Jean-Luc Outers : Le temps immobile – pandémie avec confinement

Gravure en couverture d'Un temps immobile © Simon Outers

Les ouvrages sur l’actuelle pandémie se multiplient. Non que l’on en ait fini avec cette crise mais, même si elle s’est ralentie, un phénomène d’accoutumance — peut-être tout illusoire — s’est produit. Dans le passé, différentes zones de l’humanité connurent de semblables ravages épidémiques. Mais jamais un tel phénomène n’affecta la totalité du globe terrestre ainsi qu’il fait aujourd’hui, ce qui donne tout son sens au titre du présent ouvrage, Un temps immobile. On n’en a d’ailleurs pas fini avec l’actuelle pandémie et l’espèce humaine peut avoir désormais le sentiment qu’un monde nouveau a pris naissance en cette circonstance et que rien ne sera plus comme avant. De là aussi, cette sensation qu’un coup d’arrêt a été donné à l’histoire humaine et que l’heure de certains bilans a sonné : elle se marque, par exemple, au nombre inédit de décès à l’intérieur d’une même population. Mais tout cela nous est désormais familier comme l’est le contact renouvelé avec des règles sanitaires rappelées à répétition aux membres des différents groupes constituant la société humaine.

Mais faut-il vraiment s’appesantir ? Auteur du présent ouvrage, Jean-Luc Outers se garde de toute dramatisation qu’elle se marque par le le nombre des décès et par la quantité des dégâts matériels ou moraux. Sous plusieurs des aspects de ce qui est en fin de compte un journal de bord, l’auteur insiste sur ce qui fait la nouveauté du mode de vie qui s’est emparé des humains aux quatre coins de la planète. Si bien que ce qu’il relève a toujours sous sa plume un côté quelque peu badin ou ironique. Et l’on retiendra parmi d’autres l’exemple de ce professeur de yoga qui fit apparaître sur l’écran des ordinateurs et du sien en particulier une annonce proposant par internet des séances gratuites en ces termes : « Il fallait faire vite. En fait de matériel, il recommandait un “tapis-yoga anti-dérapant et éco-responsable”. Mais dans l’impossibilité où les débutants étaient à s’en procurer, dans l’urgence, une simple carpette pouvait suffire. » (p. 49)

Ce que souligne notre diariste, c’est évidemment tout un ralentissement de la vie sociale imposé par différents interdits. Pensons à ce qu’ont de privatifs des notions comme celles de distance, de barrière ou, plus typiquement encore, de masque. En société confinée ou pandémique, nous vivons, en effet,  sous le signe de la privation ou de la restriction. Il n’est guère de plus belle illustration de ce MOINS que le masque qu’on nous impose et qui nous prive de la vision complète du corps de nos interlocuteurs.   Pour ne prendre que cet exemple, le port du masque veut qu’en bien des cas, la réduction des visages aux yeux, à leurs couleurs, à leurs regards — chez les femmes en particulier — suscite un effet de grâce ou de beauté qui pouvait être ignoré jusque-là. Le cinéaste Truffaut chanta jadis les enjambées par lesquels les femmes arpentaient le vaste monde. Il eût pu célébrer aussi bien l’actuelle généralisation du port du masque. C’est que l’isolement des yeux a, observons-le en bien des cas, un accroissement du mystère ou de la beauté de la personne. Le travestissement possède quelque chose d’évocateur ou de parlant. Là où la proximité des personnes paraît découragée (« gardons nos distances ! »), une manière de connivence est suggérée par certains biais ou indices tout au moins. Ce peut être le fait des regards et de ce qu’ils ont d’allusif ou d’insinuant.

Mais, pour le reste, ce sont les restrictions avérées qui prévalent. « Dans les écoles, on ferme les classes à la moindre contamination, note encore Outers. Le télétravail est recommandé sinon obligatoire. Les réunions se tiennent encore mais par écrans interposés. » (p. 100) Ainsi les différents pouvoirs politico-sanitaires multiplient contrôles, obstacles et mesures de restriction. Ce qui fâche ou révolte toute une partie de la population que l’on voit parfois s’attrouper et défiler en signe de protestation. Parmi ces gens comptons tous ceux qui refusent de se soumettre aux vaccins imposés par une sorte de révolte absurde. Une vaste lassitude s’est emparée de la population : « Il est déjà loin le temps du premier confinement avec sa joyeuse euphorie où s’expérimentait  une nouvelle manière de vivre , de se parler, de s’embrasser par écran interposé, d’éprouver la proximité dans la distance. » (p. 102)

Est-ce qu’un nouveau monde a pris naissance ? Jean-Luc Outers le pense mais sans appuyer. Il en dénombre en tout cas les manifestations l’une après l’autre. Que cela puisse s’accorder avec une guerre du passé comme celle faite à l’Ukraine, guerre qui s’allie avec des migrations insensées et tout aussi bien des bouleversements climatiques que personne ne veut voir ni admettre. Toujours est-il que l’ouvrage d’Outers est d’un moraliste inspiré qui puise dans la réserve de gravures que lui propose son fils Simon quelques traductions du trouble qui nous travaille en continu.

Jean-Luc Outers, Un temps immobile, avec cinq gravures de Simon Outers, éditions Le Taillis Pré, mai 2022, 112 p., 12 €