Parce que la littérature est un vaste univers, parce qu’elle est composée de mille et une façons d’écrire et que chacune d’entre elles mérite d’être vue et reconnue, le festival Bruits de Langues a été créé. Il y a les classiques, ceux que l’on considère comme les fondements de la littérature, puis il y a le présent. Il y a ces auteurs et autrices méconnu.es mais talentueux.ses, ces livres, certes exigeants, mais non moins remarquables. Depuis plus de dix ans, Bruits de Langues s’accorde à leur offrir une place pour les laisser dénoncer les maux de notre époque, défendre les valeurs qui nous sont chères, mettre des mots sur des problématiques actuelles dans l’espoir d’y trouver, un jour, une solution.
Lundi 07 mars
Marie Mangez, une littérature de la sensorialité
Comment ne pas être intrigué.e par la mort ? C’est un sujet qui, depuis la nuit des temps, entraîne inquiétudes et questionnements chez tous les vivants. Nous le retrouvons donc naturellement comme thème de milliers de romans. Mais changeons un peu la recette : ajoutez quelques pincées de sensualité, cent grammes de mystère et beaucoup de spontanéité, mélangez le tout, et obtenez le premier roman de Marie Mangez, Le Parfum des cendres, récompensé par le prix Corpus Mortui 2021.
« Je me sens trop vivante pour ne pas être passionnée par la mort, monsieur Bragonard. Comme beaucoup de personnes, non ? […] Qu’est-ce qui vous intéresse dans la mort ? » Silence profond. Il semblait sincèrement réfléchir à la question. « La vie ».
Marie Mangez, Le Parfum des cendres, Finitude, 2021
Toute nouvelle dans le milieu littéraire, Marie Mangez marque la rentrée littéraire par un style spontané et romantique qui se met en avant dans un livre aussi touchant que troublant. En effet, est-ce possible de créer une romance en traitant de la mort ? Comment deux personnes peuvent créer un lien dans une ambiance morbide ? C’est ce à quoi seront confrontés Sylvain et Alice : quand l’un survit plus qu’il ne vit, à travers un odorat décuplé, et que l’autre profite de son existence presque maladroitement, au rythme entêtant de la musique, la dissonance ne peut que se faire ressentir. Pourtant, malgré les traumatismes du passé, les cœurs brisés peuvent se réveiller. Et lorsque les âmes sont connectées, il est au lecteur de manier son livre délicatement, afin de ne pas briser le fragile lien de deux cœurs intimidés.
Plongeons-nous, le lundi 07 mars 2022, dans la sensorialité déroutante mise en mots par Marie Mangez dans son premier roman Le Parfum des cendres. Ce sera l’occasion de découvrir l’œuvre plus en détails et, peut-être, découvrir le mystère qui embaume le roman…
Mardi 08 mars
Emmanuelle Pireyre, une littérature-tissage
Si la littérature est souvent perçue comme une continuité d’événements, un fil d’Ariane traçant la route d’un récit singulier, ce n’est pas le style de littérature que vous retrouverez en ouvrant un ouvrage d’Emmanuelle Pireyre.
Entre la fiction et le réel, l’autrice tisse plusieurs fils narratifs, construit ses récits d’événements véridiques et d’imaginaires, et d’assemblages de documentations qui brisent le quatrième mur de la fiction. Depuis 2000, Emmanuelle Pireyre se confronte et expose à travers ses textes et ses performances des sujets de société actuels au cœur de nos préoccupations d’Européens. Avec la parution de Chimère, en 2019, l’autrice nous présente un ouvrage inclassable, qui sort des sentiers battus et nous emporte dans un questionnement du réel. Dotée d’un talent pour manier les mots et pour insérer l’humour dans des sujets qui font débat, elle nous emmène, dans Chimère, aux portes de l’éthique scientifique et de la catastrophe écologique des OGM. En s’incluant elle-même dans son récit, à travers un double du même nom, autrice elle aussi, elle se projette comme actrice de l’histoire, et semble emporter le lecteur avec elle à travers la découverte de ces chimères, hybrides mi-humains, mi-animaux. Avec Chimère, elle ouvre ainsi un espace de réflexion sur notre rapport à la science, les failles de nos instances européennes, et explore le champ des possibles des innovations biologiques et technologiques.
