Ils ne savent pas de quoi je parle

Damiano David, Måneskin (capture d'écran Grand Final - Eurovision 2021 © DK)

Cher Olivier,

J’ai eu une journée étrange hier. Actuellement je vis un moment difficile, avec de grandes transformations, certaines positives, certaines moins positives, certaines assez insupportablement douloureuses. J’ai passé la plupart de la journée seul, un long dimanche seul, un week-end de Pentecôte, sans programme, ça m’a permis de beaucoup réfléchir, et j’ai un peu mieux ressenti je crois le paysage émotionnel de cette période de ma vie. J’ai 24 ans, je m’appelle Thomas, je vis à Bourg-La-Reine. Je suis étudiant en Droit mais je ne sais pas si je vais continuer, ça m’ennuie. J’aimerais écrire, comme vous, ne faire que ça, je ne sais pas si j’en suis capable. Je vous écris Olivier pour vous dire que cette nuit je me suis baladé en écoutant une playlist un peu morose, ça m’a accompagné dans la ville et c’était comme la trame sonore d’un film beau mais un peu glauque. Du genre Oslo, 31 août, vous avez dû voir, j’ai l’impression que vous avez tout vu. J’ai marché très lentement, il n’y avait rien qui pressait. Je n’avais nulle part où aller. Pour aller nulle part justement j’ai ouvert les applis dont vous parlez si bien.

Je ne me souviens pas comment je suis tombé sur ton profil, je peux dire Tu ? Il m’arrive parfois de tomber dans un trou de ver sur les réseaux sociaux. D’une manière ou d’une autre, sûrement grâce à nos ami-e-s en commun, j’ai vu ton profil. J’ai d’abord été frappé par la citation de Thérèse d’Avila en dessous de ton nom. « Vivre toute sa vie, aimer tout son amour, mourir toute sa mort. » Je me suis senti interpellé par cette instruction, injonction, direction. J’ai somehow complètement compris ce que cela voulait dire. Je me suis dit « c’est cela que je suis en train de faire. »  Je l’ai notée, cette phrase, je l’ai gravée dans ma tête, ça prend ée ou é, je n’ai jamais su les bons accords avec le verbe avoir. Moi ce qui m’intéresse c’est l’être. J’ai été curieux de voir quel genre de personne pouvait mettre une telle déclaration comme citation Facebook, alors j’ai fait défiler ton profil, où j’ai assez vite vu ta publication avec la photo de Duras, le texte que t’as appelé « Expérience du suicide ». Je ne pense pas être capable de résumer ce que j’ai vécu en lisant ton texte, et j’avoue que je n’ai pas tout compris, il faut que je le lise encore. Je vais le lire toute ma vie. Mais je peux te dire que je l’ai lu à haute voix avec la conscience immédiate que c’était un texte d’une grande pertinence pour moi, qui me donnait comme une clef, et je n’ai pas honte de dire que je l’ai lu en pleurant. Je crois que je connais le glissement dont tu parles, en fait ça glisse actuellement. Puis l’évocation de ce garçon, Guillaume, et le petit garçon toujours en toi, ce refus de se supprimer pour lui, en disant cela tu as fait immédiatement fait apparaître ce garçon en moi, aussi inexprimable que cela puisse être. Cela m’a transpercé le cœur. Franchement : il n’y a rien de plus vrai, de plus incontestable, de plus heartbreaking que « il est beau quand il vit ».

J’ai fait n’importe quoi cette nuit, encore. Certains diraient que je ne suis qu’un pauvre petit drogué, un de plus, j’aurais qu’à m’acheter une vie… J’aimerais pouvoir expliquer plus clairement ce que tes mots m’ont fait, comment avec cette expérience de lecture tu as sculpté ma pensée, comment tu m’as sauté j’ai envie de dire, tu m’as défoncé. Je parle de mes sentiments envers ce glissement.

