Loïc Hobi : « Internet connaît bien plus de choses que nous, Internet est omniscient » (Les nouveaux dieux)

© Les nouveaux dieux

Quel.le.s sont les jeunes cinéastes talentueu.ses.x qui bousculent le cinéma et feront certainement les long-métrages audacieux de demain ? Loïc Hobi est à n’en pas douter l’un d’entre elleux, réalisateur prolifique dont les films oscillent singulièrement entre une part documentaire et expérimentale (Face à face dans la nuitLes nouveaux dieux) ou sont marqués par un travail photographique soigné à l’endroit de la fiction (L’homme jetée). Dans tous les cas, ses courts sont systématiquement touchés par la grâce cinématographique et une immense mélancolie. Le found footage d’internet, les expérimentations visuelles informatiques et les musiques synthpop étonnantes s’articulent ainsi toujours à une histoire s’appuyant sur une dramaturgie bouleversante. Car le tour de force est bien là : fissurer la frontière qui sépare les images que l’on voudrait cantonner au cinéma expérimental en les faisant glisser vers celui d’un certain art du récit. Au cœur de celui-ci, des obsessions que Loïc Hobi explore avec variations : notamment la solitude, la masculinité, la violence, les relations virtuelles. Le FIFIB 2020 (Festival International du Film Indépendant de Bordeaux) miraculé de l’entre-deux vagues de Covid-19 fut l’occasion d’entamer avec le cinéaste un dialogue transversal sur sa filmographie galopante, alors qu’il y présentait son nouveau film Les nouveaux dieux en première mondiale dans l’enthousiasmante compétition Contrebande, et qu’il en prépare déjà trois autres.

Ma première question voudrait s’attarder sur la technologie, le logiciel que vous utilisez pour modéliser les images de manière virtuelle, informatique, pixelisée. Quelle est-elle et pourquoi vous en servir de cette façon ? Est-ce pour des raisons esthétiques ? Il me semble qu’elle déréalise autant qu’elle agit comme exhausteur, sans jamais être un pur artifice.

En fréquentant internet, on fait forcément face au détournement d’images. Les contenus viraux perdent certaines données dans leurs partages ; on screen, on compresse, on reposte, on ajoute du texte, on crée des memes. Nos images sont transformées et dégradées à l’infini, et le sens avec. Pour interpréter ces phénomènes, j’ai donc longtemps cherché à faire du datamoshing, une technique un peu aléatoire consistant à faire glitcher (ndlr : bug visuel de l’image informatique), altérer les images en fonction de leurs métadonnées afin de créer des rendus métas, mais incapable d’avoir un résultat qui me plaisait et par besoin de contrôle sur mes images, j’ai fini par reprendre une technique développée avec un autre film : Face à face dans la nuit, un précédent documentaire expérimental.

Le procédé consiste à éclater une image en 3 dimensions, chaque pixel va se placer dans une profondeur relative à sa luminosité. Très pragmatiquement, j’applique plusieurs effets dans After Effects, notamment un qui me permet de travailler une image 2D comme dans un espace en 3 dimensions, et de plonger dans ce qu’elles sont. Originellement, dans Face à face dans la nuit, le but était de réunir dans un espace virtuel, plusieurs images qui ne peuvent coexister dans un espace en 2 dimensions, c’était aussi dû à une nécessité d’anonymiser les protagonistes. Ces expérimentations étant tellement lourdes, je garde une interprétation numérique que je découvre entièrement seulement à la masterisation, ce qui a d’ailleurs donné l’un de mes moments préférés de ce film.

S’agit-il tout simplement de trouver des solutions formelles, purement cinématographiques à la mise en scène du monde virtuel hyper présent tel qu’il nous entoure : celui des forums, des applications de rencontre, des jeux vidéo, des systèmes informatiques ?

La mise en scène d’internet au cinéma me passionne, mais est très peu explorée esthétiquement. Comme si on ne réalisait pas la toute-puissance du net à l’écran, sa non linéarité et sa multiplicité dans ces dimensions. J’avais originellement exprimé internet sans théoriser ma manière de faire. Ce que j’en comprends maintenant était mon besoin de réunir dans un même endroit, toutes ces images cohabitant dans un autre monde. Ça ne pouvait se faire dans un espace en deux dimensions. Depuis que je travaille cette matière numérique dans des espaces en 3 dimensions, cela m’a débloqué, car finalement nos écrans ne sont que les ombres des algorithmes que l’on consulte.

