À propos d’un souvenir indifférent 2

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Quand l’avion a atterri à l’aéroport de Hanoï, j’ai récupéré ma valise et je me suis approché d’un comptoir où un douanier fumait une cigarette et je lui ai dit en anglais que j’avais un vol pour Paris le lendemain matin et il m’a répondu en vietnamien qu’il ne parlait pas anglais et un monsieur qui venait de Kunming et qui se rendait à Taipei a hurlé PARIS et le douanier a dit en vietnamien qu’il ne fallait pas hurler, en désignant le pistolet qu’il portait à la ceinture, puis il a regardé ma valise et il m’a regardé et il a pris un crayon à papier dans une poche de son uniforme et il a écrit quatre mots dans un cahier à petits carreaux dont la plupart des pages avaient été arrachées puis il a pris ma valise et il a hurlé à son tour et je me suis éloigné en étant convaincu que ma valise allait s’envoler pour Taipei et que je ne la reverrai jamais ou que j’en récupérerai une autre qui ne serait pas la mienne et dans laquelle je trouverais un objet qu’il serait dangereux ou un objet qu’il serait illégal de posséder. Il était dix-sept heures. Mon avion décollait le lendemain à six heures et je me suis rendu à la sortie de la zone internationale où j’ai montré mon passeport à un autre douanier qui tenait un fusil et celui-ci m’a dit en vietnamien puis m’a signifié par un geste de la main que je n’avais pas le droit de sortir de la zone internationale, au contraire de ce que l’employée de la China Southern Airlines puis le douanier de l’aéroport de Kunming m’avaient certifié, et j’ai fait le tour de la zone internationale puis je suis entré dans un duty free shop et j’ai voulu acheter une bouteille d’eau et un paquet de cigarettes parce que j’avais laissé une cartouche de Hongtashan dans ma valise. La caissière m’a dit en anglais que ce n’était pas possible parce qu’elle n’avait pas le droit d’accepter la monnaie chinoise et il n’y avait pas de distributeur automatique dans la zone internationale et il n’y avait pas non plus de bureau de change mais j’avais soif et j’avais envie de fumer et la caissière a accepté d’échanger un paquet de cigarettes Thang Long dont l’emballage était jaune vif contre un billet de 100 yuan, qu’elle a glissé dans la poche de son pantalon, car je me souviens qu’elle portait un pantalon noir et un chemisier blanc où était accrochée une fleur rouge dont je ne connaissais pas le nom, mais elle n’avait plus de bouteille d’eau. Je ne pouvais rien faire dans la zone internationale de l’aéroport de Hanoï, sinon attendre en regardant la version vietnamienne de Qui veut gagner des millions ? et parier sur la réponse A, B, C ou D, et dire à voix basse que c’était mon dernier mot, et être éliminé à chaque fois, et je tournais en rond, et j’avais envie de fumer mais il n’y avait pas d’espace fumeur dans la zone internationale et après avoir bu au robinet des toilettes pour femmes parce que le robinet des toilettes pour hommes était hors-service je suis retourné voir le douanier qui tenait un fusil et je lui ai montré mon paquet de Thang Long et je lui ai montré mon briquet et il a ri et il a désigné une porte qui ouvrait sur un corridor et au fond de ce corridor il y avait une porte identique et trois marches qui menaient au tarmac et j’ai fumé une Thang Long entre un avion de la compagnie Vietnam Airlines et un avion de la compagnie China Southern Airlines, et des hommes qui portaient des uniformes bleus et des casques blancs lançaient des valises et des sacs dans la soute d’un avion de la Thai Airways, puis je suis retourné dans la zone internationale et j’ai regardé les informations qui passaient sur un grand écran puis le bulletin météo qui annonçait de fortes précipitations sur la côte. Maintenant la nuit était tombée et une femme blonde qui portait des lunettes noires, arrivée à dix-neuf heures quinze de Bangkok et qui s’apprêtait elle aussi à prendre un avion pour Taipei, m’a donné une barre de chocolat mais c’était une barre de chocolat au lait et je l’ai accompagnée jusqu’à la porte d’embarquement numéro quatre puis je suis retourné au duty free shop et j’ai proposé à la caissière de troquer cette barre de chocolat au lait contre une bouteille d’eau et elle m’a donné une cannette de Coca-Cola et un autre paquet de cigarettes et elle a dit que le duty free shop fermait à vingt-trois heures, après le départ du dernier avion pour Kunming, mais je ne savais pas si je devais attendre la fermeture avec elle et quitter avec elle la zone internationale de l’aéroport de Hanoï ou passer la nuit sur une banquette et faire semblant de dormir.