Revue Le Coquelicot: « Le projet s’est imaginé autour d’un objet d’art : une revue papier comme expérience de lecture »

En lien avec le 31e Salon de la Revue qui se tient le 16 et 17 octobre, Diacritik, partenaire de l’événement, est allé à la rencontre de revues qui y seront présentes et qui, aussi vives que puissantes, innervent en profondeur le paysage. Aujourd’hui, entretien avec dynamique revue Le Coquelicot.

Comment est née votre revue ? Existe-t-il un collectif d’écrivains à l’origine de votre désir de revue ou s’agit-il d’un désir bien plus individuel ? S’agissait-il pour vous de souscrire à un imaginaire littéraire selon lequel être écrivain, comme pour Olivier dans Les Faux-Monnayeurs de Gide, consiste d’abord à écrire dans une revue ?

L’écriture dans une revue n’est pas – selon nous, un passage obligatoire pour accéder au statut d’écrivain ou de poète. Cependant il est vrai que publier dans une revue permet de tisser plus facilement un réseau à travers diverses rencontres. Mais c’est drôle que vous nous parliez de ce livre car c’est suite à sa lecture que la directrice de publication Aglaée Collin a motivé son envie de lancer la revue !

En décembre 2017, le projet germe suite à sa rencontre avec Billy Pierre, tous deux lauréats du concours international Poésie en liberté. Mais c’est à l’automne 2018, à Lyon, qu’Aglaée Collin, Clara Reboux et Hannah Starck fondent Le Coquelicot en tant que revue internationale d’art et de poésie. Nous avions cette envie commune d’entreprendre et de mener un projet qui conjugue expressions poétiques et plastiques. Dès le début, il y avait également la motivation de mettre en lumière et de rassembler des artistes/poètes d’aujourd’hui, connus ou inconnus et donc de faciliter l’accès au monde éditorial. L’association voit alors le jour. Les réflexions sur le contenu de la revue et la création des numéros se mettent en place lors d’échanges et de discussions dans des cafés lyonnais. À la même époque, Aglaée rencontre Oscar Bietry, qui rejoint l’association en tant qu’illustrateur de la revue et réalise notamment le logo. En avril 2019, le numéro 00 – Marée haute, à visée expérimentale, est lancé.

Quelle vision de la littérature entendez-vous défendre dans vos différents numéros ? Procédez-vous selon une profession de foi établie en amont du premier numéro ?

Ce n’est pas réellement de littérature dont nous parlons chez Le Coquelicot. C’est davantage d’un point de rassemblement de textualités différentes. Le Coquelicot a pour objectif de diffuser et de défendre la création poétique sous toutes ses formes, à travers une diversité de contenu, de langues, de matières et de sujets. Cette revue se veut être un espace de liberté d’expression et de création pluridisciplinaire. L’équipe du comité de lecture et de sélection des œuvres ne s’est jamais arrêtée à une forme fixe et précise. Même avant le premier numéro, cette idée était partagée par l’ensemble de l’équipe. Aucune profession de foi n’en a attesté au début, c’est au fur et à mesure qu’elle s’est établie et officialisée. Dans Le Coquelicot on peut retrouver des haïkus, des nouvelles, du théâtre, des poèmes en vers libres, de la prose ou encore du rap écrit. Du côté des expressions plastiques, on propose des gravures, de la peinture, des aquarelles, de la photographie ou des dessins ; des techniques et des styles qui varient selon les contributions. Cela fait écho à notre leitmotiv : Aucune frontière à la créativité !

Dès le début de l’aventure éditoriale, le projet s’est imaginé autour d’un objet d’art : une revue papier comme expérience de lecture. Au fil des pages, s’organise la rencontre de créations visuelles et textuelles, rassemblées par des appels à contributions. Le comité de lecture sélectionne un nombre limité d’œuvres et fait émerger un dialogue graphique à travers une mise en page mouvante et élastique. L’œil se réjouit à travers une lecture rythmée d’expressions poétiques. La revue défend le mélange des styles, sans contraintes littéraires ni plastiques, générationnelles ou géographiques. D’ailleurs, aucun artiste ne se concerte avant de créer et d’être publié. C’est Le Coquelicot qui tisse des liens poétiques entre les œuvres aux horizons différents. Par là, on cherche justement à créer un objet d’art au contenu richement divers et malgré tout, unifié.

En publiant des auteurs internationaux, la revue défend l’idée d’un échange cosmopolite. L’équipe fondatrice part du postulat que l’expérience esthétique naît d’une pluralité de formes. La majorité du contenu est publiée en langue française, mais la revue réserve une place de choix aux langues étrangères, comme l’anglais, l’espagnol, l’italien et bientôt l’allemand !

Comment décidez-vous de la composition d’un numéro ? Suivez-vous l’actualité littéraire ou s’agit-il au contraire pour vous de défendre une littérature détachée des contingences du marché éditorial ? Pouvez-vous nous présenter un numéro qui vous tient particulièrement à cœur ?

