Revue Débuts : « Nous ne croyons pas aux recettes d’écriture toutes faites »

Revue Débuts © A. Freudenthal

En lien avec le 31e Salon de la Revue qui se tient le 16 et 17 octobre, Diacritik, partenaire de l’événement, est allé à la rencontre de revues qui y seront présentes et qui, aussi vives que puissantes, innervent en profondeur le paysage. Aujourd’hui, entretien avec la dynamique et inventive revue Débuts.

Comment est née votre revue ? Existe-t-il un collectif d’écrivains à l’origine de votre désir de revue ou s’agit-il d’un désir bien plus individuel ? S’agissait-il pour vous de souscrire à un imaginaire littéraire selon lequel être écrivain, comme pour Olivier dans Les Faux-Monnayeurs de Gide, consiste d’abord à écrire dans une revue ?

La revue est née d’une double dynamique. D’abord, d’un atelier d’écriture : j’étais coachée par Chloé Delaume, qui m’a élégamment fait comprendre que je pouvais désormais voler de mes propres ailes ; elle m’a orientée vers l’univers des revues littéraires, que je connaissais peu. Quelle profusion ! Rapidement, j’ai écrit pour des revues et eu envie de rendre la pareille : « you can’t pay back, you can only pay forward. », m’a dit Lionel Davoust, auteur de science-fiction. D’autre part, au milieu du premier confinement, on a vu quelques jeunes auteurs se faire reporter ou annuler des contrats d’édition, de (grandes) maisons être plus frileuses pour éditer des primo-romanciers, voire fermer leur service de manuscrit. Cela m’a touchée et je l’avoue, angoissée, rapport à la liberté de création, à la visibilité des jeunes et aussi, il faut le dire, à nos perspectives professionnelles d’auteurs. Où se trouvait l’encouragement à la création, dans tout cela ? Cela m’a semblé d’autant plus « grave » que l’on connaît l’importance d’une première publication pour un auteur, et ses impacts émotionnels comme pratiques. Ainsi, le thème de la revue, « débuts », était tout trouvé. Lancer un appel à textes pour une revue naissante, c’était aussi recevoir des centaines de textes, et c’était un magnifique trésor, lors d’une année plutôt étrange où l’on parlait beaucoup de mort et de destruction. Nous avions envie de voir des choses naître aussi et de célébrer.

Quelle vision de la littérature entendez-vous défendre dans vos différents numéros ? Procédez-vous selon une profession de foi établie en amont du premier numéro ?

Un manifeste a en effet été établi pour le lancement de la revue. Intitulé Coudifesto, suite à une blague so 2020, il raconte pourquoi le thème « débuts », qui sera le même à chaque numéro, avec de légères variations (« préambule », pour le numéro 3, par exemple). Je vous en copie ici un extrait : « Nous voulons des débuts et des enclenchements, des surprises, de l’agitation. Y compris et surtout en littérature. Premières fois, incipits, genèse, bal des débutantes. Premier souffle d’un personnage, première page d’un texte oublié, changement de cap littéraire, nouveau genre. […] Jeune auteur ou vieille peau, inconnu ou « j’en peux plus », germe, aurore, tombe, seuil. […] On oublie que le début est dans chaque matin et demain, arrivé trop vite.  Nous écrivons le monde de pendant et pas celui d’après. »

Nous avions envie de nous dégourdir les jambes. Nous ne croyons pas aux recettes d’écriture toutes faites. Il n’est pas non plus question de balayer « tout le vieux monde », comme nous pourrions en être accusés. Nous voulons seulement porter des voix, écouter le monde de maintenant. Ce que font toutes les revues, d’ailleurs. La littérature est un reflet de la vie, réelle comme imaginaire (mais en ce qui nous concerne, la fiction est réelle), et c’est aux auteurs de proposer leur vision de la littérature. Des styles, des histoires, des claques : c’est ce que nous avons trouvé dans les textes reçus.

Éditer sur un thème tel, c’est trouver parmi les textes des préoccupations très actuelles et très intimes. Peut-être que dans dix ans, une compilation de tous les Débuts fera un bon livre de « reflets d’une époque ».

Comment décidez-vous de la composition d’un numéro ? Suivez-vous l’actualité littéraire ou s’agit-il au contraire pour vous de défendre une littérature détachée des contingences du marché éditorial ? Pouvez-vous nous présenter un numéro qui vous tient particulièrement à cœur ?