© Face à face dans la nuit

Dans Face à face dans la nuit, vous utilisez des images glanées sur internet d’hommes gays connectés sur des sites de rencontre. La déformation/reformation des images partait-elle aussi de la nécessité d’anonymisation ? Ce qui m’a frappé aussi, c’est le concert des voix qui n’en faisaient presque plus qu’une à la fin du film. J’ai l’impression que celle-ci a définitivement mué vers celle que vous mettez en scène cette fois de façon purement fictive dans Les nouveaux dieux « incarnée » dans le personnage de LonerWolf58.

Ces expérimentations sont effectivement nées par besoin d’anonymiser les protagonistes filmés. C’est une question éminemment éthique qui se pose avec la création de contenu récupéré sur internet. Concernant le concret des voix, là où les images se mélangent dans cette galaxie, j’ai l’impression qu’on peut avoir une vraie intimité grâce aux voix. Cette intimité on la partage avec des vloggers, avec nos amis quand on se facetime, etc. Dans Les Nouveaux Dieux, tout le travail sonore s’est fait à contre-courant de celui de l’’image, afin de dénoter la clarté du discours et plonger un peu plus dans l’aliénation du personnage par internet.

© L’homme jetée

Vos trois films sont traversés par la question de la solitude qui se joue à différents endroits : des mecs qui se masturbent en webcam dans le premier, un jeune homme qui veut intégrer un clan dans L’homme jetée, ou un autre qui vit mal sa virginité au point de haïr les femmes, haïr tout le monde dans Les nouveaux dieux. Dans quelle mesure ce spleen, cette mise en scène sans fard de la solitude mélancolique dit-elle un mal contemporain ? Ou votre objet est-il ailleurs ?

On parle d’un mal existant depuis toujours, mais totalement exacerbé par le monde contemporain. Il est mené par l’hypersexualisation d’un côté et par le flot incessant de contenu numérique de l’autre. Depuis quelques années, on digère enfin un peu ces phénomènes et il y une ouverture de la parole sur ces sujets. On m’a d’ailleurs récemment demandé pourquoi je me plaçais en tant qu’auteur, à contre sens du courant de parole actuel, en explorant un discours misogyne. Mais si mon propos est complémentaire à mes yeux, dans ces films je tente de faire le constat de ce qui détruit l’homme actuellement. Une destruction des hommes par les règles masculines, quelles qu’elles soient. L’exemple, chez les hommes, de l’échec d’un certain patriarcat. A mon avis, au-delà de l’exacerbation de ces maux, ce qu’il y a de contemporain ce sont les mots qu’on met dessus et les outils pour les observer.

Les interfaces érigées en « lieux » de rencontres sont-elles selon vous des endroits, des médiums qui décloisonnent et permettent des échanges, ou intrinsèquement des moyens par lesquels les solitudes viennent s’échouer, nourrissant les illusions et les renforçant ? Mais plus encore s’il existe une ligne de démarcation, n’est-elle pas davantage à observer dans la nature des échanges ?

J’ai grandi sur internet, avec des groupes d’amis que je fréquentais par Skype, et pour rien au monde je ne troquerais cette adolescence par quelque chose de plus IRL (ndlr : In Real Life/Dans la vraie vie). Je vois ces espaces virtuels comme de nouvelles possibilités de s’épanouir, mais forcément, à première vue, briser l’intime de cette manière entraîne une solitude immuable aux relations distantes. Néanmoins, les identités virtuelles prennent de plus en plus de places, c’est un fait. Mènent-elles forcément à une solitude ? Avec du recul, j’ai l’impression que la solitude virtuelle se crée lorsque nous même, ou les personnes auxquelles nous faisons face, ne considèrent pas les relations virtuelles comme des relations légitimes. Elles le sont. C’est une thématique que j’explore entièrement dans un court métrage de fiction que j’espère tourner prochainement : Alexx196 & la plage de sable rose. Ces dispositifs d’internet sont évidemment un moyen inouï d’observer au plus proche ces rencontres, mais elles sont bien distinctes et bien plus fortes ou intimes que les rencontres IRL selon moi.