Les directions de la revue sont prises par le bureau décisionnel avec Aglaée, Clara et Hannah. Les trois fondatrices du projet organisent régulièrement des réunions afin de discuter du contenu de la revue, des partenariats, des contrats avec les artistes/poètes publiés, mais aussi plus largement de poésie. La composition d’un numéro se fait en plusieurs étapes. Avec une publication semestrielle, au printemps et à l’automne, la revue papier se conjugue autour d’un thème issu des quatre éléments, fil rouge donné à chaque numéro par l’équipe de rédaction : Marée Haute (N°00), Eveil (N°01), Cosmos (N°02), Feu-follet (N°03), et prochainement Écumes (N°04). Une fois que les appels à contributions sont lancés, l’équipe de rédaction rédige ses articles et le comité de lecture s’organise pour la sélection des œuvres. Dans la constitution du comité, il y a autant de membres internes à la revue que de membres externes, afin d’élargir les sensibilités. Dès lors le squelette du numéro constitué, le travail de mise en page commence, les relectures s’enchaînent et s’en suivent les démarches avec l’imprimeur. Enfin toute la communication constitue une part importante de notre travail tout au long de la publication. Nous tenons à organiser des évènements dans différents lieux culturels ou non (exposition à l’Université Lumière Lyon 2, lectures dans des bars de Lyon, exposition dans un salon privé ou encore des lectures à la mairie du 5ème arrondissement de Paris) afin de rencontrer les contributeurs, les lecteurs et de présenter les travaux publiés.

En élaborant un numéro, il n’est pas question de suivre directement l’actualité du marché éditorial mais plutôt de défendre une liberté de conception et de publication. En vérité, il a toujours été question de suivre nos envies et de proposer un contenu qui nous plaît ; des œuvres qui s’inscrivent dans notre temps, ouvertes sur le monde d’aujourd’hui et avec des questionnements actuels. Par exemple, la revue accueille des textes de rap couchés sur le papier, un coup de gueule, des focus sur différents sujets, ou encore un couple plastique et textuel érotique. Le tout à travers un travail de dialogue graphique novateur et une lecture ludique. Notamment dans le numéro 03, qui dès la première page, propose de déchiffrer un poème en s’armant d’un miroir et en tournant l’exemplaire dans tous les sens. Il est question d’intégrer constamment le lecteur à la revue.

Cette dernière publication, le N°03 – Feu follet, Printemps/Été 2021, vous offre de nouvelles pages pour lire ou observer diverses créations poétiques et plastiques. Il rassemble des œuvres de Nouvelle Calédonie, d’Irlande, d’Allemagne, du Canada, des États-Unis, d’Italie, du Honduras et de France, prêtant à chaque contributeur l’allégresse de créer. On y retrouve des poèmes qui chuchotent ou qui crient, des pâtes qui cuisent mollement, un collage au goût d’anniversaire, quelques briques rouges sur les murs ou des jours d’ennuis dans une rue vide faite de pastels. La revue propose aux lecteurs des critiques artistiques, avec un focus cinéma, des chroniques sur le monde qui nous entoure, des définitions de mots-mystères avec le dictionnaire des magnitudes. Fidèle à sa volonté de faire entendre les consonances multiples de la poésie, Le Coquelicot N°03 présente des poèmes en langues anglaise et italienne. De nouvelles créations s’ajoutent à son cabinet de curiosités : des mots-rires avec le collectif Surpoèmes et un duo érotique s’accorde à la curiosité sensuelle. La page de BD ou la lecture poético-astrologique apportent originalité et humour. Enfin, les œuvres sélectionnées du thème imposé s’animent autour du feu follet, fil rouge de ce nouveau numéro printanier.

À la création de sa revue Trafic, Serge Daney affirmait que tout revue consiste à faire revenir, à faire revoir ce qu’on n’aurait peut-être pas aperçu sans elle. Que cherchez-vous à faire revenir dans votre revue qui aurait peut-être été mal vu sans elle ?

Ce n’est pas la conception qu’on se fait de la revue mais c’est tout à fait charmant ! Nous avons sélectionné le format de la revue pour proposer un parcours de lecture aléatoire, qui puisse s’interrompre et reprendre à la guise du lecteur. Dans l’ensemble, Le Coquelicot cherche à faire revoir ou faire revenir sur la pluralité des poétiques, comme dans les rubriques Cartesblanchesinternationales et Polymnie. Nos autres rubriques Cabinetdecuriosité ou L’avisduCoquelicot cherchent aussi à revenir sur la signification des mots et leurs nuances (Le dictionnaire des magnitudes), ou encore revenir sur des œuvres qui nous ont marquées, théâtrales pour le Focus Scène ou cinématographique pour le Focus Image.

Est-ce qu’enfin créer et animer une revue aujourd’hui, dans un contexte économique complexe pour la diffusion, n’est-ce pas finalement affirmer un geste politique ? Une manière de résistance ?

Certes, le contexte actuel complexe ne facilite pas la tâche ; il est vrai que pour faire vivre la revue, nous fournissons un travail acharné et une énergie importante. Aujourd’hui, il est impossible de créer une place à une revue sans s’investir pleinement. Oui, on peut l’apparenter à de la résistance. À cette époque où les mots perdent de leur valeur, parfois même de leur sens, nous pensons que la poésie est là pour rappeler leur puissance. Il est aussi question d’accorder une certaine importance aux émotions et aux impressions quotidiennes que nous trouvons souvent oubliées ou négligées dans un quotidien où le temps nous échappe. Le Coquelicot est né dans une volonté de faire s’évader le lecteur, lui permettre de se plonger dans un espace-temps où les phrases se retournent, où les langues s’embrassent, où les mots résonnent.

Pour rebondir sur cette question, on a aussi choisi la fleur du coquelicot comme titre pour sa symbolique. Elle est souvent considérée comme un parasite par sa capacité à s’implanter dans n’importe quel milieu. Par sa couleur rouge vif et ses pétales soyeux, le coquelicot s’impose au regard tout en distillant une émotion douce et consolatrice. C’est une fleur qui a une puissance d’évocation oxymorique. C’est l’origine des quelques vers qui ouvrent systématiquement les numéros de la revue :

Robe de soie, rouge.
Éphémérité et consolation.
Le coquelicot se loge au creux des yeux, envahit tes pensées et
bouscule le schéma poétique.

Le site de la revue