Entretien avec Côme Martin-Karl : « peut-on écrire après Duras ? »

Côme Martin-Karl © Francesca Mantovani/Gallimard

Côme Martin-Karl a publié des nouvelles dans La Nouvelle Revue Française, des romans, les premiers parus chez Jean-Claude Lattès : Les Occupations (2013) raconte l’histoire d’un gratte-papiers qui s’improvise censeur des pièces de théâtre de Jean-Paul Sartre sous l’Occupation ; Styles (2017), celle d’un étudiant qui consacre son mémoire de sociologie au chanteur Harry Styles. Avec La Réaction, paru chez Gallimard en février dernier, il signe une brillante satire du milieu réactionnaire en peignant ses lieux de sociabilité entre messes intégristes et réunions « contre la Grande Déliquescence ». Témoignant d’une extrême anxiété discursive, l’auteur qui dans Styles raillait déjà les effets de manche du discours académique décrit cette fois avec une grande habileté la circulation dans le discours social d’expressions forgées dans les bas-fonds de la haine. En refermant son livre, on se demande si, après la littérature sociologique, l’heure serait venue pour une littérature rhétorique… Côme Martin-Karl nous répond dans un entretien réalisé – ironie du calendrier – le jour du quarantième anniversaire de la mort de Sartre.

Comment l’auteur des Occupations s’occupe-t-il pendant le confinement ? J’imagine que vous vous délectez des aberrations administratives qu’il produit. Vu de Belgique, on a l’impression que la France tourne à l’état policier…

Je dirais même un état d’administration policière. Pour l’occupation, j’ai un travail salarié puisqu’il faut bien que je mange. Je suis en télétravail, comme beaucoup de gens. Je ne vous dirai pas que je vais profiter du confinement pour relire l’œuvre complète de saint Augustin – ce qui n’est pas tout à fait recommandé, je pense – mais j’ai quand même des projets de lecture assez ambitieux. Je vais donc lire, je vais aussi probablement écrire. Sur le délice administratif, il y avait quelque chose d’assez fascinant à observer depuis mon balcon. J’habite à Paris dans le XVIIIe arrondissement, un quartier populaire où beaucoup d’habitants ne parlent pas très bien français. En bas de chez moi, il y a eu un attroupement devant une agence de transfert d’argent qui sert aussi de reprographie ; ils essayaient de se faire aider pour remplir leur attestation parce qu’ils ne comprenaient pas exactement quelle case il fallait remplir. C’est l’illustration même du génie administratif français : fabriquer cette attestation qui, du coup, fabrique des attroupements… On touche ici à l’œuvre d’art. Il y a un côté happening. Et puis même, d’un point de vue de droit administratif, c’est génial de se faire une attestation à soi-même. C’est fou, complètement fou.

La sortie de votre livre Les Lumières de granite prévue à la mi-mars a été décalée suite au confinement. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

C’est une nouvelle qui est publiée chez Maison Malo Quirvane, une toute nouvelle maison d’édition qui publie des textes très courts, de quarante mille signes maximum. Parmi ses collections, il y en a une qui s’appelle « Fragiles pouvoirs » dont le cahier des charges est le suivant : il doit s’agir de l’histoire d’un haut fonctionnaire qui s’installe dans une région française et qui est confronté aux difficultés de la charge administrative décentralisée. C’est très très précis. Les Lumières de granite, c’est l’histoire d’un directeur des services qui s’installe en Bretagne et qui est confronté à un ovni carré. Il se trouve que ma grand-mère habite dans un tout petit endroit en Bretagne qui a vécu dans les années soixante l’apparition d’un ovni carré, ce qui est très rare car la plupart des ovnis sont décrits comme ronds par les témoins. J’avais envie de raconter cette histoire que je trouve à la fois drôle et émouvante. C’est un petit texte sans prétention, une nouvelle très simple chez cet éditeur que je vous recommande.

Vous avez fondé en 2012 le prix Zorba du nom d’un café de Belleville, un prix « rive droite » et un « anti-Goncourt ». Que pensez-vous du remplacement de Virginie Despentes par Pascal Bruckner dans le jury du prix Goncourt, que certains voient comme une « droitisation » ?

