La fille du feu : Jean-Marc Parisis (L’histoire de Sam ou l’avenir d’une émotion)

Que reste-t-il de nos émotions d’enfant, de nos premiers émois amoureux ? Les enfouissons-nous à jamais ou se cachent-ils au plus profond de nous, pour réapparaître sans prévenir lorsque tout va bien ou, au contraire, quand rien ne va plus ?

Pierre alias Sam est un jeune garçon de quatorze ans qui grandit à Froncy, une petite commune de France. Son collège s’apprête à fermer ses portes pour l’été. L’ambiance est à la détente après les conseils de classe grâce aux parties de foot avec les copains au stade du Donjon qui n’a rien d’un véritable stade et dont la plus haute tour ressemble plus à un colombier qu’à un lieu d’observation. Mais quand on a 14 ans, cela n’a aucune importance. 

C’est un ballon de foot qui va bouleverser la vie, la tranquillité d’esprit de cet adolescent qui s’apprête à profiter des vacances d’été loin de son village. Il est dix-huit heures quand Sam pousse la grille du parc pour récupérer ce ballon malencontreusement envoyé par un copain de jeu derrière les grilles du château de Froncy. Dans la clairière, une jeune fille, assise en tailleur, plongée dans les pages d’un livre, lève les yeux vers lui, aperçoit le ballon qu’elle va faire rouler vers lui. 

Elle a le même âge que lui, des cheveux couleur cuivre, des yeux pers, une peau d’un blanc unique, si « vivant ». Elle s’appelle Deirdre, un prénom irlandais qui signifie « celle qui apporte le trouble ».  Dans un français au fort accent anglais, elle lui dit qu’elle effectue un voyage linguistique et qu’elle repart chez elle à Carlywin au Pays de Galles dans dix jours. Alors puisqu’ils se sont rencontrés, ils pourraient profiter ensemble de ce temps à ne pas perdre. Sauf que Sam part le lendemain chez ses grands-parents en Dordogne pour y passer les deux mois d’été. Elle lui propose, alors, un dernier rendez-vous en soirée dans cette clairière, histoire de profiter encore un peu de cet heureux hasard d’une rencontre. Un soir, pour vivre un petit bonheur d’adolescents, pour se blottir l’un contre l’autre, s’endormir en rêvant l’un de l’autre jusqu’à ce que la voix de la surveillante de la classe de Deirdre, partie à sa recherche, les réveille. Un appel qui annonce la séparation et provoque le premier et peut-être unique grand chagrin de l’adolescent. 

Mais la vie continue. Pierre alias Sam est aujourd’hui pilote de ligne. Sa vie est faite d’allers retours sur les cinq continents. Voler pour ne pas se préoccuper d’un temps trop terrestre, en être le maître, grâce au décalage horaire, pour mieux le traverser mais aussi le remonter et retrouver inconsciemment ce temps à jamais perdu. Gloria, l’hôtesse de l’air, à la chevelure rousse, « aux épaules étoilées de taches de rousseur » aurait dû faire partie de ce temps présent et maitrisé.  Elle aurait peut-être accepté de lui « donner sa main » s’il ne lui avait pas dit qu’elle avait justement « le visage du temps ». Un refus qui provoque le mal-être, engendre un syndrome dépressif, conduit à l’arrêt de travail renouvelable, accompagné de son lot d’antidépresseurs d’anxiolytiques et fait ressurgir ce chagrin passé, mélange de colère et de mélancolie.  Un déchirement qui, tel une vague, vient s’écraser sur les rives de la vie de Sam qui n’a jamais oublié les derniers mots de celle qui lui avait dit, un soir de ses quatorze ans « Écris-moi. Garde-moi. On se reverra. Promis ? »

L’homme des nuages cloué au sol dorénavant va se lier d’amitié avec Bernard, bouquiniste sur les quais de la Seine. Lui aussi est paumé. Lui aussi se débat avec ses fiascos amoureux et sa colère contre la société des hommes qui lui a fait croire que le livre pouvait le sauver de tout. Ce qui les rapproche s’appelle carence. Alors pour la combler ou du moins la rendre plus supportable, Bernard va avoir l’idée, pas si saugrenue que cela, de lui proposer un deal : quelques éditions rares de Proust, Nerval et Céline en échange de ses médicaments. A chacun sa thérapie : la lecture pour Sam, même s’il n’a jamais su terminer un livre, la mixture chimique pour Bernard faute d’avoir les moyens de se payer un psy.

Sam va lire et relire Du côté de chez Swann, les Filles du feu, Voyage au bout de la nuit, et enfin prendre le temps d’écouter ces voix multiples, accepter la Traversée des ombres décrite par J-B Pontalis, pour comprendre que ces voix qui n’en sont qu’une accomplissent « le vœu ultime de Mallarmé : le Livre comme aboutissement de tout. L’Inconscient comme source de tout. ».

Ces chants littéraires vont lui donner la force de retourner à Froncy le temps d’un anniversaire, où sont conviés certains de ses anciens camarades de classe, lui permettre de se retrouver dans ce bois de Murat, lieu de cet amour d’enfance. Sam renoue avec ses sensations et décide de faire ce voyage au bout du pays de Galles pour y espérer renouer avec cette fleur nervalienne qui a toujours plu à son cœur esseulé, retrouver un peu de cette jeune fille du feu aujourd’hui devenue femme et donner, qui sait, un avenir à cette émotion proustienne.

Lire L’histoire de Sam ou l’avenir d’une émotion de Jean-Marc Parisis, c’est accepter de relire ces pages anciennes de notre propre roman de vie, ressentir ces sensations lointaines et fugaces et revivre avec douceur et tendresse ces pages d’enfance qui nous ramènent certainement à l’essentiel, l’amour.

Jean-Marc Parisis, L’histoire de Sam ou l’avenir d’une émotion, éditions Flammarion, janvier 2020, 144 p., 16 € — Lire un extrait