Merci d’avoir accepté ma demande d’ami. Je me sens chanceux d’être en contact avec toi. J’ai encore tant de choses à dire mais je ne sais pas si je peux t’embêter plus longtemps. Qu’est-ce que t’en à à foutre d’un petit mec de banlieue comme moi, t’es ami avec Isabelle Adjani, putain ! Moi, Adjani, c’est pas ma génération mais si, j’ai vu et revu Camille Claudel, et je souffre de cette vie, et je suis heureux de cette vie, parce que je sais que ce genre d’absolu existe, doit exister sinon c’est plus la peine. Là, je suis en train de rêver que tu lui fasses lire mon message, et ma vie en serait grandie de savoir qu’une fois dans ma vie Isabelle Adjani m’a lu.

J’aimerais te rencontrer, peut-être, coucher avec toi ou pas, ou juste dormir, j’aimerais qu’on parle ensemble du chemsex, la 3, la C, le G, le poppers, le Viagra ou la Cialis pour tenir la route, le slam, tu vois quoi, la vie perchée. Le slam c’est pire, je ne pensais pas que je pouvais tomber si bas, tout en m’élevant si haut. Le slam, la première fois, ça a été comme un viol. C’était un plan domination (j’ai pas encore lu ton livre La vie privée mais j’ai vu que tu parlais de ça), je suis arrivé, plan direct dans une cave, le type m’a mis à poil, j’ai gardé mes baskets, il a mis mes fringues dans son sac à dos, puis on a commencé. Puis il m’a dit : On monte à l’appart. Je me suis retrouvé nu dans la cage d’escalier, on est monté au deuxième gauche, puis là dans l’appart, il y en avait deux autres, des domis. Ils étaient trois en fait. Je crois que ça m’a excité mais ça m’a fait peur aussi. Ils m’ont attaché à une chaise, je ne pouvais plus bouger, puis ils m’ont bâillonné, je ne pouvais plus parler. Et là ils m’ont slamé. Ils ont introduit la seringue, la piqûre dans la veine, au début ils ont eu du mal à trouver la veine, c’était mortel. Puis, tu sais quoi, quand le produit entre, t’as le shoot en 30 secondes, direct dans le cœur. J’étais alors si bien, et si mal, ça glissait. Depuis ce soir-là, je slame de temps en temps, et même seul maintenant, Olivier, j’ai slamé juste avant de me mettre à écrire ce message. J’ai envie de le dire, de te le dire. Un appel au secours ? Peut-être.

Toi, je suis sûr que tu as une belle et grande vie, j’ai vu tes photos et vidéos sur ton mur, moi c’est beaucoup de grisaille tu sais. J’ai pas eu une enfance triste ou traumatique pour autant, mes parents sont de la classe moyenne, j’ai un frère aîné qui est cool, alors je ne sais pas ce qui ne va pas. L’amour ? Peut-être. Je n’ai pas encore vécu d’histoire d’amour, je n’ai eu que des petites histoires assez nulles. Je crois que j’en demande beaucoup, c’est peut-être ça le problème, je voudrais vivre au moins une fois un amour comme celui de Camille et Rodin, tu vois quoi. Tu as vécu ça, toi ? Je crois que oui, ça se sent dans ce que tu écris. Ah, je ne t’ai pas dit, j’ai lu Bohème ton premier livre.

T’as vu ce qui s’est passé avec le bogosse chanteur italien du groupe Måneskin ? Le trait qu’il se prend en direct à l’Eurovision, lol. Et notre Barbara Pravi qui est arrivée en seconde position, lol, Voilà ! Bon, il paraît qu’il n’a rien pris, que son test est négatif, bien sûr, il doit aimer prendre du sucre par le nez ! Moi je suis content qu’ils aient gagné ces Italiens, t’as vu le clip ? On peut ne pas aimer ce genre de style mais ils chantent l’époque, la rage sourde de cette époque. Putain, il faut vite que ça pète, Olivier, c’est pas possible autrement, on va devenir tous fous ou drogués. Mes parents ils ont vécu une époque où on pouvait encore un peu croire en la révolution, moi je suis d’une époque où la révolution n’est plus possible, tout est bouché. Que le monde aille à sa perte comme dit ton amie Marguerite Duras. Oh, oui, qu’il y aille, mais comment, où, quand, avec qui ? Et je n’ai que ce cours de merde de Droit civil : les biens. Théorie générale des biens, les choses et les hommes. LOL. Moi les choses et les hommes, je les règle en faisant la salope, la slut, je deviens une chose qui ne sait que bouffer de la b… et j’ai un peu honte parfois mais c’est si bien, si bon, ne plus s’appartenir, perdre son corps et n’être plus qu’un corps en même temps… Parfois je me dis que ce n’est qu’une problématique de 24 ans, je cherche des limites, j’expérimente, je vis avec du retard ma crise d’adolescence, mais parfois je me dis que c’est plus profond, c’est… « Dieu » comme répondrait MD, c’est le tout et le rien, c’est la peur de la mort et l’envie de mourir, c’est cette phrase de Thérèse d’Avila, c’est toi, vous.