J’ai la même interprétation. Au départ, dans les statuts du prix, le Goncourt est censé être donné à un jeune écrivain. Toute la question de l’attribution ou non du Goncourt à Proust était autour de ça. Aujourd’hui, je trouve que cette idée d’être à l’avant-garde a complétement été évacuée des enjeux de ce prix. Pascal Bruckner est un réactionnaire, je suis sûr qu’il pourrait accepter cette épithète, et la pensée réactionnaire a quand même une certaine légitimité, mais il y a quelque chose d’aveuglant dans cette nomination : remplacer une femme par Pascal Bruckner, il y là quelque chose de signifiant.  

Que répondez-vous à ceux qui voient en vous un Édouard Louis de droite ?

Pas du tout ! C’est une des ambiguïtés de La Réaction qui peut être lu comme un texte de droite alors que ce n’est pas du tout le cas. Moi-même je ne suis pas du tout un homme de droite. Je vois en quoi ce texte peut ouvrir à cette interprétation car il y a l’ambiguïté de la première personne ainsi que chez le narrateur un arrière fond nihiliste, un côté un peu anarchiste de droite, un peu hussard des années cinquante. Cela dit, je ne suis pas quelqu’un de nihiliste, et si j’avais une étiquette ce ne serait certainement pas celle-là. Édouard Louis a fait un vrai travail autobiographique. Je ne le connais pas mais c’est un écrivain que j’admire, en particulier son dernier texte, Qui a tué mon père, où il y a des phrases qui sont de l’écriture comme un couteau, pour parler avec Annie Ernaux. Mais son travail et le mien sont très différents ; je suis dans la fiction et lui ne l’est pas du tout. Est-ce qu’on peut encore écrire de la fiction ? C’est une question qu’il soulève et à laquelle je réfléchis souvent.

Dans Les Occupations, le narrateur demande « peut-on écrire après Duras ? » Diriez-vous que vos livres sont plus proches de Duras et du Nouveau Roman ou d’Hervé Guibert et de l’autofiction ?

Ce sont deux écrivains qui sont dans mon panthéon personnel donc je n’aurai pas cette immodestie. Après, je n’écris pas de l’autofiction. Mes deux derniers romans sont à la première personne mais ce n’est pas autofictionnel du tout. Duras  a toujours joué sur l’ambiguïté du vrai et du faux. Guibert était plus dans un travail d’autobiographie. Moi, ce que j’admire en général, pas que dans l’écriture mais aussi dans la musique ou dans la personnalité des gens, c’est de parvenir à produire le maximum d’effet avec le minimum de moyens.

Duras a cette puissance-là. Dans L’Été 80 elle écrit : « Je n’avais rien à faire cet été-ci […], j’ai eu peur, toujours cette même panique de ne pas disposer de mes journées tout entières ouvertes sur rien. » C’est une phrase puissante avec des mots d’une grande simplicité. Chez Guibert il y a quand même un côté un peu plus baroque, par rapport à la sécheresse de l’écriture durassienne.

La question du rapport entre la fiction et le réel est ce qui m’intéresse le plus parce qu’il y a là un sujet que je n’arrive pas vraiment à démêler et que j’essaie d’adresser. Je lis peu de fiction au sens de grandes histoires, d’épopées ; j’en lis mais ce n’est pas ce qui me passionne. Quand je suis passionné par un texte, c’est parce qu’il y a une écriture qui est électrisante, ou parce qu’il y a des surgissements d’effets de réel saisissants. Dans mon panthéon, je rajouterai encore une troisième personne : Annie Ernaux, qui a fait une autobiographie collective en inscrivant son expérience intime dans une sociographie de la France de la deuxième moitié du vingtième siècle.

Quand on lit La Réaction, on ne peut s’empêcher de penser à Soumission de Houellebecq (2015) . Vous employez parfois ce mot très houellebecquien de « bifurcation ». Que faire de la référence houellebecquienne ?