“Après les révélations sur Alistair, Brigitte trouva de nombreux avantages à vivre avec une chimère plutôt qu’un chien basique. Les jeunes chiots ont d’ordinaire ce côté désespérant qu’ils mordent vos fenêtres, arrachent vos baguettes décoratives, ruinent le parement de cheminée et menacent de vous détruire la maison. Rien de tel avec Alistair qui, comme les robots et leur deep learning, était capable d’apprentissages. Brigitte employa pour l’éduquer les principes Montessori qui ont donné leur créativité aux grands patrons de la Silicon Valley. Alistair choisissait ses activités, répondait de sa voix rauque aux sollicitations de sa maîtresse, manipulait de grandes lettres rugueuses pour l’apprentissage de la lecture, développait son empathie et passait lui-même la serpillière s’il éclaboussait avec sa peinture le carrelage de la salle de bains. Il apprenait aussi beaucoup des films qu’il visionnait. Brigitte lui demandait de choisir ses programmes et de ne pas regarder n’importe quoi.”
Emmanuelle Pireyre, Chimère, éditions de l’Olivier, 2019.
Emmanuelle Pireyre sera présente lors de l’édition 2022 du Festival Bruits de Langues, durant toute la semaine du festival, au travers d’ateliers d’écriture, d’une rencontre sur son œuvre et d’une performance autour de Chimère.
Mercredi 09 Mars
Alain Damasio, une littérature dystopique
Écrivain récompensé, militant engagé dans les mouvements sociaux (notamment à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes), scénariste pour la télé et le jeu vidéo, créateur de podcast, Alain Damasio fait partie de ces artistes aux multiples facettes que l’on ne présente plus. Auteur à succès, il a publié des œuvres de science-fiction incontournables telles que La Zone du dehors en 1999, La Horde du contrevent en 2004, ou encore Les Furtifs en 2019. Pour d’autres, il est davantage connu pour avoir aidé et participé aux scénarios des jeux-vidéos à succès Life is Strange et Remember Me. Ses ouvrages dystopiques, bien souvent inspirés du réel, font de lui un auteur reconnu qui critique notre monde sur-connecté à l’aide de mots valises et de récits témoignant de l’opulence technologique de notre temps.
“Un message publicitaire nie la vie parce qu’il dégrade les désirs en besoins, d’accord ? Il est fabriqué pour ça. Pour que les flèches du désir s’écrasent dans un mur d’objets…”
Alain Damasio, La Zone du Dehors, 1999.
La science-fiction n’est pas qu’un récit de l’imaginaire. Nous le savons, il existe toujours une part de vérité dans ces récits venant du futur. Au travers de ses œuvres, Alain Damasio tente d’alerter ses lecteurs sur les effets néfastes de ce qu’il nomme le “techno-cocon”. Il appelle à un retour au vivant, aux sensations et à la nature avant que l’être humain ne soit totalement submergé par cette technologie qui le dépasse, le guide et le soumet. Son roman Les Furtifs met en avant une société de contrôle futuriste avec des villes privatisées par des grandes marques dans lesquelles les habitants sont soumis à un contrôle total de leurs faits et gestes, notamment grâce à des bagues où sont numérisées l’ensemble de leurs données personnelles. Une métaphore grandeur nature pour dénoncer la totale traçabilité à laquelle se soumet un individu en donnant toujours plus de pouvoirs à ses biens technologiques et aux réseaux sociaux. D’une autre part, le roman Scarlett et Novak met en avant l’addiction de notre génération en narrant l’histoire d’un jeune homme qui doit apprendre à vivre sans son smartphone.