La drogue, c’est vraiment la merde mais tous les discours anti-chemsex c’est aussi tellement la merde, on fait comment ? Ils ont raison ceux qui jugent et qui ne prennent pas ces trucs, mais comme ils sont chiants en même temps, comme je n’ai pas envie d’être eux. Tu sais, je me considère même pas comme homosexuel, j’aime juste la b… et je suis contre l’hétérosexualité. J’aime bien les enfants mais ça me dégoûte de faire des enfants, ils ont tellement sûrs d’eux ces parents, tellement fiers de leur progéniture, fiers de quoi ? T’as 90 % d’avoir enfanté une future connasse ou un futur connard, qui votera Le Pen en cachette dans l’isoloir, et tu seras tellement plein de ton amour paternel ou maternel que tu ne pourras même pas voir la médiocrité de ton marmot qui fera lui aussi des marmots, comme une infection. La vie est une infection. Alors quelle arme ?

Voilà, Olivier, ce que j’avais à te dire. Je suis heureux de ces tristes réseaux sociaux parce que je t’y ai connu, y’a pas que de la merde dans les mondes numériques. Merci d’avoir accepté ma demande d’ami. Tu as compris, ça glisse en ce moment pour moi.

Tiens, voici les paroles de la chanson du bogosse italien.

T’as vu, c’est drôle, on dit perché pour ceux qui comme moi prennent des chems, ben en italien perché ça veut dire parce que.