Je suis un grand admirateur de Houellebecq. Pas du tout de ce qu’il fait aujourd’hui, qui ne m’intéresse pas beaucoup, parce qu’il écrit un peu toujours la même chose. Je le lis dès qu’il sort, je lis le dernier Houellebecq, quand même, mais le dernier, Sérotonine, je ne l’ai trouvé vraiment pas bon. C’est quand même quelqu’un qui restera pour moi dans les livres d’histoire de la littérature parce qu’il a inventé quelque chose. Quand on pense que Les particules élémentaires c’est début des années 1990, c’est d’une modernité dans l’écriture, dans le projet… Cela paraît banal aujourd’hui parce qu’il a fait école. Aurélien Bellanger par exemple, qui a cette même écriture technique. Personne ne faisait ça avant Houellebecq : utiliser à la fois le vocabulaire et la distance diégétique des textes de science. Et puis Houellebecq est très drôle, ce qui est assez rare. C’est certain que je pense qu’il a une influence sur la manière dont j’écris. On me dit souvent que j’ai une écriture un peu houellebecquienne. Cette espèce de froideur et de distance, un cynisme des adjectifs qui sont très houellebecquiens, et aussi le défaitisme. Donc j’accepte volontiers. Plutôt que d’être un Édouard Louis de droite, je préfère être un Houellebecq de gauche.

Il y a aussi chez vous un dépassement du modèle houellebecquien. Votre premier roman était très sociologique. À partir de Styles et maintenant dans La Réaction, il semble que vous ayez pris un tournant plus personnel que je qualifierais pour ma part de « rhétorique ». Cette étiquette pourrait-elle vous convenir ?

Le mot rhétorique est un mot intéressant. Quelque chose qui m’agace souvent quand je lis parfois d’autres auteurs, c’est que je trouve que les dialogues dans les romans sont souvent catastrophiques. Je mets donc un soin tout particulier à travailler les dialogues. Je vais dans mon gueuloir un peu comme Flaubert et je lis mes phrases dialoguées et uniquement celles-là pour voir si ça sonne juste. Le surgissement du réel, qui est un peu mon sujet, passe beaucoup par des effets de rhétorique, par la matière des mots qui souvent ne veulent rien dire, parce que trente pourcents de ce qu’on prononce dans la vie n’est que du langage phatique et n’a pas grand intérêt discursif. C’est peut-être ce que vous mettez derrière l’expression de littérature rhétorique. Oui, il y a quelque chose de très juste là-dedans, un côté autoréférentiel de la littérature, les mots pour les mots, qui est vertigineux. Il y a ça chez Duras aussi. Elle fascine parce qu’il y a des textes d’elle qu’on lit où on ne comprend rien du tout ; c’est de la prose poétique délirante, le sens a été évacué et ce n’est pas grave ; c’est juste des mots les uns à côté des autres qu’on lit et la fascination elle est quand même là. Moi, j’ai été un peu formé à la sociologie et j’utilise ses techniques. Par exemple, je prends note très souvent, moins des scènes que des dialogues que je peux entendre.

Oui, dans votre nouvelle « Les Fins du monde » il y a ce dialogue très réussi entre le client d’un camion-crêperie qui veut acheter une crêpe confiture fraise et le gérant qui lui demande : « — Fraise normale ou fraise savoureuse ? »

Ça, c’est quelque chose dont j’avais pris note. Évidemment il faut imaginer le ton du salarié qui n’en a rien à cirer que le client choisisse fraise normale ou fraise savoureuse… En plus, il n’y a aucun rapport entre l’imaginaire marketing qui a produit la « fraise savoureuse », qu’on imaginait sans doute prononcé avec une voix suave pour donner envie au client, et la vraie vie.

Vous avez aussi une fascination pour l’onomastique, la matière du signifiant. Pourquoi les noms sont-ils si importants pour vous ?

Les noms propres font partie intégrante du vocabulaire sur lequel on peut travailler. Cela fait partie des choses qui me tiennent à cœur car le nom connote souvent un univers social. Il s’agit d’être au plus près d’un effet de réel. Parfois, dans le texte, le personnage n’est pas nommé. C’est aussi une forme d’effet de réel car il y a plein de moment dans la vie où on n’est pas appelé par son nom, peut-être pendant la totalité de sa vie. Le fait de ne pas donner de nom permet de raconter cet aspect du nom.