Face à face dans la nuit en accès libre dans le catalogue du Collectif jeune cinéma


Vous n’éludez pas la question de la violence, souvent subséquente à ces solitudes extrêmes. Il s’agit à l’inverse de la confronter, de nous y confronter à deux endroits : faire face à la dureté, aux injonctions des interactions sexuelles virtuelles : « montre-moi ta bite mec ou je me déconnecte » (Face à face dans la nuit) ; la violence normative de la bande de garçons (L’homme jetée) ; le complotisme, la haine et la misogynie que vomit LonerWolf58 en mode adolescent préparant une fusillade (Les nouveaux dieux) faisant penser à Elephant de Gus Van Sant. Plus subtilement, c’est la mise en scène de leur propre destruction exogène, ou leur mise en danger, leur autodestruction, leur dépression comme une interrogation sur la véritable provenance de la violence, sur la responsabilité collective, qui est je crois au cœur de votre démarche…

Je suis moi-même quelqu’un d’extrêmement repoussé par la violence. Je ne la comprends pas, elle m’insupporte. J’ai envie de dire à tout le monde calm down. Dans le contexte actuel, je crois qu’on est tous amené à remettre en question sa propre violence. Il y a ce besoin incessant de s’identifier, de se prouver par des actes violents, spécialement en tant qu’homme. Je constate avec peine, la répétition de ces schémas de violence. Elle est tellement institutionnalisée. Dans des actes visibles, je pense à mon premier lycée qui avait pour « tradition » un bizutage qui consiste à raser le crâne de tous les nouveaux élèves masculins en première rentrée. Mais cette violence est insidieuse et elle se retrouve, moins visiblement, dans chaque rapport humain. Dans L’Homme jetée, je n’avais pas forcément conscience du degré d’intimité que je touchais avec ce personnage qui veut se forcer, se faire violence, pour grandir. On parle enfin des sentiments des hommes, et c’est évidemment bien plus facile pour moi d’en parler en tant que membre de la communauté LGBT que pour une personne hétéro, car c’est à ce niveau qu’on vient remettre en question notre identité.

Je ne peux excuser la violence que je mets en scène, mais au fur et à mesure, je me rends compte, qu’on ne peut jamais la comprendre totalement. Et c’est bien pour cela que c’est frustrant. C’est très dur d’accepter cette impossibilité, ça serait évidemment tellement plus rassurant de se dire que c’est la faute d’un parent, des jeux vidéo, etc. Mais on est tous coupable. Je ne pourrai jamais condamner la violence d’une seule personne tant celle-ci est omniprésente dans tout ce qui nous entoure. Je garde espoir cependant. J’ai l’impression que pour désamorcer les personnes violentes, il est primordial de ne pas résumer le problème aux seules personnes qui passent à l’acte. J’ai fait ce film à 22 ans, l’âge de la personne dont je fais le récit. Pourquoi ne me serais-je pas radicalisé comme lui ? On a tous vécu des humiliations et ressenti ces injustices, mais on a pu les expulser, par la parole, ou quelque chose de cathartique. Je nous y confronte en tant que spectateur car j’ai envie d’écouter ces personnes. Dans le cas des hommes que je mets en scène je remarque surtout que c’est un manque d’amour mêlé à la répression de leurs sentiments, un cocktail explosif qui créer des incels (ndlr : involuntary celibate/célibataire involontaire. Communauté misogyne en ligne) par millier dans ma génération. Personnellement, c’est le côté cathartique de ces mises en scène qui me sauve.

Cette violence est d’ailleurs systématiquement une affaire de garçon… Est-ce une manière de venir questionner leur éducation, leurs modes de socialisation, ce que produit de plus toxique l’hétéronormativité et la masculinité ?

C’est tout d’abord ce que je connais. Ça sera toujours plus simple pour un auteur de parler de ce qu’il constate directement. Evidemment j’ai l’envie de montrer l’échec de la pensée « masculiniste » en montrant les conséquences néfastes que cela a sur les hommes. Mais je me positionne un peu plus délicatement et je pense qu’il faut faire attention sur notre responsabilité en tant que membre d’une société. Je reste assez convaincu, et c’est une question politique – donc mon opinion évoluera forcément en fonction d’où nous nous dirigeons avec nos déconstructions personnelles – et qu’on participe toutes et tous à ces phénomènes de socialisation ; je le crains de vers une radicalisation masculine malheureusement. Moi-même en représentant cette violence masculine, j’ai très peur que mes films se fassent approprier par un discours opposé. J’ai donc voulu écouter, sans agréer, des discours opposés, misogyne ici, et comprendre les dénominateurs communs, en espérant apercevoir les clés nécessaires pour désamorcer toute cette violence, du moins la mienne.

