Comment naît une revue ? Existe-t-il un collectif à l’origine du désir de revue ou s’agit-il d’un désir bien plus individuel ? S’agit-il de souscrire à un imaginaire selon lequel, comme l’affirmait André Gide, il faut avant tout écrire dans une revue ? Pour cette dernière prise de parole : Garance Dor et la revue Véhicule qui fait connaître des textes entre théâtre et performance.
« La revue Véhicule est née en 2010 d’un constat, celui que l’édition théâtrale n’offrait pas de place aux formes textuelles hybrides, conçues pour la scène mais construites sur une structure « libre » loin de la forme dramatique. L’envie était donc de donner la possibilité à des textes écrits pour la scène mais qui adoptent un registre proche de la performance d’être publiés et lus. A ces textes « hors norme » pouvaient s’ajouter la littérature plasticienne, celle notamment proche des arts conceptuels. C’est ainsi que nous avons conçu un espace pour abriter et éditer des formes inclassables, entre poésie, partition de performance et protocoles. L’idée était d’inviter des artistes de différentes disciplines : arts plastiques, graphiques, poésie sonore, danse, design… Véhicule est tiré entre 400 et 600 exemplaires et conçu depuis 2010 avec le graphiste Vincent Menu qui donne une identité forte à l’objet. C’est une pochette surprise qui comprend des livrets, cartes, posters non reliés. Chaque artiste a son propre imprimé. C’est collectif mais c’est un rassemblement « sur mesure », individualisé. Nous travaillons Vincent et moi avec chaque artiste invité sur la forme la plus adéquate à donner à la proposition.
Quelle vision de votre discipline entendez-vous défendre dans vos différents numéros ? Procédez-vous selon une profession de foi établie en amont du premier numéro ?
Véhicule est une alternative à la diffusion des œuvres dans le cadre du spectacle vivant ou de l’exposition ; la revue est en effet conçue comme une vitrine ou une galerie mobile. Les différentes partitions peuvent être saisies par le lecteur et interprétées (ou construites selon la proposition) dans tout cadre, en dehors du musée ou des salles de spectacles, dans un un espace public ou privé.
Comment décidez-vous de la composition d’un numéro ? Suivez-vous l’actualité ou s’agit-il au contraire pour vous de défendre une vision de votre pratique détachée des contingences du marché éditorial ? Pouvez-vous nous présenter un numéro qui vous tient particulièrement à cœur ?
Véhicule a d’abord été apériodique, la revue est désormais annuelle. La composition de chaque numéro se fait par un équilibre entre des propositions de disciplines variées. Nous essayons en effet que cohabitent des œuvres convoquant différents arts. Nous sollicitons des artistes-auteurs qui réfléchissent déjà à cette notion de délégation de l’œuvre mais il nous arrive aussi d’inviter des artistes qui ne sont pas coutumier de cela pour questionner la transmission et la notation de des œuvres. Il importe pour nous d’avoir dans chaque numéro une diversité de mediums et une pluralité d’univers. Nous nous attachons à ce que les propositions d’activation ne soient pas destinées à des professionnels mais puissent s’adresser au plus grand nombre pour faire l’expérience de l’art, sans compétence spécifique préalable.
À la création de sa revue Trafic, Serge Daney affirmait que tout revue consiste à faire revenir, à faire revoir ce qu’on n’aurait peut-être pas aperçu sans elle. Que cherchez-vous à faire revenir dans votre revue qui aurait peut-être été mal vu sans elle ?
Nous cherchons à décloisonner l’espace éditorial, à faire circuler des œuvres par le biais de l’appropriation, de l’interprétation, à créer un espace d’actions et de suggestions pour le lecteur. Notre souhait est de mettre en valeur des pratiques ludiques et expérimentales qui n’ont que peu de place dans l’institution. Nous connaissions et aimions beaucoup les éditions et partitions Fluxus. Il y a aussi du Robert Filliou dans Véhicule, dans la manière de partager l’acte de création avec le lecteur…
Est-ce qu’enfin créer et animer une revue aujourd’hui, dans un contexte économique complexe pour la diffusion, n’est-ce pas finalement affirmer un geste politique ? Une manière de résistance ?
Pour nous l’acte de création de la revue était un acte de résistance : faire corps à plusieurs, donner en tant qu’artiste-éditeur de la place à d’autres artistes. La question de la diffusion est encore plus problématique dans le champ des arts plastiques et des arts scéniques. En regard de cela, l’espace éditorial reste suffisamment souple pour permettre la diffusion « lyophilisée » (notationnelle) de formes qui nécessitent le corps ou la matière. Mais si nous mettons « à plat » les gestes dans la revue, c’est bien parce que nous pensons que, par l’édition, ils peuvent reprendre chair. Véhicule est diffusé depuis 2 ans par Les Presses du réel, principalement dans les librairies d’art, de musées, FRAC, galeries mais aussi dans les librairies de poésie. Nous donnons corps à chaque numéro de Véhicule par des temps forts devant et avec le public pour permettre aux œuvres d’être jouées. La performance est le deuxième volet de notre activité, après l’édition.
Véhicule est maintenant suivi par des livres puisque nous éditons depuis 2020 d’autres objets éditoriaux.