Vos personnages semblent paralysés par la conscience aiguë qu’ils ont de la diversité des mondes possibles. Dans Styles, le narrateur hésite pendant dix minutes devant un rayon de pizzas surgelées. Dans La Réaction, le héros refuse d’être étiqueté ; il est sympathisant plutôt que militant et consent à se laisser appeler « dandy ». L’impossibilité de l’engagement serait-il le produit de la surabondance de l’offre en discours politiques comme en produits de consommation ?

Il y a évidemment ce rapport à l’hyperchoix qui est une des caractéristiques du capitalisme de marché contemporain. Et puis il y a un autre aspect qui est aussi central dans les réflexions qui peuvent me traverser : le rapport au temps. Un des sujets de la vieillesse, du temps qui passe, c’est le rétrécissement du champ des possibles. C’est ça qui est tragique dans la condition humaine : on a l’impression d’être un être infini et puis, plus on se rapproche de la fin, plus on prend conscience de sa propre finitude, plus l’entonnoir du champ des possibles se rétrécit. Pourquoi est-ce que la jeunesse est une des périodes les plus exaltantes ? C’est qu’on peut être tout, tout est ouvert et, du coup, on est tout ; on embrasse la totalité… et puis, quand on vieillit, on découvre qu’on n’a jamais été la totalité ; on était juste une toute petite branche.

Malgré cet hyperchoix, qu’est-ce qui fait que vos personnages et vous en tant qu’écrivain vous fixiez quand même sur un objet ou sur un sujet, malgré l’abondance des possibilités ? Serait-ce le désir, la seule vérité ?

J’aurai du mal à répondre à cette question. Il y a quelque chose d’illusoire dans le désir. Effectivement, le désir pousse à faire des choix, à fabriquer un ilot de stabilité, ça met un point fixe dans l’horizon, donc il est certain que ça aide à fabriquer une trajectoire, mais le désir est tellement contingent que ce point peut disparaître et apparaître ailleurs sous une autre forme. Mes personnages ne font jamais réellement de choix, et puis un jour ils constatent que leur vie ça a été ça, et du coup ils se disent que c’est le choix qu’ils ont eu. Là où je suis vraiment quelqu’un de gauche, et en tout cas vraiment pas quelqu’un de droite, c’est que je ne crois pas à la liberté : je crois profondément à la somme des déterminismes. Mes personnages ne sont pas des êtres libres. La liberté est une illusion dans la société thermo-capitaliste.

« Je me sens vide. » est la première phrase de Styles, que la quatrième de couverture présente comme une « satire de notre société marquée par la vacuité de tous les discours ». Le héros de vos livres serait-il le Discours ?

Oui, ce n’est pas faux, car enfin il y a ce nihilisme qui peut être un peu agaçant, aucun personnage pour rattraper l’autre, du coup que reste-t-il ? Il reste le langage. Le texte, c’est quasiment la matérialité de ce que c’est, c’est-à-dire cette suite de mots les uns à côté des autres et que des gens peuvent lire. Le Discours est-il le personnage principal ? Probablement. Ça me fait plaisir quand vous dites que vous aviez remarqué que les dialogues étaient différents, parce que c’est un truc pour lequel je dois me battre. Il y a un petit enjeu d’édition quand on passe chez les correcteurs parce qu’ils sont habitués à corriger les imperfections, à rajouter des virgules, donc c’est toujours une bataille. Il faut se fendre d’un petit « attention : on ne touche pas aux dialogues ».
Un ami m’avait dit après après avoir lu Les Occupations que l’État était le personnage central. Ce n’est pas faux non plus, mais qu’est-ce que l’État ? C’est du langage.

Je reviens à la vacuité, qui est une notion éminemment bouddhiste. Dans votre nouvelle « Entrer en action », vous évoquez le « refus irrévocable d’entrer dans l’action. » Dans Les Occupations vous écrivez « Être, c’est suffisant. Inutile de faire ».
La vacuité serait-elle la condition de la liberté ?
 

