J’ai toujours eu du mal avec les gens qui racontent leur travail (littéraire s’entend) sur les réseaux sociaux. Depuis le début. Ceux qui postent le nombre de signes qu’ils écrivent par jour, ceux qui expriment leurs doutes et leur enthousiasme, ceux qui prévoient une deadline pour la fin de leur manuscrit — comme si ça intéressait le passant quotidien —, ceux qui à terme publient la photographie de leur contrat d’édition, et qu’il faudrait certainement applaudir ou féliciter (et qui heureusement pour elles et eux, inclusivons, trouvent généralement un auditoire favorable à leurs ébats égocentrés).
Ceux qui me connaissent apprécieront que je pointe du doigt l’égocentre. Ce n’est pas un néologisme. Ça s’appelle : écrire, ou ça s’appelle : entendre.
Il y a quelque temps, un auteur que j’apprécie insistait sur l’écoute des mots. Sur leur sens. Sur l’attention qu’il fallait leur porter. Sur l’attention qu’il fallait porter aussi à l’intention. Des autres.
On sait.
Ce que révèle l’abondance d’informations. Cette espèce de fierté nécessaire sans doute (sinon pourquoi le ferait-on ?) à un équilibre. Moi-même récemment, j’ai eu besoin de parler du travail autour d’Alien. Ni en nombre de signes, ni en deadlines, ni même en en citant (ni en taguant) les personnes avec lesquelles ce projet était né. Ceux qui me connaissent disent que je suis paranoïaque. C’est vrai. Je n’ai pas confiance. Ce n’est pas un principe, plutôt un réflexe. Quand on a appris à regarder derrière soi, ça devient une seconde nature. On sait. Qui est derrière.
Je n’ai pas parlé de deadline. Je n’ai pas parlé de signes. Je n’ai donné que des pistes, des images, des « cooccurrences » (pour employer un mot que j’ai beaucoup lu cette dernière semaine et qui est devenu un ami insoupçonné). Le visage d’une femme que je suis. Comme j’ai été Nina Myers pendant de nombreuses années.
Ce n’est pas facile d’être double. En étymologie, on rapprocherait cela du mot « duplice ». Il y a une notion de trahison. Non, ce n’est pas facile d’être un traître. Mais quitte à écrire sur soi, autant être capable de se regarder dans un miroir.
Je n’ai jamais aimé les gens qui parlent de leur travail, de leurs chiffres de vente, de leur score. Non pas parce que je suis jaloux d’eux. Mais parce que normalement, d’autres se chargent de cette tâche-là : des journalistes, des analystes, des commentateurs. Et puis le succès d’une entreprise n’a pas besoin qu’on lui fasse soi-même la réclame.
En général, on sait.
L’homme va quitter la pièce dans laquelle la réunion a eu lieu. Ripley l’interpelle. Le gars explique, donne des chiffres, avance. Le bras de la jeune femme se tend, barre le passage. Il n’y a aucune violence dans le geste, juste un impératif. Quelque chose de juste. Elle pose la question nécessaire. La réponse, elle la reçoit en pleine face. L’homme demande de bien vouloir l’excuser. Ripley ouvre le passage, elle porte la main à son visage, elle prend la mesure de ce qu’elle vient d’entendre : l’ambition humaine et l’inhumanité.
C’est un film de science-fiction, me direz-vous.
Vraiment ?
*
RIPLEY(S) est une création.
RIPLEY(S) est à la fois analyse de film, projection (auto)fictionnelle, chronique et roman : un texte hybride qui ne répond pas à la question, de la poule ou de l’œuf — peut-être pour la bonne raison que l’œuf, ici, n’engendre pas la poule (mais sa chair).
RIPLEY(S) est chronologique et désynchronisé — c’est une somme de voix qui à partir d’un personnage, le déconstruisent ou se déconstruisent, pour tenter d’en approcher une vérité / version.
RIPLEY(S) est un rendez-vous : une autopsie bimensuelle pour comprendre l’humain et dénicher le monstre qu’il abrite.
RIPLEY(S) est une femme(s).
RIPLEY(S) : (RE) CRÉATION
© LAURENT HERROU & DIACRITIK, 2019