Voilà l’été chantaient les Négresses Vertes en 1988. Tu m’étonnes. On a eu le temps, depuis, de voir de quel bois il se chauffe, l’été. À l’époque, ça pouvait encore passer pour une chanson festive. Mais depuis, même les présentateurs météo ont abandonné leur sourire béat à l’annonce d’anticyclones à répétition. Tout s’est mis à cramer autour de nous, jusqu’à la forêt de Brocéliande. « Canicule » est devenu le mot le plus mondialement redouté, après « nucléaire » « Poutine » et « moussons ».
Et on se demande, béotiens : mais alors, pour produire de l’énergie solaire, dite propre, la canicule, c’est bon, alors ? Plus on va crever de chaud et de sécheresse, plus on va cramer, plus il va pouvoir y avoir d’énergie propre ?
Bon. En tout cas, en 88, déjà, cette chanson, qui, rétrospectivement, prend l’allure d’un hymne à l’apocalypse climatique, me tapait sur les nerfs. Pour des raisons si je puis dire esthétiques. Quand on sait que, la même année, paraissait N’importe quoi de Florent Pagny, on se demande comment on a pu passer le cap du 1er de l’an 89. Peut-être grâce à Pourvu qu’elles soient douces (Mylène Farmer) et Aviateur (Véronique Jeannot), rafraichissantes ritournelles sorties aussi en 1988.
C’est donc sous le signe d’une grande soif de petits matins brumeux et frais que débute la saison 2022-2023 de Modus dictum. Sous le signe d’un besoin d’aération. Or, quoi de plus aéré que l’aphorisme ?
Allons-y.
D’abord, il faut rappeler à l’aphorisme qu’on peut très bien le voir comme un avorton qui crispe ses petits muscles pour défier La Légende des siècles.
« Les idées sont des succédanés des chagrins ». Cet aphorisme de Proust s’est ramifié jusqu’à donner A la recherche du temps perdu. Je ne sais qu’en déduire. Peut-être faut-il en déduire qu’il n’est pas judicieux de toujours vouloir déduire et qu’on devrait se contenter de jouer du violoncelle debout dans un arbre ayant échappé aux incendies géants ?
Rien ne peut anoblir les gens sans noblesse. La noblesse ne se transmet ni ne s’acquiert.
Les contre-cultures finissent en colloques, en opposants, en dévots, en glossateurs, bref en cultures officielles. Pendant ce temps-là, la forêt d’Amazonie brûle. Quelle lucidité.
Être convaincu de sa propre lucidité ne va pas sans aveuglement.
L’affaiblissement du besoin de frimer est un signe inéluctable de vieillissement.
Nietzsche, période Humain trop humain, voyait dans l’équité « l’adversaire des convictions ». C’était, à l’époque, une de ses convictions. Mais comment l’exprimer sans tomber sous le coup de ce contre quoi elle met en garde, à savoir l’absence d’équité ? Nous devrions au moins essayer de nous souvenir de ces très subtils problèmes chaque fois que nous nous apprêtons à émettre une opinion tendant à se rapprocher d’une conviction.
Plusieurs des choses à propos desquelles nous exprimons avec sincérité notre rejet, notre indignation voire notre révolte, il n’est pas inenvisageable que nous en soyons les complices, les assistants voire les bénéficiaires.
Dans les liesses collectives couve un arrière-goût de lynchage.
Tu ne tueras point : tu ne chercheras pas à imposer tes préjugés aux autres par le meurtre. En retour, tu exigeras que les autres agissent de même. L’équilibre de la différence ; ou de l’indifférence.
La plupart des idées sont reçues. Selon nos tempéraments, nos formations, notre histoire etc., nous recevons les unes avec plaisir et intérêt les autres avec indignation ou effroi. Cela n’indique ni la vérité des premières ni la fausseté des secondes.
Ce n’est pas beau de traiter les gens de « bourges ». C’est du mépris de classe. Soyons contre. Dans une tribune, au moins.
C’est comme si je disais : « la « petite bourgeoisie intellectuelle » » m’exaspère avec ses réflexes pavloviens, ses certitudes obtuses et ses gouts prévisibles etc. ». Ce ne serait vraiment pas beau. D’autant que je serais bien obligé de m’avouer que « petite-bourgeoise intellectuelle » n’est qu’une baudruche-exutoire à mon exaspération devant toute forme d’idiotie clanique, surtout quand elle se prétend éclairée. Je ne le dirai donc pas. Je me refuse à un tel schématisme. Par ailleurs, il n’est pas exclu que la vague et navrante notion de « petite bourgeoisie intellectuelle » me concerne à certains égards.
Non, ce n’est pas beau d’essentialiser les gens.
Pas beau du tout.
Surtout qu’on peut se retrouver gros jean comme devant : l’essentialisateur essentialisé.
L’aphorisme appelle l’aphorisme contraire. Lautréamont, dans ses Poésies, a fait subir ce traitement à Pascal, Vauvenargues etc. On peine à savoir lequel, du détournement ou de l’original, on trouve le plus juste. Les deux, peut-être.
Un livre entièrement composé d’aphorismes s’auto-détruit, quel que soit la valeur des apophtegmes qui le composent et les orientations philosophiques qu’il laisse entrevoir ou assène.
L’injonction de subversion donne envie de pratiquer un conformisme au carré. Un bon gros traditionalisme des familles. Rôti du dimanche. Et une bonne petite messe par-dessus le marché.
Arty. Le mot le plus assassin de la langue française.
Le confort intellectuel. S’en prétendre exempt en est-il une variété ?
Tout aphorisme est réversible. Celui-ci pas moins qu’un autre.
Reste à savoir si tout cela est bien à-propos.
De manière générale il reste, semble-t-il, pas mal de choses à savoir. C’est plutôt gai. Dans l’ensemble.