L’articulation entre l’être et le faire est un peu canonique ; l’essence et l’existence, c’est aussi classique que ça, je pense. Au fond, la littérature est toujours un récit sur le combat entre l’être et le faire : des personnages sont confrontés à des évènements qui remettent en cause ce qu’ils sont profondément. Il y a toujours cette tension, comme quand on fait de la pop psychologie et qu’on dit à quelqu’un : fais ce que tu es au fond de toi-même… Chez Duras, le sentiment d’avoir ses « journées ouvertes sur rien » est à la fois une liberté infinie, l’ennui et la mort. Le tragique se niche là-dedans : la liberté infinie, c’est la mort. Une fois qu’on est mort, on n’a plus de contrainte donc ça y est, c’est peut-être le summum de la liberté, au fond. C’est aussi valable pour le confinement : pour ceux qui ont la chance d’être confronté à cette liberté infinie, c’est terrifiant.

Céline disait : « La vérité de ce monde, c’est la mort. » Vous dites que la liberté c’est la mort…

La mort c’est la liberté, en tout cas. Platon faisait ce jeu de mot entre sôma (le corps) et sêma (le tombeau). Il y a cette idée déjà un peu platonicienne et ensuite très chrétienne qu’on accède à la liberté infinie et au bonheur suprême après la mort parce que quand on n’a plus de corps, on n’a plus d’histoire, on est un « être de lumière ». C’est en tout cas un point fondamental de la métaphysique occidentale.

Souscrivez-vous à l’assertion que vous prêtez à un professeur de sociologie dans Styles : « dans cent ans, il n’y aura plus de différence entre la sociologie et la littérature » ? Cette perspective du « tout littérature » est-elle terrorisante ?

Je suis d’accord avec cette assertion et non, ce n’est pas du tout terrorisant. Plus exactement, je pense que la littérature est une forme de sociologie, que c’est un peu la même discipline. Il y a une écriture différente mais, en réalité, l’objet est le même : c’est juste une sociographie, une étude des rapports entre les gens. Quand je dis « dans cent ans », c’est une prédiction à deux balles, mais il y a quand même quelque chose qui se passe aujourd’hui dans la littérature, c’est le retour du réel. On parlait d’Édouard Louis et d’Annie Ernaux, j’aime aussi Régis Jauffret qui va chercher le réel dans les faits divers avec une écriture incroyable. Je pense que tout converge vers la fusion du réel et de la littérature. D’ailleurs les sociologues gagneraient à écrire mieux, je pense. Ivan Jablonka a très bien dit dans L’Histoire est une littérature contemporaine qu’il ne faut pas rejeter l’effet esthétique sous prétexte de scientificité.

Mais on s’interroge rarement sur le mouvement : comment ramener les effets esthétiques des sciences sociales dans la littérature. Je pense qu’il y a une beauté dans l’écriture sociologique. Le travail que je fais sur les dialogues, c’est ça. Je transcris ce que j’ai entendu comme on nous demande de le faire quand on est étudiant en sociologie, avec les fautes, les blancs… Dans Les Occupations, parfois j’ouvrais des crochets avec trois points pour dire : je ne termine pas cette conversation, comme si j’étais en train de retranscrire un échange qui avait vraiment eu lieu. Il y a plein de tics rhétoriques et de manière d’aborder l’écriture en sociologie qui peuvent être féconds en littérature. Ce que Houellebecq a fait, on peut le sophistiquer en allant chercher différentes branches des sciences sociales.

Lorsque le narrateur de Styles rencontre enfin son idole à la fin du livre, il lui demande quelle serait pour lui la fanfiction idéale. Et pour vous ?

Je pense que toute la littérature est une fanfiction. Je ne sais même pas si c’est un vrai sous-genre. Il y a quelque chose de passionnel dans la littérature, dans le fait d’écrire. Duras se caricature elle-même, à la fin de sa vie. Elle a écrit sa meilleure fanfiction, je pense. Être fan, c’est s’attacher à un objet de désir très spécifique, c’est entretenir un rapport obsessionnel à son objet, et je crois que tous les grands écrivains sont obsessionnels, d’une certaine manière.

Côme Martin-Karl, La Réaction, éditions Gallimard, février 2020, 224 p., 19 € — Lire un extrait