans envergure, est devenu la caisse de résonance de tout un système iconolâtre et mondialisé.  En témoigne à sa façon l’irruption du dernier personnage, le « fan » encapuchonné qui porte la voix du public, joue le rôle l’avocat, et apporte de l’eau au moulin du chanteur, potentiel salvateur de l’humanité.

© Fanchon Bilbille

Bien sûr, ce n’est pas moralisateur, ce n’est pas unilatéral : les clichés déversés par Opinion mondiale, sa versatilité et son assurance ne sont pas plus réconfortants que les plaintes des idoles à l’enfance, forcément, malheureuse. Chacun est simultanément attendrissant et insupportable. Le spectacle rebondit sans cesse selon un crescendo déjanté et explosif qui met à mal bien plus que les icônes pop et revisite l’histoire de l’art et des religions.

En cinq temps, comme pour une grande tragédie, c’est toute la discographie de Michael Jackson qui se rejoue dans un melting-pop baroque où on ne lésine ni sur les paillettes, ni sur les effets. La sortie du tombeau en remake de thriller est particulièrement bien amenée et interprétée avec une maestria désopilante. Les acteurs polyvalents sont absolument remarquables dans leur maitrise des divers arts de la scène : Mathilde Auneveux et Pierre Lefebvre-Adrien, respectivement Britney et Michael, sont confondants de ressemblance et de décalage avec leurs illustres modèles. Qu’ils chantent, qu’ils dansent, qu’ils accouchent ou qu’ils ressuscitent, on n’en revient pas de tant de plasticité.

Ils évoluent dans une atmosphère burlesque, selon un rythme à la fois survolté et alangui, impulsé par les comparses clownesques de ces monstres désacralisés. Dès le début, un chauffeur de salle muni de son fer à repasser (les chaussettes) nous demande d’un ton lugubre si tout va bien. Il poursuivra son ballet bancal pendant tout le spectacle, costumant, perruquant, encourageant, virevoltant, tout en entonnant des airs funèbres de Purcell et Pergolèse. La partition audacieuse fait se rencontrer des univers qu’on aurait pu croire dissonants Dans ce cabaret apocalyptique, les époques se télescopent, les vivants et les morts se côtoient, et les idées les plus improbables prennent forme pour sauver un monde en mal de repères. Le propos est réjouissant, il fait triompher le jeu pour notre plus grand plaisir. C’est drôle, plein de références en forme de clins d’œil.  C’est pop, c’est baroque, c’est romantique, c’est expressionniste, c’est kitsch…Le texte est remarquable, les comédiens généreux, précis et polyvalents, la musique est bonne et on en prend plein la vue.
Aucune raison donc de se priver de ce plaisir explosif partout où il passera .

 

Autopsie mondiale ou la Joie de n’être rien, Théâtre de la Tempête.

Texte : Emmanuelle Bayamack-Tam

Mise en scène : Clément Poirée

Avec : Mathilde auneveux, François Chary, Louise Coldefy, Sylvain Dufour, Stéphanie Gibert, Pierre Lefebvre-Adrien.

Création au Théâtre de la Tempête du 15 sept. au 22 octobre 2023 – au Théâtre des Îlets – Montluçon les 17 et 18 janvier 2024 – à La Manekine – Pt-Ste-Maxence le 26 janvier 2024.

En tournée à partir de février 2025

Le texte Autopsie mondiale est publié chez P.O.L.