“Tout mon travail pose un peu la même question : comment rester en vie, au plus haut niveau de sa vitalité, face à des systèmes qui cherchent à nous asservir. Dans « La Horde du Contrevent » je mets en scène un groupe d’individus qui progresse contre le vent pour en trouver la source. Parfois doux et enveloppant, parfois aussi brutal et infranchissable qu’un mur, le vent incarne dans le roman ce qu’est la vie. Au fur et à mesure des vicissitudes de la horde, on réalise qu’être vivant c’est être en mouvement dans ses actions, sa pensée, ses perceptions. Mais aussi en lien avec les autres, la nature, le cosmos…”
Alain Damasio dans une interview avec Stefano Lupieri pour Les Échos en juin 2021
Alain Damasio sera présent au festival Bruits de Langues le mercredi 9 mars dans l’Amphithéâtre Simone de Beauvoir à l’Université de Poitiers pour un entretien autour des questions de la jeunesse, de la technologie, des jeux-vidéos et de l’imaginaire (cette rencontre sera interprétée en LSF). Le soir, le concert rock-fiction poéthique d’Alain Damasio et de Yan Péchin “Entrer dans la couleur”, inspiré du roman Les Furtifs, sera joué à la Maison des étudiants.
Jeudi 10 mars
Véronique Ovaldé, une littérature de l’imaginaire
Si l’on parle d’imagination, on ne peut penser qu’à une de nos invitées au festival Bruits de Langues : Véronique Ovaldé. Elle tord et distord la réalité jusqu’à jouer avec elle afin d’explorer le champ des possibles et de donner vie à des réalités parallèles à la nôtre, des certitudes littéraires. Voici d’ailleurs ses propres mots sur le sujet : « Il faut qu’il y ait une part d’imaginaire, sinon je me sens contrainte par le réel. Ce que je veux, moi, c’est réinventer le réel ». Son dixième roman, le plus récent, intitulé Personne n’a peur des gens qui sourient, est peut-être moins fantastique, du moins, d’un point de vue pragmatique que d’autres de ses ouvrages, comme Ce que je sais de Vera Candida par exemple. Mais, ce qui fait la richesse de ses écrits, c’est son écriture qui apporte du fantastique, de l’imaginaire à un récit paraissant réaliste au premier abord. Elle utilise beaucoup de mots originaux, voire extravagants, ce qui « réinvente le réel » pour l’affranchir de certaines contraintes, qu’elles soient textuelles ou palpables dans les mondes qu’elle décrit. La linguistique n’est plus une contrainte, en plus de tordre et distordre la vérité, elle manipule les mots et parsème de ses termes fantaisistes au fil des pages, jamais de façon linéaire, pour créer des petits séismes d’imagination dans la tête du lecteur ou de la lectrice…
“Il faut dorénavant s’attacher aux choses minuscules, aux figures des lézardes sur le sol, à la tramontane qui fait ondoyer le faîte des arbres, aux carreaux froids et bleus de la cuisine, aux draps blancs en coton si usé qu’on croirait des ailes de libellule, aux ravines remplies de poussière derrière les meubles, au mouvement des nuages, au raffinement de cette tasse en porcelaine avec son ébréchure sur le bord, il faut s’attacher aux détails, parce que leur multitude, avec un peu de chance, fera apparaître un grand motif plein de sens. Et si cela ne se passe pas ainsi, si le motif cosmique reste incompréhensible, alors on demeurera délicatement et acrobatiquement penché sur la prolifération des détails, parce que, lorsqu’on a choisi le silence, on voit mieux, cela va sans dire, et on cesse d’accorder aux choses plus d’envergure et d’importance qu’elles n’en recèlent”.
Véronique Ovaldé, Personne n’a peur des gens qui sourient, Flammarion, 2019.
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Si cette chronique anticipative, proposée par Amandine Devezin, Marie Métois Iglesias, Isis Molinier et Inès Vom Hoevel (Master 1 Livres et Médiations, Poitiers) a su piquer votre attention et éveiller votre curiosité littéraire, nous vous invitons à consulter le programme du festival.
Les rencontres seront toutes retransmises en direct (lien ici) puis revisionnables depuis la platerforme UPTV.
Le programme détaillé est consultable sur notre site internet. Vous pouvez également suivre l’actualité du Festival jour après jour sur nos réseaux sociaux — page Facebook “Festival Bruits de Langues”, compte Instagram @festivalbdl et compte Tiktok @festivalbdl.