Pour ce personnage, vous travaillez avec Hubert Girard dont vous aviez déjà fait le protagoniste de L’homme jetée. Après l’expérimentation du found footage, et cet avant-dernier film, comment concevez-vous la direction d’acteur et de quelle façon avez-vous travaillé ce personnage ensemble ? Vous êtes-vous inspiré de faits divers précis ?

Dans ce film, je reprends directement un discours prononcé dans plusieurs vidéos par un jeune homme de 22 ans. Certes il est traduit et réduit, il y a déjà là un questionnement de ce que je choisi de garder pour représenter cette histoire, mais éthiquement et légalement je ne me sentais pas d’utiliser directement les vidéos originelles, je les ai donc retournées avec Hubert Girard, qui s’est prêté à ce jeu bien étrange. Tout ça s’est fait assez instinctivement, on a essayé de réinterpréter le moins possible, mais par moment le discours réel paraissait presque trop ridicule pour être vraisemblable. La direction de comédiens a été un peu différente sur ce projet car il s’agissait de reconstitution ; ce que je peux trouver comme point commun est certainement mon besoin de précision sur le texte et dans la mise en scène, mon côté maniaque ressort sûrement ici !

Dans Les nouveaux dieux nous évoquons donc un personnage réel, ou plutôt l’image d’un personnage réel. Je ne tire pas le portrait d’un humain mais bien de sa trace numérique. Évidemment, le plus dangereux en évoquant des personnages réels est bien de les nourrir, de leur donner du pouvoir, c’est un des sujets du film de toute évidence. Retourner ces vidéos et couvrir le personnage par un pseudo était donc pour moi l’unique moyen d’éviter de faire remonter cette histoire dans les algorithmes de moteurs de recherches.

Un glissement discursif s’opère aussi d’un film à l’autre : on voyageait en quelque sorte dans le système, la matrice dans Face à face dans la nuit alors que c’est ici lui – elle, en l’occurrence – à laquelle vous déléguez l’énonciation même du récit en voix off omnisciente : « Connaissez-vous l’histoire de LonerWolf58 ? C’était un jeune homme seul, trop seul ». J’ai immédiatement entre autres pensé à Her de Spike Jonze. Est-ce une sorte d’intelligence artificielle ? Quels en sont les enjeux de mise en scène dans la modélisation via ce visage (faut-il lui donner un visage ? Et par là une humanité ?) et cette tessiture de voix, ainsi que politiques et potentiellement dystopiques ? Elle me semble à cet égard très ambivalente, oscillant entre exécution « on m’a dit de faire » et volonté propre « j’ai décidé de » …

L’idée m’est venue quand j’ai tenté de retrouver le protagoniste sur Akinator – un jeu populaire dans les années 2005-10, un génie en ligne qui devine à qui tu penses en te posant des questions – et il connaissait ce tueur. Internet connaît bien plus de choses que nous, internet est omniscient. Pour toucher à un tel sujet, j’avais besoin de cette personnification. Elle me sert de mise en abyme, je n’arrivais pas à aborder ces images sans point d’entrée et de sortie nous questionnant même sur la nature de notre visionnage, de notre empathie et de notre responsabilité de spectateur. Elle a finalement pris la forme d’une voix de synthèse, féminine évidemment (genrer une intelligence artificielle est une autre recherche passionnante), et d’un visage numérique, littéralement miroir de mon questionnement. J’ai créé ce visage à travers un logiciel pour faire des filtres Instagram, un moyen cheap de faire de la motion capture. A-t-elle une volonté ? La modération des réseaux sociaux est une question passionnante, des humains visionnent des images atroces à longueur de journée et décident si elles restent en ligne ou pas. Ça crée des syndromes post traumatiques chez les modérateurs, les réseaux cherchent de nouvelles solutions de modération, et se tourner vers des intelligences artificielles semble être la piste la plus probable. D’ailleurs on les entraîne en identifiant des vélos, des passages piétons, des bus, … dans des formulaires de captcha « Êtes-vous un robot ? ». Her de Spike Jonze est un film qui figure dans le panthéon de ma cinéphilie. Ces intelligences artificielles rejoignent peut-être le développement de conscience par appréhension du monde humain au travers d’un personnage seul. Je crois cependant différer un peu dans le type d’intelligence artificielle que je représente. Plus pragmatiquement, dans mon film, le maximum du texte de cette intelligence artificielle devait venir d’internet, car finalement elle n’est que notre reflet sur ces images.

