Il y en a déjà eu, des films de sous-marins – où toute l’intrigue est centrée sur ces merveilles de technologie, fascinantes et mal connues pour les non-initiés, de la marine militaire. Mais celui-là, sous ses airs de « fleuron du cinéma national » (casting prestigieux, gros budget, post-production hollywoodienne dans les studios de George Lucas), ne ressemble à aucun autre.
Le Chant du loup est choral comme l’est la vie à bord du sous-marin nucléaire qu’il met en scène : chacun a son rôle précis à jouer, et chaque membre de l’équipage est essentiel ; mais tout repose sur l’appréciation d’un seul – qui doit décider, au milieu du brouhaha, du stress et de la frénésie, à quel moment il est pertinent de frapper.
Le héros en est une « oreille d’or » – un analyste chargé d’interpréter les bruits répercutés par les sonars, notamment de repérer les engins ennemis. Travail de haute précision, qui exige à la fois des connaissances scientifiques pointues et une hyper-sensibilité d’ordre artistique. L’oreille d’or du film, c’est son réalisateur-scénariste, qui a déjà prouvé avec Quai d’Orsay (2010-2011 pour la BD, 2013 pour le film) qu’il sait, à un degré exceptionnel, percevoir les vibrations les plus infimes du réel – et rendre compte au spectateur, avec une palette de nuances extrêmement riche, entre comédie et drame, entre dérisoire et sublime, de la vérité de milieux dans lesquels celui-ci n’a généralement pas l’occasion de pénétrer (haute diplomatie, état-major). C’est, ainsi, l’ensemble du système complexe de la dissuasion nucléaire, l’extrême concentration nécessaire à la gestion d’une mission délicate, et toute la langue insoupçonnable, fleurie et poétique, des sous-mariniers, qui se révèle dans le film.

Ce n’est pas un hasard si Le Chant du Loup est dès la première image placé sous l’égide d’Aristote. Ce film d’action percutant est une tragédie grecque chez les taiseux de la marine d’élite française – où deux équipages de frères sont contraints par les circonstances à se livrer une guerre sans merci pour restaurer l’ordre du monde ; à savoir, éviter une guerre nucléaire totale. Le héros, nouvel Œdipe, expert à décrypter les énigmes sonores des abysses, surnommé « chaussette » par ses camarades parce qu’il a l’habitude, en mission, de travailler sans chaussures (parce qu’il a les pieds gonflés ?...), ne triomphera qu’au lourd prix de la perte de son sens le précieux, et du sacrifice de ses pères.

Et si l’on sort de la projection bouleversé de terreur et de pitié, c’est peut-être aussi parce qu’on est amené à se demander qui s’est rendu coupable de l’hybris fatal qui les précipite tous dans le malheur. Moins les personnages eux-mêmes, qui essaient de composer avec la rigidité de la procédure pour sauver leurs camarades sans renier leur devoir, que les gouvernements, qui pour rester maîtres du jeudiplomatique, cachent à leurs alliés des renseignements essentiels, et gardent fièrement, dans leurs engins ultra-sophistiqués qui font leur fierté, de quoi faire sauter plusieurs fois la planète ? Le Chant du Loup est un des sons que traque le héros. C’est aussi l’élégie plaintive et admirable d’hommes qui, pour sauver l’humanité de l’autodestruction que prophétisait Hobbes, deviennent des loups pour ceux qu’ils aiment. Sans emphase ni tirades.

Derrière la devise des sous-mariniers, « Invisible et silencieux, je porte la mort », on peut aussi bien entendre, selon l’or dont est faite notre oreille, une affirmation menaçante de puissance qu’un appel à la responsabilité prudente. « L’homme ne sera parfait que lorsqu’il saura créer et détruire. S’il sait déjà détruire, la moitié du chemin est fait », disait un autre habile marin, le Comte de Monte-Cristo. L’autre moitié du progrès, celle, lumineuse, que Victor Hugo appelle « Plein Ciel » dans La Légende des siècles – qui suit, dans son épopée de l’Histoire humaine, la plongée effrayante dans les abysses de la technologie mortifère de « Plein Mer », est encore loin d’être achevée. Il faut des films comme celui d’Antonin Baudry pour replacer, au centre du débat public, ces enjeux fondamentaux de la modernité.
Le Chant du loup, France 2019, film écrit et réalisé par Antonin Baudry, avec François Civil, Mathieu Kassovitz, Omar Sy, Reda Kateb, Paula Beer. Produit par Pathé, Les productions du Trésor, Chi-Fou-Mi Productions, Jouror Productions.