Ce matin il y a du vent sur la mer et pourtant tout est déjà chaud. La télé parle en continu et en même temps que la radio et que les gens qui font la queue de partout. Les avions low cost font des allers-retours dans le ciel et déversent sur le Vieux Port des gens qui se ressemblent tous. Et qui se perdent comme ils peuvent dans les petites rues. Et qui cherchent un morceau de la mer. Et qui achètent des savons. En plein milieu d’une tempête de soleil qui bombarde tout.
Je vais au marché le matin et quand je mets ma robe blanche on me demande si je suis en vacances. Parfois je me gratte la tête pour dire que tout ce que j’entends m’ennuie. Parfois je rigole derrière mes grandes lunettes de soleil. Parfois j’achète juste un melon, je vole une cerise et je réponds en anglais.
Sur les terrasses des restaurants personne ne mange seul. Et quand ils se lèvent, les gens, et quand ils ont payé l’addition et quand ils sont tous allés aux toilettes, on les voit devenir des flaques. Partout où l’ombre accorde sa miséricorde, il y a des gens qui se cachent : sous les balcons et les arrêts de bus, derrière les grands bâtiments, sous les voûtes, les arches, sous les parasols des autres. Et dans les bars. Quand il fait chaud les conversations sont pleines de gens qui disent qu’il fait chaud. L’alcool disparait dans l’air, les cigarettes s’allument d’elles-mêmes.
Je marche le long de la mer et j’attends le soir. Les enfants sautent du haut de la corniche et tombent à pic dans la mer. Et tout le monde les applaudit, sauf les policiers qui comme chaque été, s’inquiètent. Les vieux à la peau de crocodile fument des petits cigares fins et jouent aux cartes sur la glacière. Leurs femmes ont planté leurs sièges de camping au bord de l’eau et discutent de la vie qui change trop tout le temps. Tout le monde mange des glaces et des chips. Le soleil devient rose et le ciel violet.
Je marche le long de la mer et je vois les gros bateaux qui partent pour la Corse et les gros bateaux qui partent pour l’Algérie. Ils nous envoient de la fumée et des vagues, qui secouent les barquettes des pêcheurs. Sur le quai il y a des gens qui pleurent tellement qu’on dirait qu’ils vont mourir.
Plus loin sur la place, il se passe quelque chose. Des gens sont en train de parler de leurs affaires puis quelqu’un tombe dans la fontaine. Pendant ce temps quelqu’un lui vole son chien. Et quelqu’un d’autre se met à crier. Tout le monde regarde l’eau de la fontaine recouvrir le corps de l’homme qui est tombé dedans. Quand il se relève, on voit les gouttes d’eau qui descendent de son cou, traversent ses bijoux en morceaux de canettes et fil de fer barbelés, puis les gouttes d’eau qui continuent le long de son bras et sur tous ses tatouages. Puis les gouttes d’eau qui retombent dans l’eau. De l’eau comme de l’huile. Et son chien tout le monde l’aimait alors on ne peut même pas s’imaginer comment il l’aimait lui. Alors ses yeux se remplissent d’eau salée. Et on le regarde lever les bras et hurler dans le ciel rose et le soleil violet.
Quelqu’un dit Parfois, la vie elle tourne d’une tellement drôle de manière qu’il n’y a plus rien à ajouter. Puis tout le monde a envie d’aboyer.
Je marche le long de la mer entre les amoureux et les trottinettes. L’air sent le parfum des touristes, le gel à raser, la mousse coiffante, le monoï, le sel, les cuisines des restaurants, les poubelles qui fondent, les voitures qui brûlent et les habits neufs. Je marche le long de la mer qui promène ses petits moutons.
Je m’assoie quelque part où l’on m’attend. Où chacun essaye de raconter qui il est, et où l’on passe des heures à parler et à se taire (notre bar). Où chacun essaye de raconter comme jamais de sa vie il n’a raconté (sa vie). Les verres recouverts de perles et remplis de glaçons, la mer parait moins profonde. La radio chante les vieilles chansons italiennes, les olives ont des noyaux. On a coupé le son de la télé. La fumée des cigarettes fait des dessins dans le ciel qui s’éteint.
Puis vient le soir, comme un mélange de soie et de noir.