© Les Nouveaux Dieux

Au sujet du voyage, il y a ces vues sur les Maps comme en GPS qui m’intriguent. Dans le même esprit, la modélisation crée une sorte de point de fuite, comme un vortex qui aspire (et j’ai pensé à l’image du vortex de la porte des étoiles de Stargate SG1).

Je trouvais cela pertinent de rechercher toutes les traces numériques possibles du protagoniste. Une entité en quête d’informations sur un humain se pencherait forcément sur ces données GPS. Le personnage se filme presque exclusivement dans sa voiture, c’est son espace de sécurité, et je trouvais cette errance, d’un point de vue numérique en GPS, entouré de maisons pavillonnaires toutes pareilles et symboles d’une certaine vie de couple, totalement tragique.

Dans la palette de couleurs, j’observe une prédominance du bleu dans tous vos films sans pourtant autant émettre d’hypothèse à cet endroit. Est-ce pour vous un hasard ou un dessein particulier ?

Le lien du bleu entre mes films expérimentaux et L’Homme Jetée est a priori une coïncidence. Mais après réflexion, ce qui a été pensé dans la recherche du bleu pour L’Homme Jetée s’applique peut-être à mes films d’internet. Ce bleu d’internet renvoie peut-être à celui de la mer, à son horizon merveilleux et sa profondeur terrifiante.

Il y a bien évidemment une importance capitale de la musique fonctionnant de concert avec les images. Avec quels compositeur(s) travaillez-vous ces sons synthpop, électro aériens ? Elle vient comme sublimer et contrer la tristesse qui pourrait émaner des dialogues imbriqués de Face à face dans la nuit et vient ici soutenir la voix du système, pour toujours créer je crois un immense sentiment mélancolique.
J’ai pensé à M83 qui accompagne les films de Yann Gonzalez. Est-ce d’ailleurs une filmographie dont vous vous sentez proche ? Les séquences avec le protagoniste des Nouveaux dieux seul dans sa voiture sont-elles accompagnées par des titres de R&B et sa voix à lui est réaliste contrairement à celle du système. Quel travail avez-vous fait à l’endroit de ces multiples régimes contrastés ?

D’abord par manque de moyens, toutes les musiques que j’ai utilisées jusqu’à maintenant sont non originales et libres de droits. Mes films se font avec de très petits budgets, mais on a les ressources nécessaires en ligne pour créer et récupérer de très beaux objets. Les pistes que je retiens dotent effectivement mes sujets d’une mélancolie immuable qui me sert de porte d’entrée pour les spectateurs. De plus, thématiquement, ça me semble logique de travailler avec des musiques existantes pour mes films expérimentaux, c’est finalement une sorte de found footage sonore. Je comprends les liens avec M83, qui m’a beaucoup accompagné adolescent. La filmographie de Yann Gonzalez me parle évidemment. J’avais vécu le visionnage de son court-métrage Les Îles au NIFFF comme une vraie libération. Son cinéma me parle à un niveau intime. C’est par ailleurs pour ça, que pour mon film de fin d’études à l’École de la Cité, j’ai pensé à lui lorsque j’ai dû choisir un parrain.

Concernant Les Nouveaux Dieux, ce fut encore une fois de la musique libre de droits, merci internet ! Comme d’habitude, je la travaille par thème récurrent, en isolant des mélodies qui reviennent à des moments très précis. Mais cette fois j’ai voulu introduire de la musique avec des paroles, et ce R&B était une bonne façon d’illustrer à quel point la culture du couple, de l’amour, se retrouve partout et peut décupler la solitude des personnes seules.

