Comment naît une revue ? Existe-t-il un collectif à l’origine du désir de revue ou s’agit-il d’un désir bien plus individuel ? S’agit-il de souscrire à un imaginaire selon lequel, comme l’affirmait André Gide, il faut avant tout écrire dans une revue ? Entretien avec Basile Sautois et Stéphane Cunescu pour l’étonnante revue Papier peint Mauvais drap, véritable vivier de rencontres poétiques.
« Nous étions fascinés par différentes revues du siècle passé (Les Lèvres nues, Action poétique, Chorus, Monsieur Bloom — des revues qui n’existent plus sous cette forme). Par l’idée même de revue, de série, de sommaire. C’est l’adolescence. Il nous fallait créer cette revue pour mettre au pied du mur nos velléités. Nous souscrivons tout à fait à l’idée de Gide. Créer cette revue reflète un peu notre « disponibilité » gidienne : c’est l’espoir de toucher des lecteurs, de rencontrer des gens.
Quelle vision de votre discipline entendez-vous défendre dans vos différents numéros ? Procédez-vous selon une profession de foi établie en amont du premier numéro ?
La « revue » existe par l’équilibre interne que nous essayons de faire tenir à chaque numéro, chacun constitué d’une matière hétéroclite. Nous ne voyons pas les contributions comme des illustrations de nos conceptions poétiques. Au fond, nous défendons et illustrons l’idée de revue plus que des idées sur la poésie. La rencontre avec Martin Verdet, notre graphiste, nous a permis de concevoir un objet qui ne ressemble pas à un livre, ni à une revue-de-poésie. Papier peint Mauvais drap est une revue luxueuse et bibliophilique (mais sans tranches pour les étagères) : elle nous coûte cher parce que nous avons fait le choix, pour chaque numéro, de proposer en plus du livret où figurent les textes, un cahier imprimé en couleur. Car c’est également une revue d’images. Présenté ainsi cela peut paraître banal mais en réalité une telle décision éditoriale fait exception au sein du paysage des revues, nous semble-t-il.
En dépit de cela, pour répondre à la seconde partie de votre question, il faut dire que nous n’aimons pas les contraintes…
Comment décidez-vous de la composition d’un numéro ? Suivez-vous l’actualité ou s’agit-il au contraire pour vous de défendre une vision de votre pratique détachée des contingences du marché éditorial ? Pouvez-vous nous présenter un numéro qui vous tient particulièrement à cœur ?
Mis à part les « commandes » auprès de poètes et écrivains ou traducteurs, les textes sont rassemblés au gré de rencontres avec des gens qui se trouvent sur ma route. Je pratique le « scouting », comme l’on dit dans le monde du football : je me rends à des présentations de livres, j’assiste à des soirées de lectures et parfois cela débouche sur une proposition de contribuer à la revue.
Le hasard fait qu’il s’agit souvent de jeunes auteurs qui « ont du mal » avec la poésie estampillée d’aujourd’hui. Nous ne rechignons pas à « publier » des primés que nous respectons (W. Cliff, F. Venaille, J. Stéfan) ; ils sont des atouts mercantiles dans une certaine mesure mais surtout des figures fétiches qui nous renforcent.
Nous ignorons tout des contingences du marché éditorial.
L’actualité imprimée et vécue nous angoisse (au sens kierkegaardieno-sartro-venaillien du terme, ne riez pas). La seule rubrique de notre revue s’intitule « Journalism », nous essayons d’y confondre définitivement le journal intime, la presse, la critique littéraire, Twitter, la gazette. Aux visiteurs du Salon de juger si nous y sommes déjà parvenus !
À ce jour nous n’avons fait paraître que deux numéros. Le premier (« Un lieu en Belgique ») est important car il concrétise un désir qui consistait à rassembler des poètes belges selon nous remarquables. Il s’est constitué à partir d’un poème de William Cliff, grâce à la générosité duquel nous avons pu poursuivre cette aventure.
À la création de sa revue Trafic, Serge Daney affirmait que tout revue consiste à faire revenir, à faire revoir ce qu’on n’aurait peut-être pas aperçu sans elle. Que cherchez-vous à faire revenir dans votre revue qui aurait peut-être été mal vu sans elle ?
En hommage au revuiste qu’il a été, mais aussi par la force des choses, Franck Venaille est présent dans les deux premiers numéros de Papier peint Mauvais drap. Grâce à Micha Venaille nous avons exhumé deux ensembles inédits, jusqu’alors consignés sur une clef USB. À chaque fois, les textes retrouvés entraient parfaitement en résonance avec le sommaire que nous étions en train de construire. Nous faisons revenir des auteurs qui ont constitué leur œuvre solitairement, en marge des agitations contemporaines. Il en va ainsi de Jude Stéfan, dont j’ai découvert par hasard des fragments inédits à la suite d’une rencontre fortuite avec Christophe Derouet dans une boulangerie (cf. les textes Passe-plat et Cagueries dans « La terre est plate »). Nous ne voudrions pas faire revenir que les morts : nous publions dans le n°2 un texte qu’Ivan Alechine a écrit en novembre 1970 pour célébrer le centenaire de la mort (!) de Lautréamont.
Est-ce qu’enfin créer et animer une revue aujourd’hui, dans un contexte économique complexe pour la diffusion, n’est-ce pas finalement affirmer un geste politique ? Une manière de résistance ?
Oui, certainement !