Perrine Le Querrec : Le cœur de la violence (Rouge pute)

Les poèmes de Perrine Le Querrec brisent un silence. Le programme est présenté d’emblée dans un avant-propos en forme de journal : à Louviers, où elle est en résidence dans la Villa Calderón, l’autrice recueille les paroles de femmes qui ont subi des violences « conjugales, sexuelles, psychologiques, violences humaines, violences de la société, la violence et ses nombreux visages (…) ».

De fait, chaque poème est l’agencement d’une voix ou de plusieurs qui tour à tour disent les insultes, les humiliations, les coups, les viols, et la mort comme horizon. Car ce qui se révèle ici, ce sont des paroles qui vont contre la disparition programmée à quoi aboutit nécessairement la négation de l’être, de la femme, qui est le ciment des assauts portés contre elle, contre elles :

rester égale mourir, partir égale mourir, tu
choisirais quoi, toi ?

Des femmes ont voulu aimer et être aimées, et c’est la haine et la violence qui se sont abattues sur elles, comme la foudre. Les poèmes saisissent les moments de bascule où l’homme utilise toute manifestation de la féminité, de l’être, comme d’une cible contre quoi s’armer de haine : « Ma féminité étranglée ». Ils mettent en évidence le rapport de cause à effet entre une attitude et une violence, par des répétitions mortifères qui accompagnent des phrases simples à la clarté terrible :

Et je vais mal répondre, et ça va recommencer
Et je vais me taire, et ça va se calmer,
(…)
Et je vais rester, et ça va durer
Et je vais mourir, et ça va se terminer.

Au cœur de ces récits pour la plupart en vers, le rouge, le maquillage, la dissimulation, le fard, signe ambivalent s’il en est — « rouge pute » :

Mon indépendance, ça il n’appréciait pas
Le maquillage, ça il n’appréciait pas
Ma façon de m’habiller, ça il n’appréciait pas
Le rouge à lèvres, ça il n’appréciait pas
(…)
Interdit
Interdit
Interdits

Puis systématiquement
les
représailles.

Or, de « rouge pute » à « rouge sang », il n’y a qu’un pas, vite franchi :

Putain cognait-il si je mettais du rouge
Elle déclenche la violence la féminité
Les insultes l’interrogatoire les brutalités
Rouge sang

Perrine Le Querrec, habituée à la poésie documentaire et au travail à partir d’archives ou de matériaux composites, témoigne, et à travers elle ces femmes, d’autres voix que soi qui trouvent dans la langue de l’autrice un espace où leurs paroles, parce que c’est aussi cela que permet le poème, sont ramassées à l’essentiel. Cet essentiel, c’est la violence insidieuse ou physiquement tangible qui se heurte à l’impossible désamour et au souvenir du sentiment et qui ne peut se dire que par fragments ; ce sont les coups et leurs marques.

Perrine Le Querrec © éd. La Contre-Allée

Dans cet ensemble se dessine tout ce que comportent ces situations : les mots (les mots des hommes, qui résonnent : « Putain Salope Connasse Sale pute Grosse merde / Mauvaise mère »), les coups, l’attente, l’enfer de la maison, la peur de l’autre, le dégoût de soi, le silence des autres, la honte, la justice qui redouble le mépris et la violence, les enfants victimes directes et médiateurs involontaires, « monnaie d’échange », le désir de partir, de se dissoudre dans un ailleurs impossible, la police, les assistantes sociales, les procès, la culpabilité (« la coupable c’est moi », anaphore mortifère d’un des poèmes), l’œil pervers de l’homme toujours maintenu sur la femme malgré les décisions de justice, le « qui-vive », et les victoires, aussi petites soient-elles, qui font de l’après, lorsqu’il est possible, une succession de pas gagnés et de rechutes, tous informés par l’origine de la souffrance et de la destruction.

« La Couronne », dernière section du livre est, en vers et toujours à la première personne, le récit terrifiant d’un viol, de la mort du corps et de l’esprit, du combat acharné pour que le viol soit reconnu, de l’impossible retrouvaille avec la vie, de la menace qui pèse sans cesse, de la solitude — et de la couronne qu’il faut mettre à la tête des femmes lorsqu’elles dénoncent les coups et les viols, au prix d’un risque et d’une souffrance immenses, parce que malgré les affichages politiques, elles ne sont pas suffisamment entendues, dans tous les sens du terme :

Je me tais
Ta gueule !
Il me tue
Nous nous taisons
Vous, vous vous taisez
Ils assassinent

Les poèmes de Perrine Le Querrec sont de ceux qui disent en des mots simples, après les voir recueillis et en les offrant brutalement à notre lecture, le cœur de la violence.

Perrine Le Querrec, Rouge Pute, Éditions de La Contre allée, février 2020, 96 p., 15 €
Lire ici l’entretien que Perrine Le Querrec a accordé à Véronique Bergen. pour Diacritik est disponible ici.