Loro non sanno di che parlo
Ils ne savent pas de quoi je parle
Vestiti sporchi, fra’, di fango
Vous êtes sales, plein de boue
Giallo di siga’ fra le dita
Des tâches de cigarette sur vos doigts
Io con la siga’ camminando
Moi avec un cigare dans la main marchant
Scusami, ma ci credo tanto
Je suis désolé, mais je crois vraiment
Che posso fare questo salto
Que je peux réussir ce saut
E anche se la strada è in salita
Et même si la route est en montée
Per questo ora mi sto allenando
C’est pourquoi je m’entraîne maintenant
E buonasera, signore e signori
Et bonsoir, mesdames et messieurs
Fuori gli attori
Faîtes sortir les acteurs
Vi conviene toccarvi i coglioni
Tu ferais mieux de toucher tes couilles
Vi conviene stare zitti e buoni
Tu ferais mieux d’être calme et de te taire
Qui la gente è strana tipo spacciatori
Les gens ici sont bizarres comme des trafiquants de drogue
Troppe notti stavo chiuso fuori
J’ai été enfermé trop de nuits
Mo li prendo a calci ‘sti portoni
Maintenant je vais démolir les portes
Sguardo in alto tipo scalatori
Avoir l’air d’un grimpeur
Quindi scusa mamma se sto sempre fuori, ma
Alors pardonne-moi maman, je suis toujours dehors, mais
Sono fuori di testa, ma diverso da loro
Je suis fou, mais différent d’eux
E tu sei fuori di testa, ma diversa da loro
Et tu es fou, mais différent d’eux
Siamo fuori di testa, ma diversi da loro
Nous sommes fous mais différents d’eux
Siamo fuori di testa, ma diversi da loro
Nous sommes fous mais différents d’eux
Io ho scritto pagine e pagine
J’ai écrit des pages et des pages
Ho visto sale, poi lacrime
J’ai vu du sel, puis des larmes
Questi uomini in macchina
Ces hommes dans la voiture
Non scalare le rapide
Ne grimpe pas les rapides
Scritto sopra una lapide
Écrit sur une pierre tombale
In casa mia non c’è Dio
Il n’y a pas de Dieu dans ma maison
Ma se trovi il senso del tempo
Mais si tu trouves le sens du temps
Risalirai dal tuo oblio
Tu sortiras de ton oubli
E non c’è vento che fermi
Et aucun vent ne peut arrêter
La naturale potenza
La force naturelle
Dal punto giusto di vista
D’un bon point de vue
Del vento senti l’ebrezza
Le vent te donne des frissons
Con ali in cera alla schiena
Avec des ailes de cire sur le dos
Ricercherò quell’altezza
J’irai chercher cette hauteur
Se vuoi fermarmi ritenta
£Essaye encore si tu veux m’arrêter
Prova a tagliarmi la testa
Essaye de me couper la tête
Perché
Parce que
Sono fuori di testa, ma diverso da loro
Je suis fou, mais différent d’eux
E tu sei fuori di testa, ma diversa da loro
Et tu es fou, mais différent d’eux
Siamo fuori di testa, ma diversi da loro
Nous sommes fous mais différents d’eux
Siamo fuori di testa, ma diversi da loro
Nous sommes fous mais différents d’eux
Parla la gente purtroppo
Les gens parlent malheureusement
Parla, non sa di che cosa parla
Ils parlent, mais ils ne savent pas de quoi ils parlent
Tu portami dove sto a galla
Tu m’emmènes là où je flotte
Che qui mi manca l’aria
Je n’ai plus d’air ici
Parla la gente purtroppo
Les gens parlent malheureusement
Parla, non sa di che cosa parla
Ils parlent, mais ils ne savent pas de quoi ils parlent
Tu portami dove sto a galla
Tu m’emmènes là où je flotte
Che qui mi manca l’aria
Je n’ai plus d’air ici
Parla la gente purtroppo
Les gens parlent malheureusement
Parla, non sa di che cazzo parla
Ils parlent, mais ils ne savent pas de quoi ils parlent
Tu portami dove sto a galla
Tu m’emmènes là où je flotte
Che qui mi manca l’aria
Je n’ai plus d’air ici
Ma sono fuori di testa, ma diverso da loro
Je suis fou mais différent d’eux
E tu sei fuori di testa, ma diversa da loro
Et tu es fou, mais différent d’eux
Siamo fuori di testa, ma diversi da loro
Nous sommes fous mais différents d’eux
Siamo fuori di testa, ma diversi da loro
Nous sommes fous mais différents d’eux
Noi siamo diversi da loro
Nous sommes différents d’eux

Bon, maintenant je vais appuyer sur envoi. Cette lettre de moi tu vas la recevoir mais si ça se trouve c’est toi qui l’a écrite. Qui sait ?
Je t’embrasse si tu permets,

Thomas perché.

