Sylvain Tesson : en vacances avec Homère

Prenons le volume au mot : passons l’été avec Homère, avec ses traducteurs (Brunet pour l’Iliade, Jaccottet pour l’Odyssée) et surtout avec un commentateur doué, Sylvain Tesson, qui nous parle depuis une île de la mer Égée, où il passe des vacances. Quelles merveilles aujourd’hui encore que ces deux épopées fondatrices ! Fondatrices d’un certain « homme grec » et fondatrices de toute littérature. Nous allons lire les citations des deux textes dans un bleu tout marin et tout céleste et nous les saurons battues des vents.

Deux parties dans ce magnifique petit volume de la collection « Un été avec » : l’une toute en réactions sensibles aux épisodes des deux textes, l’autre toute de réflexions sur la philosophie morale qui s’en dégage. Oui, Homère met en scène l’homme grec, mais c’est aussi un homme de toujours, en proie aux mêmes tourments et aux mêmes espérances que le citoyen d’aujourd’hui, mais avec cette différence tout de même : l’homme de jadis, malgré les guerres et les tempêtes, où son hubris se déchaînait, n’avait pas encore dévasté le monde et cette terre où il fait de moins en moins bon vivre. « Nous menons une guerre de Troie contre la nature, écrit Tesson, qui n’est pas avare de déplorations à propos de notre actualité. Nous avons soumis la Terre à notre bon vouloir. Nous l’avons pliée à notre seul désir, nous avons trafiqué l’atome, la molécule, la cellule et le gène. » (p. 224)

Pourtant l’homme homérique, si l’on en croit les excès de l’Iliade, manifestait déjà un penchant destructeur avéré. Il aimait la guerre comme une mère et pouvait la mener pendant des années. Quand, amoureux éconduit, Achille sort enfin de sa bouderie et de sa tente, c’est pour déchainer la fureur qui est en lui, massacrer Hector et traîner son cadavre dans la poussière avant de daigner rendre cette dépouille au père de la victime, le vieux Priam.

Pourquoi tant d’horreur ? Là interviennent les dieux et Tesson de s’interroger avec beaucoup de finesse sur ce monde trilogique où il y a des dieux, des héros et des hommes et où Zeus en personne n’arrive pas à empêcher que son fils meure au combat.

On ne s’en étonnera pas, c’est au rusé Ulysse que Tesson réserve ses plus beaux commentaires. Car cet Ulysse n’est pas que subtilité et intelligence. Éloigné de son Ithaque pendant vingt ans, ballotté d’un endroit fabuleux à l’autre, il lui faudra mettre beaucoup de sagesse et de persévérance à rentrer au logis conjugal et, en héros digne d’Albert Camus, à savourer le monde comme il est auprès de sa Pénélope. Il est vrai qu’il sait déjà à ce moment-là qu’il a conquis un haut renom : c’est que ses exploits guerriers sont déjà légendaires dans la bouche d’aèdes qui ne l’identifient pas. Mais c’est aussi que, par-delà ses vagabondages, il va restaurer un ordre, après avoir chassé du royaume conjugal ces courtisans médiocres comme notre époque en regorge encore.

Fameux paradoxe comme on peut voir. Comment croire, avec Tesson comme avec Homère, qu’Ulysse puisse se contenter du monde comme il est ? Or, il n’est pas plus avide de découvertes et d’explorations que ce prototype de l’homme grec ou de l’homme méditerranéen qu’est notre voyageur. Il est allé partout, a découvert partout, a aimé partout. Et cela fait dire au commentateur à l’heure du retour au pays : « La nuit avec Pénélope nous rappelle comiquement que l’Odyssée n’aura été qu’une série d’aventures vécues par des hommes mais fomentées par des femmes. (…) Athéna secondait Ulysse, Calypso le retenait, Pénélope tenait à distance les putschistes ». (p. 112).

En fait, c’est que l’épisode d’Ithaque — cette restauration — est encore et toujours dans l’exploit et la merveille. « Ulysse is back. Et cela va saigner » (p. 102), annonce Tesson. C’est que le beau prince débarque sur son île en haillons, se perd dans les brumes et est reconnu du seul porcher avec lequel il fraternise. Leçon de démocratie comme il en est plus d’une dans l’Iliade. Leçon d’héroïsme non moins. C’est par un exploit au tir à l’arc qu’Ulysse se donne pour qui il est et qu’il peut rétablir son pouvoir.

Mais surtout, avec le vieil Homère, avec le jeune Tesson, la double épopée se clôt comme elle a commencé : dans la beauté. Beauté du site hellène : il y a le ciel, le soleil et la mer. Beauté des mots du poète avec épithètes et métaphores en renfort. Et le lecteur ne peut que se sentir heureux.

Sylvain Tesson, Un été avec Homère, éd. des Équateurs / France Inter, avril 2018, 252 p., 14 € 50