Comme son titre l’indique, l’exposition « Quelque part entre le silence et les parlers », concerne le langage, les langues, leur pluralité mais aussi le fait de parler, une parole plurielle, des énonciations diverses, objectives et subjectives.
Le titre fait également signe vers ce qui serait apparemment le contraire de parler, à savoir se taire, faire silence, ne pas parler ou ne pas pouvoir parler, ou parler une parole porteuse de silence. Seraient également en jeu les silences dans la parole, ce qui n’est pas dit dans ce que l’on dit bien que cela y existe, y persiste, circule – une sorte de stratigraphie.
Il s’agirait de la parole, des paroles et de leur négation ou envers, le silence. Mais le commissaire de l’exposition, Florian Gaité, n’a pas seulement pensé ici un questionnement sur le langage et la parole en général, selon un point de vue abstrait. L’exposition réunit des artistes qui interrogent la parole et le silence à l’intérieur d’un contexte colonial et postcolonial.
Les artistes choisi.e.s et présent.e.s dans cette exposition sont toutes et tous relié.e.s à l’Algérie, y vivent, y travaillent, parfois vivent et travaillent entre la France et l’Algérie. Etre relié à l’Algérie, pour ces artistes, cela signifie être relié à l’Histoire de l’Algérie, à son Histoire récente, celle de la colonisation et de la décolonisation. Cela signifie également être construit par cette Histoire – et construire cette Histoire – non pas uniquement de manière superficielle ou administrative mais personnelle, intime, subjective, effective.

C’est à l’intérieur de ce rapport à l’Algérie et à son Histoire – Histoire qui évidemment déborde les frontières de l’Algérie – qu’est questionné le rapport à la langue, aux langues, aux paroles et à ce qu’elles disent, peuvent dire ou taisent de cette Histoire, de soi dans cette Histoire, par rapport à elle, avec elle, contre elle, pour elle.
Chaque artiste présent.e dans cette exposition développe son propre rapport à cette Histoire indissociablement individuelle et collective, personnelle et commune, et aborde, chacun.e à sa façon, des points relatifs à la parole et à l’expression de soi ou à son empêchement, à la construction ou restitution d’un discours subjectif (qui suis-je ? qui sommes-nous ?) et objectif (quels sont les faits ?), à l’identité personnelle-collective, etc. A chaque fois, ce qui est en jeu est la possibilité de se dire, de se définir à partir de la parole dont on est capable et de ses silences, parole ou paroles dont on a hérité ou que l’on crée, possibilité de dire ce qui est, ce qui m’arrive et nous arrive, ce que je désire et que nous désirons.
La parole, ici, n’est pas simplement l’expression d’une pensée, la transmission d’une information, elle est liée à l’existence, à la possibilité ou impossibilité de l’existence, de la reconnaissance ou invention de soi et des autres, de soi avec les autres.
A travers les œuvres, sont ainsi travaillés la question de l’identité dans un contexte postcolonial par rapport à la langue, identité linguistique et personnelle autant que sociale, politique, historique ; la possibilité d’un discours de soi en tant qu’individu, en tant qu’homme, en tant que migrant, en tant que pauvre, en tant qu’algérien ; le rapport aux discours communs, volontiers racistes, en tout cas négatifs (arabe = terroriste), sur le fait d’être algérien, arabe, immigré, sur ce qu’ils disent, présupposent, et la façon dont ils peuvent être inversés, subvertis ; la possibilité de créer et d’affirmer un discours personnel, en l’occurrence queer, à partir d’un code linguistique et symbolique dominant ; les potentialités créatrices du plurilinguisme ; etc.

Dans le contexte de cette exposition, de manière récurrente, la subjectivité personnelle et la parole qui accompagne cette subjectivité-subjectivation sont intrinsèquement liées aux possibilités et limites du discours commun, celui de la culture, de l’Histoire, des institutions, du social.
Il n’est donc pas étonnant que certaines œuvres privilégient l’archive et le document en tant que matière et en tant que forme, l’archive et le document comme moyens de retrouver une mémoire, de construire une mémoire – mémoire personnelle en même temps que collective –, de créer une parole par laquelle je me dis, je me découvre, je m’éprouve, j’affirme autant que je dis, découvre, éprouve et affirme une réalité collective, historique, politique, sociale. L’autre, les autres, et soi, en même temps, le soi étant ici toujours pluriel, fait d’une pluralité d’autres en soi, contre soi, avec soi.


Quelque part entre le silence et les parlers, exposition du 26 juin au 28 novembre 2021, Maison des Arts – Centre d’art contemporain de Malakoff. Commissariat : Florian Gaité. Artistes : Louisa Babari, Adel Bentounsi, Walid Bouchouchi, Fatima Chafaa, Dalila Dalléas Bouzar, Mounir Gouri, Fatima Idiri, Sabrina Idiri Chemloul, Amina Menia, Sadek Rahim.
À noter : le Centre d’Art de Malakoff sera fermé du 25 juillet au 10 septembre.