Qui sont donc les « nouveaux dieux » ? Une référence à l’œuvre de Jack Kirby ?  Ou renvoie-t-elle à cette question de la postérité des personnes médiatisées, fussent-il des meurtriers qu’évoque le système ? « Maintenant il vit en moi ». Ou sont-ce encore les logiciels d’intelligence artificielle super puissants qui ont le pouvoir de façonner cette réalité de moins en moins alternative ?

Aucune référence à Jack Kirby. De la même manière dont j’arrive à écrire un film seulement lorsque j’ai mon titre, j’ai réussi à monter ce film seulement lorsque j’ai pensé à ces mots : Les nouveaux dieux. Dans le contexte des événements sur lesquels est basé le film, ce jeune homme est devenu autant prophète que bouffon pour la communauté incel. Je trouve cela tellement percutant. Grâce aux pouvoirs d’internet on peut tous accéder à ce statut de prophète. Si j’incarne ces régions numériques en lieux, une spiritualité virtuelle doit y exister. Néanmoins, en tant que spectateur, en tant qu’acteur d’internet on a un rôle à jouer. Pour remettre tout ça en perspective, Les nouveaux dieux peuvent effectivement s’étendre jusqu’à ces algorithmes, gérant ce que l’on voit sur les réseaux. Il y a également un côté pop culture américaine que j’apprécie beaucoup dans le titre, comme cette promesse, déjà obsolète, aux millennials, qu’on est tous uniques et qu’on deviendra tous riches.

© The life Underground

Enfin, sur quoi travaillez-vous actuellement ? Vous avez déjà réalisé deux films en 2019. En 2020 et ce malgré la pandémie de Covid-19, j’ai lu que vous aviez terminé le tournage d’un autre court métrage intitulé The Life Underground étiez lauréat de la résidence du C.L.O.S ici-même au FIFIB pour l’écriture de votre premier long métrage La guerre des puceaux. Pouvez-vous déjà en dévoiler davantage ?

Je fonctionne par instinct, j’ai besoin de beaucoup tourner, écrire, monter. Finalement, comme un bon Gen Z consommant du contenu sur trois écrans en simultané, j’ai énormément de projets en cours, et à vrai dire c’est un peu ce qui me permet de tenir dans une industrie si incertaine, certains avançant plus ou moins vite, c’est rassurant d’avoir en tout cas un ou deux films terminés par an. Et puis j’essaie de me lancer donc, de toujours avoir un court qui tourne en festival, et c’est le cas depuis 2015 déjà ! Enfin tout ça c’est peut-être parce que je parle beaucoup aussi.

J’ai donc plusieurs projets en développement ou financement mais ce qui m’occupe à l’heure où j’écris c’est la post-production de mon nouveau court métrage de fiction The Life Underground, produit par Tell Me The Story en Suisse. C’est un coming of age (ndlr : récit de passage à l’âge adulte) explorant ces thématiques d’identifications par la violence chez les adolescents, la remise en question d’une sexualité dans le monde souterrain du métro, baigné de publicité. On l’a tourné en septembre, entièrement en travelling et en noir et blanc, c’était donc intense mais j’ai enfin pu toucher à de la mise en scène de fiction comme je l’aime !

Les ponts entre mes questionnements de solitude et de relations virtuelles prendront prochainement forme directement dans un court métrage qu’on espère tourner en 2021, Alexx196 et la plage de sable rose (produit par Venin Films) narrant la rencontre IRL de deux meilleurs amis du net, la fin de leur monde virtuel, et l’impossibilité pour leur relation de se transcrire réellement, tellement leur amitié virtuelle fut forte.

Finalement, La guerre des puceaux est un long métrage oscillant entre le film de guerre et le film fantastique, que je développe en co-écriture avec Youri Najdovski. C’est encore un peu tôt pour en parler concrètement, j’ai eu la chance de le faire évoluer à la résidence du C.L.O.S. au FIFIB, un lieu rempli de bienveillance et de questionnements contemporains. La prémisse de La guerre des puceaux est de suivre deux jeunes hommes conscrits au sein d’une armée fictive et qui n’ont dans la tête que l’envie de se dépuceler. J’ai hâte. Mais d’ici à ce que ça se finance et tourne il y aura d’ores et déjà, j’espère, plusieurs courts-métrages dans le Loïc Hobi cinematic universe ! (il rit).