Nota bene :
Expérience du suicide. J’ai fait comme on dit bêtement deux tentatives de suicide dans ma vie. La première un peu théâtrale, la seconde plus sérieuse : pompiers, réanimation, coma. Je raconte cela seulement pour une chose :  les autres. Mon seul savoir est que j’ai senti que ça tenait à très peu. Ça tient à très peu. Je suis sûr qu’un mot ou qu’un signe même atmosphérique, une coccinelle, une pensée, le souvenir d’un visage, et même une certaine qualité de silence une ou deux minutes avant l’ouverture des veines, auraient pu me sauver, me détourner, arrêter le geste. Il y a une dimension de glissement dans le suicide. C’est fatal mais pas forcément inexorable. On y va parce que c’est la pente du moment, on glisse. On croit que cette pente est toute la réalité, le seul réel. Je vais essayer de dire, pas d’écrire, dire, quelque chose de très intime et fragile. Forcément je serai au bord du ridicule. J’ai plusieurs fois été au fond du trou, notamment cette fois-là de la TS sérieuse, j’avais vraiment envie d’arrêter, j’étais infiniment triste de quitter ce monde mais j’avais décidé de le faire, aussi par caprice, sale colère, agressivité. Mais là, je me suis senti descendre, comme dans un puits de malheur et de douleur morale, comme j’étais triste et seul ! Comme j’avais envie de pleurer toutes les larmes du monde ! De fait je les pleurais, ces larmes du monde. Puis il y eut cette petite colère, j’ai eu d’un coup cette pensée que malgré tous mes défauts et mes fautes, si nombreux et nombreuses, malgré mes mensonges et mes erreurs, je ne méritais pas de souffrir à ce point ; j’ai vu là comme une injustice et ça m’a révolté. Je descendais toujours dans le puits de douleur mais une sorte d’état nouveau est arrivé avec cette apparition de la colère. Et, je ne sais pas, je me suis vu, j’ai vu le petit garçon en moi et j’ai eu pitié de lui. Le mal était fait, les médicaments étaient avalés et les veines ouvertes mais quand même, je me suis comme regardé avec un peu de tendresse pour une fois, et de compassion, oui compassion, c’est le mot, j’ai souffert avec ce petit garçon que je suis toujours et que je cherchais à tuer. Et là, avec la compassion, est arrivé comme du vent, un souffle, un peu de vent qui a créé comme un espace entre moi et ma douleur. Oh ! Ça n’a pas changé la douleur. Elle n’était pas moins vive. Mais j’ai regardé cette douleur. Et je lui ai comme demandé : Qui es-tu ? Quel est ton nom ? Que me veux-tu ? Bien sûr la douleur n’a pas répondu. Mais c’est comme si j’avais vu, ou plutôt pris en considération, tout ce qui est en train de disparaître tout le temps, je parle vraiment de tout, du glacier qui se détache pour aller fondre dans la mer, du papillon qui meurt à tel endroit, telle pensée qui s’oublie, ces cheveux que l’on perd, tel amour autrefois ardent qui est devenu long et froid, ces trahisons, ces joies ponctuelles aussitôt évanouies et la solitude, tout quoi, tout ce qui est manifesté et qui est plein de mort, car ça meurt tout le temps, la vie, tout ce qui commence, finit, bla bla. C’est super bouddhiste ce que j’essaie de dire, je sais, mais c’est surtout quelque chose que j’ai ressenti au plus profond. Qu’au milieu de toute cette souffrance sans fin, au milieu de toute cette impermanence, cette absurdité et cette fatigue, il y a quelque chose qui ne bouge pas, qui ne commence et donc ne finit pas, la compassion. Toute personne rencontrée mène un rude combat. Toute personne, n’importe qui, du plus méchant, du plus débile, au plus gentil, au plus intelligent. Nous sommes tous sur un même bateau. C’est bête à dire, je sais, mais cette histoire de compassion, c’est important. Mais il faut le savoir, la compassion, pour les autres et soi-même, n’est pas une énergie comme peut l’être l’enthousiasme ou le désir par exemple. Ça ne donne pas d’énergie, la compassion, c’est comme en dehors des logiques de l’énergie ou du manque d’énergie. Comment dire ? Ça décille, ça déplace un peu là où on croyait qu’il n’y avait plus d’espace. On est malheureux, on a cette colère négative de vouloir se supprimer, on est désespéré, on va au fond de sa souffrance et elle est telle qu’elle blanchit comme un métal qu’on porte à incandescence puis tout à coup on voit l’enfant qu’on est et qui souffre, et on voit que cet enfant était innocent, qu’il s’est passé toute la merde de la vie mais quand même, le noyau d’innocence est toujours là, intact, alors non, finalement on ne veut pas que cet enfant souffre de trop ou meure trop vite. S’il doit mourir qu’il meure, au moins il ne souffrira plus, mais non, faiblement on dit non, on souhaite qu’il ne meure pas. Et qu’il souffre moins. Il est beau quand il vit. Et c’est bien quand il vit. Quand j’étais dans le coma, je me dis qu’il s’est peut-être passé ça, ce « non » que j’aurais faiblement murmuré à mon oreille, calme toi, c’est pas si grave, même si tu souffres c’est pas si grave, calme toi, t’as le droit de continuer à vivre, essaie au moins, continue et donne, tu verras. Pourquoi t’écris ça ? Vraiment pour les autres ? Quel malheur de ne pas être un saint. OS