Un oratorio est une forme dramatico-musicale inventée au XVIIe siècle, exactement en même temps que l’opéra, comme une histoire sacrée, en général allégorique, destinée à servir de support à la méditation religieuse. Recevant progressivement un développement musical et poétique, l’oratorio ressemble de plus en plus aux représentations profanes contemporaines dont il a la même structure, à la réserve qu’il ne reçoit ni décorations, ni costumes. Aujourd’hui, les maisons d’opéra à l’affût de belles partitions aiment à s’emparer de ces œuvres pour en proposer de véritables représentations scéniques. C’est le cas ici, à l’Opéra national de Paris.
L’oratorio Il Primo Omicidio, dont le poème est attribué à Pietro Ottoboni et mis en musique par Alessandro Scarlatti, représenté pour la première fois à Venise en 1707, a une dimension franchement dramatique, puisque les acteurs sont des personnages de la Genèse : Adam, Eve, leurs deux fils Caïn et Abel, Dieu et Lucifer. Le metteur en scène Romeo Castellucci semble en revanche avoir interrogé la nature de l’oratorio, en choisissant de découpler nettement les deux actes, qui pourtant racontent de manière parfaitement linéaire comment Caïn, sous l’influence de Lucifer, se venge de son frère Abel dont le sacrifice, contrairement au sien, a été agréé par Dieu.
Ce faisant, la mise en scène prend le contrepied du déroulement poétique de l’oratorio qui s’ouvre sur l’histoire du « premier meurtre » avant de lui donner une dimension plus allégorique, conforme à la lecture qui cherche dans l’Ancien Testament les signes annonciateurs de la venue du Christ. Ici, la première partie du spectacle, belle et onirique, serait au contraire la théorie, le problème, composé de ses éléments symboliques : les pommes, la fumée des holocaustes, le sang, baignés de la lumière surnaturelle qui émane de la voix de Dieu. La seconde, qui revient pourtant à interroger à haute voix : que faire de cette fable ? semble racontée de manière « mimétique », plus chaotique. On montre alors le champ, les pierres et le crâne fracassé, les étoiles et la nuit. Mais ils ne sont pas moins « théoriques », ils font partie, eux aussi, du problème posé, de la réflexion morale.
Comment décrire l’intelligence simple de la mise en scène, qui mobilise, alors même qu’elle semble s’orienter vers une disposition scénique plus réaliste, les principes mêmes du théâtre : la convention qui associe un être présent sur scène à une identité fictive, un corps à une voix, les simulacres matériels à des valeurs. Remontant le fil du processus allégorique, la représentation invite alors le spectateur à reconnaître, à déchiffrer, à réfléchir, parce que Castellucci abandonne simultanément l’abstraction, faisant le geste magnifique de convoquer sur scène d’autres destinataires de cette histoire, proposition merveilleuse de substituer aux figures si fragiles de l’oratorio d’autres acteurs plus fragiles encore, des enfants. Mais ils sont aussi spectateurs, mutiques et gracieux, comme détachés, ayant laissé leur vélo dans l’herbe pour écouter cette histoire qui leur indique que oui, l’avenir ne sera pas clos.
Étrangement, Castellucci semble avoir épousé le message nécessairement optimiste de tout oratorio, dispositif parfaitement bouclé au plan idéologique. L’enfance de l’humanité devient enfance de l’avenir. Mais cette candeur joyeuse est aussi exigence, et interroge le public moderne face à un étrange déluge de plastique : allons-nous pouvoir retrouver à notre tour notre descendance engloutie ?
Alessandro Scarlatti : Il primo omicidio
Première à l’Opéra de Paris / Nouvelle production
PARIS, Palais Garnier
13 représentations du 24 janvier au 23 février 2019