Je ne crois pas que le marché éditorial et l’actualité littéraire soient si déconnectés de la littérature, du moins dans les services littéraires ; il y a seulement d’autres problématiques, lourdes, qui s’y croisent, mais il ne faut pas diaboliser les éditeurs. Il y a de belles résistances internes. En montant une revue, on n’aperçoit qu’une partie incomplète des difficultés auxquelles l’édition fait face, et c’est déjà lourd. Néanmoins, le ressenti de jeunes auteurs est que face à une maison d’édition classique, les chances d’être édité sans être connu de la maison au préalable sont faibles voire inexistantes. Besoin de travailler encore le texte ou entre-soi, genre novateur inadapté à une ligne éditoriale, frilosité financière des éditeurs, inadaptation au marché, littérature « conceptuelle », beaucoup de causes sont identifiées dans un parti comme dans l’autre. Qui a tort, qui a raison ? En attendant, des gens écrivent de la littérature et c’est cela que nous avions envie de faire vivre.

Les textes sont sélectionnés pour Débuts par un comité de lecture avec au moins un nouveau membre (ajout ou remplacement) à chaque fois, pour que jamais nos écoutilles ne se ferment. Les critères sont la qualité littéraire du texte, le traitement du thème, et le kiff ressenti par les membres du comité à la lecture. Nous portons une attention particulière à la littérature qui apporte quelque chose, une émotion, un traitement neuf, un bon moment gratuit ou une réflexion pertinente, peu importe, mais à la littérature singulière, d’auteurs qui ont su trouver comment transmettre.

Ainsi, dans le premier numéro, nous avons choisi de publier : de la poésie, un extrait de pièce de théâtre, deux incipits de roman, une nouvelle complète, une nouvelle complète qui pourrait ne jamais terminer, une performance plastico-littéraire. La variété des genres choisis reflète celle des genres reçus, et cette diversité représente ce que nous voulions pour ce premier numéro.

Revue Débuts © A. Freudenthal

À la création de sa revue Trafic, Serge Daney affirmait que tout revue consiste à faire revenir, à faire revoir ce qu’on n’aurait peut-être pas aperçu sans elle. Que cherchez-vous à faire revenir dans votre revue qui aurait peut-être été mal vu sans elle ?

Nous faisons advenir ce qui n’a pas eu lieu parce que des gens mal réveillés n’ont pas eu le temps, ou l’argent, ou la volonté, ou l’œil ouvert, ou l’accès à, ou le pouvoir de conviction pour, ou l’écoute nécessaire de leur chef, ou l’époque, ou les moyens de découvrir, ou la possibilité d’attendre que, pour faire surgir ces textes-là. Et nous encourageons ceux qui pensent que nous sommes nous-mêmes mal réveillés à poursuivre leur tâche et leur travail, et à continuer à écrire.

Est-ce qu’enfin créer et animer une revue aujourd’hui, dans un contexte économique complexe pour la diffusion, n’est-ce pas finalement affirmer un geste politique ? Une manière de résistance ?

C’est un geste éminemment politique. La complexité de la diffusion vient à la fois du contexte pandémique dans lequel la revue a été créée et du contexte économique éditorial pré-existant. Quelle tristesse de constater qu’il n’y a pas de soutien à la création des revues, y compris via les institutions compétentes. Nous avons longtemps réfléchi à la pertinence de créer une offre de textes supplémentaires, quand des revues et des maisons indépendantes sont déjà en danger économique. Mais les voix comptent, et il nous a semblé important d’aller en chercher là où on ne venait pas les chercher, justement. L’un de nos textes publiés est celui d’une autrice qui n’avait jamais présenté de texte à un éditeur jusqu’ici. Elle nous a trouvées sur Instagram ! Ce n’est même pas révolutionnaire, en 2021, mais cela veut dire qu’on n’était pas venu la chercher, jusqu’ici. Croire que l’éditeur et l’auteur travaillent ensemble, et que l’édition est un service et un métier, plutôt que d’imaginer un auteur au service de l’éditeur qui accorde le privilège de l’édition : nous apprenons au fil de l’aventure que cela est extrêmement politique. Toute édition devrait l’être. Cela n’empêche pas de voir qu’il y a des contraintes économiques à prendre en compte, ce serait manquer de pragmatisme. Mais l’indépendance, l’intégrité du texte : une revue permet ça, quand elle parvient à survivre.

Revue Débuts

Revue Débuts © A. Freudenthal